Nous, M. et M., casseurs extrémistes de l’ultra gauche autonome. 23 février 2014.
Bien entendu ce titre est à prendre (très précisément) au second degré.
Nous sommes un couple, la quarantaine, pas membres d’une quelconque organisation (ah si, l’un de nous est syndiqué). Nous relatons ici notre ressenti des évènements d’hier à Nantes, samedi 22 février, dans le cadre de la manifestation contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Les enfants n’ont pas voulu venir. Heureusement !
13 heures. Nous arrivons vers la préfecture, après avoir contourné tous les barrages routiers. Au milieu de milliers de manifestants, nous trouvons des copains ! Ils nous parlent des tracteurs qui sont à Commerce. Nous allons voir ça, en remontant le cours des 50 otages.
13h30. Les tracteurs sont en vue. Déboulent alors des dizaines de camions de gendarmerie et de gardes mobiles qui investissent la dernière section du cours, juste avant Commerce. Nous continuons pour faire le tour des centaines de tracteurs (insolite !), puis décidons de retourner au rassemblement qui est à la préfecture. Mais les forces de l’ordre sont en train de boucler, dans toute sa largeur, l’extrémité du cours de 50 otages, avec des murs boucliers impressionnants, de plusieurs mètres de haut. Nous passons par les rues intérieures.
14h15. Nous revenons au rassemblement. Le cortège s’est déjà mis en marche, par la rue de Strasbourg, des milliers de gens sont encore partout autour du pont Morand. Nous décidons de vite remonter le défilé pour regarder les différents chars et cortèges. Lorsque nous arrivons vers l’île Feydeau, la foule est déjà là, et s’étend partout. Parfois éparpillée, parfois compacte, sur Commerce, sur les grands boulevards et dans les ruelles pavées, jusqu’à l’entrée de la place de la petite Hollande. Les tracteurs, les gens sont partout.
15 heures. Nous sommes samedi après-midi, à Nantes, dans le cadre d’une manifestation populaire, où sont présentes des centaines de familles, des dizaines de milliers de manifestants. Et là c’est l’hallucination collective : les forces de l’ordre, derrière leur mur-bouclier des 50 otages, activent les canons à eau, lancent des dizaines de grenades lacrymogène et des bombes assourdissantes.
S’en est suivie une longue, très longue, trop longue, petite guérilla urbaine, à tous les abords de la manifestation (une impressionnante barricade est dressée au croisement de Kervégan et du Guesclin), avec des forces de l’ordre qui finissent, petit à petit, avec les même méthodes (pluies de lacrymogènes, canons à eau, et bombes assourdissantes, le tout facilité par la présence permanente d’un hélicoptère au dessus de nos têtes), par repousser l’ensemble de la foule jusque vers la place de la petite Hollande.
17h30. Les tracteurs sont tous partis ou presque (certains ont des heures de route à faire, et les convois étaient déclarés en préfecture). Les deux heures qui suivent, nous sommes beaucoup moins nombreux, mais certainement deux ou trois milliers quand même. Les forces de l’ordre (camion béliers, canons à eau, gardes mobiles et autres CRS) se déploient sur toute la largeur de la zone : des bâtiments du quai de la fosse, jusqu’aux bâtiments côté piscine Gloriette ! Ils avanceront jusqu’au milieu de la place environ. Là, ils lâchent une bonne part de leur stock d’engins explosifs et agressifs. Pour ceux qui se donnent la main, collés aux premiers rangs de CRS, ce sera la matraque. Les gens (oui, des gens, hein, pas des extrémistes-black-blocks-venant-de-l’étranger), extrêmement choqués par le déferlement de la violence policière (nous avons vu plusieurs manifestants sortis sur des brancards de fortune), n’en démordent pas. Nous saluons, sous les vivats et les dernières cartouches, le repli des forces de l’ordre. Le sol est jonché de bris de verre, de cartouches de lacrymos et autres bombes ; des containers de poubelles, une voiture TAN sont en feu ; l’hélicoptère tourne toujours. Des scènes qu’on n’oubliera pas.
Jean-Marc Ayrault a raison : les violences doivent être condamnées. Mais nous, nous déclarons que le déchaînement de violence a été sciemment préparé et planifié par la préfecture et les forces de l’ordre. Oui il y a eu de la casse, c’est indéniable. Nous avons de sérieux doutes sur l’identité des auteurs de ces dégradations. Ce n’étaient pas les « jeunes de banlieue », ça c’est certain. C’était des types, souvent costauds, et qui avaient l’air de très bien savoir s’y prendre pour casser une vitrine ou un abribus. Quoi qu’il en soit, ce qui est un fait, c’est que ni l’un ni l’autre n’avions déjà vu un tel déploiement policier à Nantes. Ce qui est un fait aussi, quelles qu’aient été les éventuelles « provocations », c’est que l’offensive policière a été enclenchée, dès 15 heures, et de manière très violente, au beau milieu de dizaines de milliers de manifestants, qui pour 99 % d’entre eux défilaient bien gentiment sous un petit rayon de soleil bienvenu.
Nous ne sommes pas des « Zadistes ». Nous ne sommes allés que deux fois sur la Zone À Défendre, lors des grands rassemblements. Nous sommes contre ce projet d’aéroport, c’est sûr. Cet aéroport, pour nous, n’est qu’un exemple (tout à fait éloquent du reste) de la domination de banques et des grands groupes sur notre société et sur nos vies. L’État, les politiciens, viennent une nouvelle fois de montrer quels intérêts ils servent. Cette fois ci, c’est pour Vinci.
Notre seul regret pour hier, c’est que nous n’ayons pas su nous regrouper tant que nous étions très nombreux, tous au même endroit, par exemple sur cette place de la petite Hollande. Nous ne sommes pas des activistes non plus. Mais si un prochain jour, comme en Ukraine, en Égypte et ailleurs, nous décidons de faire nôtre une place, que ce soit celle-ci ou une autre, alors nous en serons. M. dit qu’elle aura un bouclier. Samedi 1er, nous sommes libres…