Retour de Bilbao : ETA des lieux
Ce samedi 11 janvier 2014 était une journée importante au Pays basque. Effectivement, sous les mots d’ordre « Droits de l’homme, accord, paix », s’est déroulée une manifestation annuelle en faveurs des prisonniers politiques basques. Le quasi-silence médiatique sur cet événement important ne nous étonne pas, car la question basque dérange les sociétés françaises et espagnoles depuis des décennies. Si parfois en France certaines dépêches évoquent le Pays basque, jamais elles ne vont jusqu’à aborder le vif du sujet. Cette situation où la question basque est quasi-inaudible pour le public n’est pas seulement maintenue par les médias, elle est tout autant occultée et méconnue dans les cercles militants.
Nous nous sommes donc rendus sur place, afin d’apporter notre solidarité au peuple Basque, mais aussi afin de rapporter un témoignage en France…
Les prisonniers politiques Basques sont aujourd’hui au nombre de 611, répartis sur deux États. 149 d’entre eux sont détenus dans 30 prisons françaises, et 462 dans 50 prisons espagnoles.
Ce nombre important des prisonniers devrait nous rappeler, si nous ne le savions déjà, que l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna – Euskadi Et Liberté) n’est pas un groupuscule violent mais une véritable armée de libération.
Depuis le régime de Franco, la dictature de l’État d’Espagnol n’a jamais cessé pour le peuple Basque. La répression bat son plein : on constate de lourdes peines de prison pour des délits mineurs voire insignifiants, torture systématique des militants arrêtés par la Garde Civile Espagnole, interdiction des organisations du mouvement abertzale (Batasuna, Herrira…), disparitions « mystérieuses » de militants basques, arrestations préventives et arbitraires… il serait difficile ici d’en dresser un tableau complet. Pour cette manifestation par exemple, interdite par Madrid, la police espagnole avait arrêté mercredi huit personnes impliquées dans le soutien aux prisonniers. Il faut aussi savoir que les manifestations se déroulent sous l’interdiction de brandir le portrait des prisonniers.
Ce jour-là donc, samedi 11 janvier 2014, Madrid a interdit la manifestation. À Bilbao, la journée débute de façon tout à fait ordinaire, a priori rien de particulier dans cette grande ville européenne jusqu’en début d’après-midi, même si on peut remarquer que de nombreuses fourgonnettes de l’Ertzaintza (la police de la Communauté Autonome Basque) circulent en ville. En début d’après-midi, quelques timides drapeaux (Ikurinna – le drapeau basque mais aussi le drapeau en faveur des prisonniers) font leurs apparitions sur les façades. Alors que l’heure programmée pour le rassemblement approche, on commence à discerner que des groupes de gens sont venus pour la manifestation et quelques banderoles émergent maintenant ici et là sur les édifices. Mais ces quelques détails ne laissent en rien présager de ce qui va arriver par la suite, c-a-d en réalité, un véritable raz-de-marée humain.
En effet, d’après la presse basque, 130’000 personnes dans les rues de Bilbao en soutien aux prisonniers (sans compter les manifestations locales aux quatre coins du Pays basque). Le chiffre de la mobilisation a encore augmenté et battu des records pour cet événement annuel devenu traditionnel. On constate que quasiment personne n’est aux fenêtres des appartements qui restent pratiquement tous éteints au fur et à mesure que l’obscurité de la nuit s’installe. Les gens sont dans la rue : militants ou bien personnes lambda, les plus jeunes autant que les plus vieux. Il y a très peu de drapeaux (en dehors du drapeau pour les prisonniers que les gens portent à bout de bras ou bien autour du cou) et quasiment aucune distinction d’affiliation politique. Il y a tellement de monde que la foule compacte le long de plusieurs boulevards attend parfois jusqu’à deux heures avant de pouvoir s’ébranler. Dans celle-ci, vieux comme adolescents reprennent en chœur les chants basques de lutte. De nombreuses personnes brandissent des pancartes sur lesquelles il y a une goutte bleue.
Cette goutte est le symbole de l’organisation « Tantaz Tanta » qui a succédé à « Herrira », tout juste interdite par Madrid. « Tantas Tanta » veut dire « Goutte à Goutte » en français, parce qu’aucune organisation en faveurs de la cause basque ne peut durer sans être dissoute par le gouvernement espagnol. Les slogans sont unitaires et n’ont qu’un seul but, les prisonniers et leurs revendications :
rapprochement des prisonniers auprès de leurs familles ; libération des prisonniers qui ont fini leur condamnation, libération des prisonniers malades, libération des prisonniers conditionnables, amnistie…
Les familles et proches de détenus traversent ces marées humaines sous les applaudissements, les chants et les slogans. On mesure alors aisément que la question de la prison est un fait de société public au Pays basque, contrairement à chez nous. Une fois que les familles sont passées, les gens leur emboitent le pas. La manifestation se poursuit dans le calme et la dignité. La police reste discrète. Il n’y a pas de débordement, c’est un hommage aux combattants et militants qui leurs sont associés.
Pour finir, voici un modeste reportage photo de cette journée mémorable en Euskal Herria (Pays Basque).
Preso eta iheslariak etxera ! (Les prisonniers et les réfugiés, à la maison !)
En solidarité…
Collectif Manuela Rodriguez – saintÉtienne, 15 janvier 2014