Bosnie : l’opposition se réunit en assemblée citoyenne à Sarajevo
Les manifestations se poursuivent en Bosnie. Plus d’un millier de personnes se sont encore rassemblées lundi devant le siège du gouvernement pour réclamer la démission du Premier ministre. Ces protestations, d’abord sociales, prennent l’allure d’une révolte contre un pouvoir détenu par pas moins de 150 ministres à différents niveaux de la fédération.
Les manifestations en Bosnie entrent dans leur septième jour. D’un côté les manifestants, qui demandent la démission du gouvernement fédéral jugé corrompu et la mise en place d’un gouvernement d’experts apolitiques, vont siéger en assemblée citoyenne pour la première fois. Cette initiative marque le début de leur organisation. « Les habitants de Sarajevo et de Bosnie-Herzégovine vont former un comité de normalisation, formé de citoyens respectables et apolitiques et qui n’ont pas de dossier criminel » lance au mégaphone un porte-parole des manifestants.
En face, le Premier ministre fédéral Nermin Niksic a rejeté toute démission lundi soir à la télévision et n’accepte que des élections anticipées. « Nous pensons que les élections sont la clé en ce moment, et ceux qui éventuellement empêcheraient la loi électorale de passer au Parlement sont en fait en faveur de ce chaos et ce désordre, car la rue, avec tout le respect que je dois aux manifestants, ne peut pas décider de la vie politique » déclarait le Premier ministre.
Les protestataires ne veulent pas de ces élections car, ne se sentant représentés par aucun parti, ils estiment n’avoir rien à attendre d’un tel scrutin. Le Parlement devrait décider ce mardi matin si un scrutin anticipé sera organisé, et dans l’attente, le gouvernement parie sur l’essoufflement des manifestations avec le temps.
Presse contre-révolutionnaire (RFI.fr avec son correspondant à Sarajevo, Laurent Rouy, 11 février 2014)
Bosnie : le malaise social par delà les fractures communautaires
Manifestations et émeutes contre la pauvreté secouent la Bosnie depuis le 5 février. Il s’agit des plus vastes manifestations depuis la guerre. À Mostar, Croates et Musulmans dénoncent de concert l’incurie des autorités.
Le mécontentement social reste entier en Bosnie et les appels à des élections anticipées se multiplient après les violentes manifestations de vendredi, sans précédent depuis la guerre intercommunataire de 1992-95.
De nouvelles manifestations sont attendues ce lundi, notamment à Sarajevo, où les protestataires réclament la démission du gouvernement de l’entité croato-musulmane, qui ensemble avec une entité serbe, forment la Bosnie depuis la fin du conflit.
Dimanche, plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la capitale devant l’immeuble incendié de la présidence tripartite du pays, réclamant la démission des autorités.
Sous la pression de la rue, depuis le début, mercredi, de ces manifestations, les chefs de quatre administrations régionales de la Fédération croato-musulmane ont présenté leurs démissions.
Les émeutes contre la pauvreté ont dégénéré vendredi en violences dans l’ensemble du pays. Il s’agit des plus amples manifestations depuis la fin de la guerre dans cette ex-république yougoslave de 3,8 millions d’habitants, où le chômage frappe 44% de la population active.
Une colère qui unit Musulmans et Croates à Mostar
À Mostar, face au marasme économique et au manque de perspectives, les Musulmans, majoritaires dans l’est de la ville, et les Croates, dominant dans l’ouest de la ville, ont exprimé ensemble leur colère en prenant pour cible les symboles d' »un pouvoir qui ne cesse de décevoir ».
« Il s’agit de gens qui n’ont plus rien à perdre, des jeunes qui n’ont jamais trouvé de travail pendant que l’élite nous rit au nez et nous fait comprendre qu’elle nous pille et que nous n’y pouvons rien », explique Josip Milic, un syndicaliste croate.
Le siège du parti croate HDZ a été dévasté. La carcasse calcinée d’une voiture gît devant l’immeuble aux vitres brisées tandis que les bâtiments qui longent le fleuve de Neretva, ancienne ligne de front en plein centre-ville portent encore les stigmates de la guerre.
Immeubles éventrés par des obus et abandonnés que personne n’a songé à reconstruire, maisons portant d’innombrables impacts de balles sont autant de témoins de la lenteur avec laquelle Mostar se remet vingt ans après la fin du conflit.
C’est la seule ville du pays qui n’a pas pu organiser en 2012 les élections locales, comme dans le reste du pays, en raison de l’incapacité des partis musulmans et croates de parvenir à un compromis sur son organisation institutionnelle.
Les arguments nationalistes ne prennent plus
« Le pouvoir va encore essayer de nous expliquer par des arguments nationalistes la crise économique, mais cela ne prend plus. Je suis croate mais je suis solidaire de mes voisins musulmans, nous devons lutter ensemble contre » les autorités, lance Jadranko, un étudiant qui refuse de dévoiler son nom de famille.
Le parti croate HDZ a effectivement accusé samedi « des hooligans venus de l’est (NDLR: la partie musulmane) de la ville » d’être responsables des actes de vandalisme de la veille.
Une femme, qui refuse de révéler son identité car elle se veut « citoyenne et non appartenant à une nationalité », ne cache pas son inquiétude.
Fermement opposée à toute forme de violence, elle remarque néanmoins que les habitants de la ville ont fait « preuve d’unité ce qui est encourageant ».
Presse contre-révolutionnaire (LExpress.fr avec l’Agence Faut Payer, 10 février 2014)
Propagande officielle en Bosnie-Herzégovine : des médias au service de la classe politique
Une révolte de la misère et de la faim ? Mais pas du tout ! Ne défilent dans les rues de Sarajevo que « des hooligans, des drogués et des voleurs », tous « pire que les tchétniks » : voici ce qu’expliquent les médias de Bosnie, tous attachés à préserver la classe politique et à garantir le maintien du statu quo. Décryptage d’une insupportable compromission.
Face aux événements qui secouent la Bosnie-Herzégovine, une étrange « union sacrée » s’est nouée entre les médias et les partis fédéraux de Bosnie-Herzégovine.
Nos pseudo-journalistes cherchent à « calmer la situation », à retourner l’opinion publique contre les manifestants, à détourner l’attention et avant tout à assurer le maintien du statu quo politique. Les journaux télévisés relatent les évènements en parlant de « vandalisme » et en montrant des photographies choquantes. Seuls les réseaux sociaux servent d’antidote à la désinformation.
« La foule déchaînée »
Samedi matin sur le site radiosarajevo.ba, on pouvait lire un texte de la rédactrice en chef Lana Ramljak titré « Ce jour qui marque notre défaite commune », qui est à l’origine des slogans les plus bruyants à l’encontre des manifestations. L’auteur prétend que l’unique combat légitime passe par les urnes et que les manifestations devraient ressembler à celles organisées lors de la « révolution des bébés ». Elle n’a pas un mot pour l’échec de ces méthodes, la loi sur la réintroduction du numéro national d’identité pour les nouveau-nés n’ayant pas été adoptée. En réalité, la voie des urnes ne représente plus un aucun espoir de lendemains meilleurs.
Lana Ramljak ne parle donc pas du désespoir dans lequel les autorités bosniennes ont poussé le peuple, mais elle dresse le portrait d’une « foule déchainée et shootée à l’adrénaline », qui « a décidé, après avoir chassé les vrais manifestants, de brûler le peu d’histoire que nous avions réussi à sauver ces dernières années. Les bâtiments vieux de plus d’un siècle sont en flammes, les pompiers et les policiers sont sans défense, des pères, des mères, des frères, des sœurs, des voisins sont blessés, des boutiques pillées et des stations de bus détruites ». Lana Ramljak cite quelques « témoignages percutants », sans jamais parler de la société, et conclut en disant « Votons, n’incendions pas. Impliquons-nous véritablement dans les processus, il ne suffit pas de cliquer sur le bouton like de Facebook, travaillons en amont et non quand il est peut-être déjà trop tard ».
Dans ce texte, on ne pourra lire nulle part que la prévention est un privilège des sociétés ordonnées et équilibrées. En fait, le texte ne cherche pas à nous expliquer quoi que ce soit, mais uniquement à nous faire croire que les manifestants ne sont qu’une bande de vandales assoiffés de sang qui attaquent des femmes innocentes et volent des cigarettes dans les bureaux de tabac. Le cas de l’incendie des archives situées dans les bâtiments du gouvernement cantonal de Tuzla est érigé en parfait exemple du vandalisme gratuit des manifestants.
« Pire que les tchétniks »
Deux comptes rendus publiés par Al Jazeera ont également soulevé des polémiques. Le texte « plein de bonnes intentions » de l’imam de Sarajevo Muhamed Velić, intitulé J’ai pleuré en silence, que l’on pouvait lire sur le site de la chaîne jeudi soir, témoigne parfaitement de la protection des forces au pouvoir et de la provocation de l’opinion publique que ce média représente. On y parle encore de vandalisme, de pillages et de manque de dignité. Mais l’imam apporte une nouvelle couche à ce discours – la guerre. « En mai 1992, nous avions réussi à sauver les bâtiments de la présidence. Les tramways et les tanks brûlaient dans la rue Skenderija, mais les assaillants n’avaient pas réussi à détruire les bâtiments de la présidence, le symbole de l’État, de son histoire. Malheureusement, ce soir, la présidence est tombée en ruine », prétend-il dans son « témoignage ».
La photographie qui montre ce bâtiment que « même les tchétniks n’avaient pas réussi à détruire » fera le tour de tous les médias. Cette évocation des « tchétniks » rappelait une autre formulation si souvent utilisée dans les médias : « ces hooligans qui ne sont pas de Sarajevo ».
La parade des politiciens
Avant que les deux partis au pouvoir dans la fédération ne se prononcent, le ministre de la Sécurité, Fahrudin Radončić, paradait déjà dans les médias. Le chef du Parti pour un meilleur avenir (SBB) s’est déplacé sur les plateaux de TV1 et a affirmé qu’il mettait en garde depuis longtemps les politiciens bosniens (comme s’il n’était pas lui même un politicien bosnien) sur le caractère difficile de la situation, et que personne ne devrait s’étonner de ces émeutes. Le soir même, il était aussi invité dans l’émission de Senad Hadžifejzović. Celui-ci n’essaya pas de soutirer des informations concrètes de la part du ministre et lui laissa l’occasion de se présenter comme le seul critique du processus de privatisation, l’unique défenseur du peule.
Le lendemain, ce fut au tour de Nermin Nikšić, Premier ministre de la fédération, d’être ainsi chouchouté dans l’émission de Senad Hadžifejzović. Ce dernier a lâché qu’il « voudrait bien croire qu’il s’agit là de citoyens », et que les pancartes des manifestants étaient « très bien écrites et formulées », allant même jusqu’à saluer leur style. On pouvait comprendre que, selon lui, les ouvriers n’étaient pas assez instruits pour s’exprimer ainsi. Nermin Nikšić s’empressa d’abonder en ce sens.
Senad Hadžifejzović et les autres journalistes des médias officiels n’auraient certainement pas apporté autant d’attention aux représentants des manifestants. Bien rares sont les médias traditionnels qui ont demandé aux manifestants de témoigner.
« On distribue des comprimés aux manifestants »
Néanmoins, le coup le plus bas de la campagne médiatique contre les manifestants est la polémique autour de la question de la drogue. Samedi à 13 heures, on pouvait lire une info de dernière minute sur klix.ba affirmant que la « police avait saisi 12 kg de drogue durant les manifestations ». L’info fut vite reprise par tous les autres portails. Elle s’est aussi retrouvée dans l’annonce du porte-parole de la police du canton de Sarajevo, qui a détaillé les statistiques des arrestations. L’info a été démentie le soir même, mais les dégâts étaient déjà faits.
Le vice-Président de la fédération, Mirsad Kebo, avait déjà eu le temps de dire aux journalistes : « Je n’ai pas vu de combattants, je n’ai pas vu de gens sérieux… J’ai vu des gens drogués ». TV1 a interviewé des passant sur le « vandalisme », parlant aussi de « jeunes drogués ». Nermin Nikšić ajouta son grain de sel sur Face TV en affirmant que « quelqu’un distribuait des comprimés aux manifestants ».
Si l’on en croit les médias, les manifestants seraient donc des drogués ou des voleurs. Sur radiosarajevo.ba, on a encore pu lire samedi un article intitulé Ils ont pillé et incendié, se sont photographiés et ont publié leurs photos sur Facebook. L’article ne tourne en fait qu’autour de deux photos prises pendant les manifestations. La première représentant quelques paquets de cigarettes volés et la seconde des plaquettes arrachées aux murs du bâtiment du canton de Sarajevo. Le message est clair : les hooligans ne sont pas une minorité, mais bel et bien le noyau dur des manifestations.
Ces quelques détails expliquent peut-être pourquoi les médias omettent de parler des conditions de vie catastrophiques des travailleurs ou encore de la faillite économique et sociale du pays tout entier. Les journalistes savent très bien qui sont les patrons et quels intérêts ils doivent servir. Même si ça doit leur coûter leur intégrité professionnelle.
Paulina Janusz, Kontrapress, 9 février 2014 – traduit par Jovana Papović, balkans.courrier.info
Merci de rediffuser… Y a semble-t-il encore beaucoup de manipulation médiatique en Occident sur la situation dans les Balkans depuis la guerre. Les médias américains essaient encore de jouer la rhétorique du « confit ethnique » pour expliquer ce soulèvement.
Pour des nouvelles plus de l’intérieur de cette lutte (quoiqu’en anglais): http://balkanist.net/protests-in-bosnia-and-herzegovina-live-blogs-and-updates/