À Chanteloup-les-Vignes, une tension durable entre la population et la police
La pelouse est encore jonchée de verre que deux agents de la ville nettoient avec de gros gants. « On est là depuis ce matin », soupire une femme, casquette verte vissée sur sa queue-de-cheval. L’Espace de l’emploi et de l’entreprise, immense bâtiment planté dans cette petite banlieue des Yvelines, affiche désormais une façade misérable avec ses carreaux cassés, ses impacts de balle ou de projectiles. Le rideau de fer est baissé et des panneaux de contreplaqué ont été posés à la hâte mais on devine le rez-de-chaussée dévasté, le parquet brûlé, le matériel de bureaux et les ordinateurs jetés à terre…
Un peu plus loin, c’est une crèche abîmée, une école saccagée et une carcasse noircie devant le commissariat. Après les échauffourées entre des jeunes et la police, Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) s’est réveillée lundi 17 mars avec l’impression de revenir quinze ans en arrière.
Comme souvent, les versions divergent entre la police et les habitants. Les autorités évoquent une banale opération de patrouille tombée sur des jeunes agressifs. Dimanche après-midi, quatre fonctionnaires repèrent un mineur recherché pour un vol de sac à main la veille et sortent de leur voiture pour l’arrêter. Une policière est alors insultée et frappée. Une soixantaine de personnes se seraient attroupées pour s’en prendre aux agents qui appellent alors des renforts et font usage de gaz lacrymogènes.
Cinq jeunes sont interpellés et placés en garde à vue. Six policiers auraient été blessés. Le parquet de Versailles a ouvert une enquête confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), notamment sur les conditions de l’usage du Flash-Ball lors de l’intervention.
« ÉPAULE DÉBOÎTÉE »
Les habitants et responsables associatifs racontent une tout autre histoire. Dimanche, sur la grande pelouse du quartier de la Noé, les familles prennent le soleil, les enfants jouent. Le quartier, un des derniers grands ensembles d’habitat social construit au début des années 1970, entièrement rénové, ressemble à une plaquette de l’Agence nationale de la rénovation urbaine, avec ses petits immeubles repeints couleur crème ou jaune citron, ses espaces de jeux, son centre social. À 16 heures, une voiture de police arrive et une patrouille sort pour interpeller un jeune assis sur un banc. Il se retrouve par terre. « Ils le tapaient devant tout le monde puis se sont attaqués à des plus grands. Un chauffeur de bus a eu une épaule déboîtée », raconte Nordine Mila, entraîneur de football.
Des adultes tentent de calmer le jeu, deux jeunes filment la scène. Les policiers s’énervent, cherchent à récupérer les téléphones. Les deux vidéastes se font interpeller. « Ils nous insultaient : “sales bougnoules”. Après, c’est parti en couilles », témoigne Ichem, 25 ans.
Repérant un autre habitant en train de filmer à l’étage d’un l’immeuble, les policiers se ruent dans l’appartement, rouent de coups et arrêtent le locataire sous les yeux de sa femme qui hurle. Des unités de police arrivent en renfort. L’ambiance dégénère un peu plus avec la sortie de la mosquée : deux cents personnes sont massées sur l’esplanade. L’imam appelle au calme, il est repoussé. Les policiers dispersent la foule à l’aide de gaz lacrymogènes et de Flash-Ball. La panique se répand, la foule est hors d’elle. « La police tirait avec ses gom-gom au milieu des gamins », témoigne Raoul, chargé de mission prévention de la délinquance à la communauté d’agglomération.
Une centaine de personnes partent vers le commissariat. La maire Catherine Arenou (divers droite) arrive avec son opposant socialiste pour tenter de ramener le calme. Elle pense y être parvenue, avec le directeur départemental de la sécurité publique et l’arrivée d’un responsable de l’IGPN.
« VENT DE FOLIE »
Une demi-heure plus tard, un groupe de jeunes encagoulés sort de la gare, casse les caméras de surveillance et, en quelques dizaines de minutes, vandalise pas moins de douze bâtiments publics. « Un vent de folie », soupire Mme Arenou. Le bilan est lourd : plusieurs habitants blessés, cinq jeunes en garde à vue, des enfants terrorisés, une population qui ne décolère pas et une ville meurtrie.
Lundi, une réunion s’est tenue à la mairie avec le préfet, le commissaire, une cinquantaine d’habitants et d’associatifs. L’assurance qu’une enquête est en cours n’a pas suffi à faire redescendre la température. Les vidéos et photos circulent pour mieux démontrer la violence policière. Momo, 26 ans, dégaine son appareil pour montrer la jambe blessée de son frère qui sortait de la mosquée.
« C’est une sale arrestation. Aucune insulte ne justifie une telle violence », assure Stéphanie, 22 ans. Elle était sur la grande place ce dimanche. Comme sa sœur, Élisabeth, 19 ans, elle a eu l’impression « de ne pas être écoutée » quand elle a expliqué que depuis un mois le comportement des policiers est agressif et raciste. Même sentiment de James, jeune trentenaire, commerçant : « Les policiers se comportent comme des miliciens ici. »
La maire reconnaît que depuis qu’une nouvelle brigade est arrivée au commissariat de Conflans – il n’y a qu’un poste de police à Chanteloup –, les habitants se plaignent auprès d’elle : « Ce que disent les gens sur la police doit être écouté. » Municipales obligent, pas de commentaire de la police, si ce n’est que « l’enquête est en cours ».
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Sylvia Zappi, LeMonde.fr, 18 mars 2014)