[Lyon] La « capitale des fachos »

Le retour des nervis fascistes

La dédiabolisation du FN, devenu fréquentable pour beaucoup, et la reprise de ses idées par la droite classique ont libéré la parole d’extrême droite. Et de la parole aux actes violents, il n’y a qu’un pas que ses sympathisants les plus dangereux ont franchi. Salut nazi, menaces antisémites, agression au couteau ou au nerf de bœuf, voire à coup de feu : ils utilisent ouvertement toute la panoplie des années 1930. à Lyon comme ailleurs, ils ont pignon sur rue et ne se dissimulent plus. Leurs cibles n’ont pas changé : communistes, militants des droits de l’homme, gauchistes, francs-maçons et homosexuels sont les premiers visés.

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Les victimes sont là, mais elles ne parleront pas à la presse. Traumatisées. Le couple a quitté la région et s’est séparé depuis cette histoire. Le jeune homme avait eu le crâne fracassé par une batte de baseball et 100 jours d’ITT. Des militants néonazis avaient tendu un guet-apens entre le lieu d’un concert considéré comme « gauchiste », à Villeurbanne, et le métro. Pas plus militant que ça, le couple est le premier à être rentré du concert en passant par là. Il a été attaqué pour cette seule raison. L’homme souffre encore de troubles de la mémoire. Au procès qui s’est tenu les 24 et 25 septembre, le procureur a requis des peines allant d’un à cinq ans de prison ferme.

Le cas est loin d’être isolé. Depuis quelques années, les groupes d’ultra-droite se font de plus en plus violents, tandis que le FN police son discours. « En dédiabolisant le FN, Mme Le Pen a ouvert un espace béant à sa droite, explique Alain Hayot, conseiller régional communiste de PACA et auteur d’un livre sur le Front national [« Face au Front, la contre-offensive » éditions Arcane 17]. Des groupes violents s’y sont engouffrés, ce qui sert Mme Le Pen, qui peut, du coup, apparaître comme modérée. » Le FN, institutionnalisé, a aussi libéré une parole. Et des actes.

À Lille, un étudiant du syndicat SUD étudiant (extrême gauche) a reçu, comme dans les films, des menaces de mort avec des lettres de journaux collées sur du papier, dans sa boîte aux lettres. « Tu vas bientôt crever, sale antifa de merde, tu es le nouveau Clément Méric ! » « Les fachos sont très minoritaires dans les facs de Lille, explique Anna [Le prénom a été changé], de SUD étudiant. Mais la nouveauté, c’est qu’ils se montrent, ils sont décomplexés, ils n’hésitent plus à nous menacer à visage découvert. Le climat est nauséabond.

À Clermont-Ferrand, fait étonnamment passé complètement inaperçu, un skinhead a tiré au fusil de chasse dans un concert de soutien aux sans-papiers. Deux personnes ont été touchées (dont une à la tête), sans être pour autant gravement blessées. Arrêté le lendemain, le tireur, Kevin Pioche, a été jugé dans la précipitation, et condamné en comparution immédiate, 3 jours après, à 2 ans ferme. « Pas cher payé pour ce dossier bâclé », note l’avocat des victimes, Jean-Louis Borie. À Poitiers, Alexandre Raguet, 23 ans, un militant du NPA, a vu sa photo placardée sur les murs de la ville, avec cet avertissement : « La police ne s’en occupe pas ? On va s’en occuper. » « C’est pourtant très nouveau à Poitiers, explique Alexandre. Ici, c’est un bastion de la gauche contestataire, l’extrême droite est traditionnellement faible. Mais les néofascistes se lâchent maintenant. »

Mais la « capitale des fachos », c’est incontestablement devenu Lyon, l’ancienne capitale de la résistance. L’extrême droite s’est implantée dans le quartier Saint-Jean, le centre historique. Un quartier de noctambules, avec ses pubs en enfilade. Mais la clientèle se fait plus rare depuis la multiplication d’agressions commises par des militants d’extrême droite. La plus grave s’est produite le 14 février dernier. Vers 3 heures du matin, un groupe d’une dizaine de néonazis, arrêtés depuis, s’est rué sur deux mineurs au look jugé gauchiste et l’un des hommes les a poignardés. Les victimes s’en tireront avec des blessures superficielles, mais on a échappé de peu au drame.

En 2010, déjà, David, un enseignant militant de la CNT (syndicat anarchiste), connu pour son soutien aux sans-papiers, s’était fait agresser. « Ils nous sont tombés dessus à une dizaine, en hurlant : “Cassez-vous, Lyon est fasciste, Sieg Heil !” se souvient David. J’ai été frappé avec un nerf de bœuf et j’ai eu le crâne ouvert. » « Lyon a une histoire particulière avec l’extrême droite, reconnaît Georges Kepenekian, premier adjoint au maire. C’est la ville de Jean Moulin, mais aussi celle de Paul Touvier. Et l’université de Lyon-III a abrité des ténors d’extrême droite comme Faurisson et Gollnisch. Mais là, ce qui se passe avec ces agressions, c’est nouveau et inquiétant. »

L’ancrage de l’extrême droite dans le quartier Saint-Jean s’est matérialisé en 2011, lorsqu’a été ouvert le local associatif la Traboule. Bar, bibliothèque, salle de conférences. Avec parfois des invités prestigieux, comme Robert Ménard ou Bruno Gollnisch. Au mur, une photo dédicacée de Mme Le Pen. C’est Génération identitaire qui détient le local. Un groupe dont le discours anti-immigration ne fait pas dans la dentelle. « Nous sommes le peuple autochtone et nous n’avons pas l’intention de nous laisser remplacer », affirme Damien Rieu, le porte-parole. Les identitaires se sont fait connaître par leurs patrouilles « anti-racaille » dans les métros de Lille et de Lyon. Ça ne se passe pas toujours bien : ce jour-là, à Lyon, une quinzaine d’antifascistes manifestent au cri de « milices fascistes hors du métro » ! « Ces mecs-là tabassent, ils sont passés plusieurs fois au tribunal ! » hurle une jeune antifa. Effectivement, plusieurs responsables identitaires ont été condamnés pour des violences.

Les tabous ont sauté

C’est le cas de Damien Montant, le secrétaire d’une association satellite des identitaires, « Les Petits Lyonnais ». En avril 2011, 4 antifascistes passent tout près de la Traboule. 10 personnes sortant du local leur tombent dessus. L’un des antifascistes a la mâchoire fracassée à coups de bâton. Parmi les agresseurs, Damien Montant, qui, récidiviste, sera condamné à 6 mois ferme. « Je me suis défendu, affirme Damien Montant. Les antifas nous cherchaient. Que faisaient-ils juste à côté de la Traboule ? » Comme si un gauchiste passant dans le quartier était une provocation insupportable. Maxime Gaucher, un autre responsable (par ailleurs ancien candidat du Front national du Puy-de-Dôme), a frappé une journaliste et le chef de la BAC de Lyon lors d’une manif pour tous en avril 2013. Il a lui aussi été condamné à de la prison ferme. « Ce n’était pas une journaliste, c’est une militante d’extrême gauche que nous connaissons », avance Damien Rieu, le porte-parole des identitaires, comme une sorte d’excuse.

Philippe Carry, horloger de son état, tient le commerce le plus proche du local des identitaires. Il est devenu leur bête noire depuis qu’il a fait signer une pétition pour la fermeture de la Traboule, signée par près de 200 personnes. Depuis, il reçoit des menaces voilées : « Un salut nazi quand j’étais à la boulangerie, par exemple. » Un salut nazi en pleine journée, dans un commerce ayant pignon sur rue, un signe que les tabous ont sauté. Le 26 janvier 2014, lors d’une manifestation d’extrême droite dite « jour de colère », des militants pétainistes ont crié : « Juif, casse-toi, la France n’est pas à toi. » Du jamais-vu depuis l’Occupation.

Lors des manifs pour tous du printemps 2013, déjà, des militants d’extrême droite hurlaient : « Francs-maçons en prison ! » ou encore « Policiers francs-maçons ! », et harcelaient les forces de l’ordre. L’un des perturbateurs connus, Logan Djihan, figure montante de l’extrême droite parisienne, a récemment pris la pause avec la députée frontiste Marion Maréchal-Le Pen. Lorsque les forces de l’ordre ont fini par charger, l’UMP, qui participait massivement aux manifs, a dénoncé la répression policière. Sans jamais condamner clairement les slogans antimaçonniques rappelant le régime de Vichy.

Leur presse (Tierry Vincent, L’Humanité Dimanche via humanite.fr, 14 novembre 2014)

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