L’armée a fermement chassé les milliers de manifestants qui contestaient la prise du pouvoir par des militaires, à coups de gaz lacrymogène et de tirs de sommation. Le lieutenant-colonel Isaac Zida assure vouloir former un gouvernement de transition. (…)
Leur presse (Humanite.fr, 3 novembre 2014)
Le printemps noir du Burkina Faso
Assemblée nationale en feu, télévision prise d’assaut par les manifestants, violences dans les principales villes de province, aéroport fermé et interruption des signaux radio… Le Burkina Faso, qui avait longtemps été présenté comme une oasis dans une région gagnée par la violence, au Mali et en Centrafrique, est entré à son tour en ébullition. Alors qu’au départ, il ne s’agissait que d’empêcher un vote de l’Assemblée nationale qui aurait permis au président Blaise Compaoré de se représenter pour de nouveaux mandats (après 27 années de pouvoir…) les manifestations de rue ont soudain pris un tour insurrectionnel : le frère du président, François Compaoré, a été arrêté à l’aéroport alors qu’il tentait de quitter le pays et on ignore si le chef de l’État s’est retranché dans sa résidence ou s’il se trouve à l’étranger.
Ces émeutes qui ont fait un mort se sont accompagnées du pillages des installations de la radio télévision, du saccage de l’Assemblée nationale tandis que dans la deuxième ville du pays, Bobo Dioulasso, le domicile du maire, censé soutenir le président, a été mis à feu également.
Dans la matinée, surpris par l’ampleur des manifestations, le gouvernement avait précipitamment annulé le vote d’une révision constitutionnelle qui aurait permis au président Comparoé de briguer au moins trois mandats supplémentaires, alors que l’an prochain il achève son dernier mandat, après deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats. Depuis des mois, l’opposition et les syndicats s’étaient opposés à ce projet de révision de la Constitution, mais la violence du soulèvement, le plus grave depuis la vague de mutineries survenue en 2011, a visiblement pris de court toute la classe politique, d’autant plus que l’armée semble s’être solidarisée avec les manifestants et que l’on ignore si elle se résoudra à prendre le pouvoir pour mettre fin aux désordres.
La colère qui déferle sur le Burkina Faso est déjà qualifiée de « printemps noir » en référence en « printemps arabe ». Elle secoue un régime considéré comme le plus stable de la région et une plaque tournante de l’influence française. À tel point qu’il avait même été question de proposer à Blaise Compaoré, fidèle lieutenant de la Françafrique, d’être nommé à la tête de la francophonie, en remplacement du Sénégalais Abdou Diouf, en fin de mandat.
Considéré comme un médiateur incontournable dans toutes les crises de la région (Côte d’Ivoire, Centrafrique, Mali, Niger) ceux que ses compatriotes surnomment « le beau Blaise » avait cependant refusé, considérant qu’il lui fallait encore du temps pour organiser sa succession. La rue lui a refusé ce crédit là, car malgré son apparente stabilité et une bonne gestion des villes, le Burkina Faso demeure l’un des pays les plus pauvres d’Afrique. En outre, le « pays des hommes intègres » (nom mossi de l’ancienne Haute Volta) n’a jamais oublié le crime fondateur qui a permis au président de s’installer au pouvoir : alors qu’il était son plus fidèle lieutenant, Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987, fut accusé d’avoir participé à l’assassinat de Thomas Sankara, avec la complicité du président de Côte d’Ivoire Houphouet Boigny et l’assentiment de Paris. Le souvenir de Sankara, qui avait osé bousculer les chefs traditionnels et mettre en cause les relations privilégiées avec l’ancienne métropole, hante toujours les Burkinabé : voici quelques semaines encore, des membres de sa famille avaient voulu obtenir l’ouverture de son cercueil, afin de vérifier si le corps n’avait pas été remplacé par des sacs de pierres ! Quelques années après la mort de Sankara, le journaliste Norbert Zongo fut lui aussi assassiné alors que son enquête sur la disparition du président l’avait conduit à mettre en cause François Compaoré, le frère du chef de l’État.
Dans la sous région, malgré sa réputation de médiateur et de fin diplomate, Compaoré était aussi accusé d’avoir tiré profit de toutes les crises qui secouèrent les pays voisins : il soutint Charles Taylor et Prince Johnson durant les guerres qui dévastèrent le Liberia et la Sierra Léone tandis que les diamants de guerre s’écoulaient via Ouagadougou, il offrit une base arrière aux rebelles des « Forces nouvelles » qui en Côte d’Ivoire lancèrent la guerre contre Laurent Gbagbo et finirent par porter au pouvoir Alassane Ouattara l’actuel président.
Le « printemps noir » de Ouagadougou, où on a vu la population s’opposer violemment au projet de modification de la constitution, est suivi attentivement dans toutes les capitales africaines, et en particulier au Burundi, au Congo Brazzaville, au Rwanda, au Congo-Kinshasa, au Gabon, des pays où le président sortant est également soupçonné de vouloir prolonger ou renouveler son mandat au-delà des délais prévus.
La vague d’opposition qui a soulevé le Burkina Faso est d’autant plus interpellante que, si la population est descendue dans la rue, la « communauté internationale » quant à elle, avait tacitement approuvé la reconduction du président sortant, au nom de la « stabilité ».
Entre 2014 et 2016, 52 scrutins, dont 25 élections présidentielles, doivent se tenir dans 27 pays africains. C’est dire si le « printemps noir » du Burkina Faso est suivi sur tout le continent, galvanisant une société civile qui s’est déjà mobilisée au sein d’une coalition « mon vote doit compter »…
Leur presse (blog de Colette Braeckman, LeSoir.be, 31 octobre 2014)