Notre Dame des Landes, une école de la liberté
La ZAD de Notre-Dame des Landes n’est pas qu’un lieu de lutte contre le projet d’aéroport. Maraîchage, BTP, construction d’éoliennes et expérimentation de l’autogestion… les élèves de cette école à ciel ouvert apprennent à vivre libre.
– Reportage, Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique)
Un mardi après-midi pluvieux de novembre, à vingt kilomètres au nord de Nantes. Cinq personnes se réchauffent les mains et le corps autour d’un brasero et d’un cubi de vin rouge. Cela fait plus de vingt-quatre heures que ces opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes attendent une hypothétique intervention policière, armés de fusées de détresse, de matraques et de raquettes de tennis. Postés entre une barrière de pneus et une rangée de tracteurs entravant la route, ils se tiennent prêts à faire obstacle aux gendarmes mobiles et à protéger l’entrée d’une maison récemment squattée.
Voilà généralement ce que les journalistes retiennent de la ZAD, la « Zone d’aménagement différé », une étendue bocagère de près de deux mille hectares censée accueillir le nouvel aéroport du Grand ouest et que les opposants ont rebaptisée « Zone à défendre ».
Habitants historiques de la zone, paysans, militants venus de toute l’Europe, ils sont entre cent et trois cents personnes à occuper le terrain afin d’empêcher le début des travaux. Mais cette « zone libérée », comme la qualifient souvent les Zadistes (surnom des occupants), n’est pas qu’un territoire en lutte. C’est aussi un vaste terrain d‘expérimentation, une école à ciel ouvert. « Du maraîchage à l’informatique, ici tu apprends de tout, tu évolues à une vitesse folle », assure Tony [tous les prénoms ont été changés], un des barricadiers rencontré près du brasero.
Et il n’y a pas d’âge pour intégrer cette école. Maquis, ancien ingénieur qui vient de souffler ses soixante-cinq bougies, ne savait pas planter une pomme de terre avant d’arriver sur la ZAD il y a deux ans. Aujourd’hui, il affirme en avoir extrait six tonnes du champ qu’il cultive avec quatre jeunes femmes au centre de la zone, et il pense atteindre l’autonomie alimentaire l’an prochain.
Université à ciel ouvert
Quand on quitte sa cabane et que l’on se balade de tente en yourte et de cabane en bergerie, on se rend compte de l’incroyable concentration de talents regroupés sur cette zone. Chaque lieu de vie est une salle de classe où chacun met ses compétences à disposition de ses amis, de ses voisins, voire de la communauté tout entière.
Le programme des cours, que l’on découvre au fur et à mesure des rencontres, donne le vertige : utilisation des plantes à des fins médicinales, plomberie ou électricité, maraîchage bio, phytoépuration, traction animale, conception de fromages, cours de musique et de langues, science politique, construction d’éoliennes, gestion de réseau informatique… « Les activités ne manquent pas, mais on ne voit pas ça comme un travail, vu qu’on a la liberté d’arrêter à tout moment », explique Camille.
Avec une quinzaine de personnes, il est en train de finaliser une cabane de quatre-vingt dix mètres carrés à proximité d’un potager. Sur pilotis, avec isolation paille, enduits naturels, toit en ardoise et en tôle… cette habitation en bois construite en quelques mois a fière allure. Pourtant, presque aucun des ouvriers qui ont participé au chantier ne travaille dans le bâtiment. « Nous sommes tous menuisiers et tous architectes », lance l’un de ces candidats à l’autonomie avant de fixer au sol une partie du plancher.
Comme souvent dans cette école particulière, l’intelligence collective a fait son travail. Les visiteurs et les voisins bricoleurs y sont allés de leurs conseils pour éviter que le bâtiment ne s’enfonce dans le sol humide ou que la charpente ne s’effondre sous le poids des ardoises.
Et le tout avec peu de moyens. « Sur un chantier classique, tu achètes ton matériel en fonction de tes plans. Ici tu fais les plans en fonction des matériaux que tu as », explique l’un des bâtisseurs. Car le chantier n’a pratiquement rien coûté, la maison étant principalement fabriquée à partir de matériaux de récupération.
À l’école de la ZAD, chacun est tour à tour professeur et apprenant. Fred, boulanger de profession, est un bon exemple de cette porosité entre les rôles. Il a formé une dizaine de personnes à son métier en trois ans tout en se mettant à l’apiculture, à la fabrication de bières et de cidre artisanal et à la construction de maisons en paille. Mais il ne voit là rien d’extraordinaire : « Sur la ZAD, si tu cherches à faire quelque chose, tu trouveras forcement quelqu’un qui s’y connait et qui pourra te prêter le matos. Tu te rends compte qu’il y a plein de choses possibles ».
Se réapproprier les savoirs
Sans compter que sur ces terres boueuses et inhospitalières, « tu ne peux pas payer quelqu’un pour faire ta cabane à ta place. Tu es obligé d’apprendre. On te montre, puis tu fais tout seul », lâche Jean-Michel, ancien cadre commercial qui a troqué son costume pour une veste en cuir usé et son salaire confortable contre un pin’s « anarchie ».
C’est la volonté de mettre en cohérence sa vie et ses principes qui l’a amené à fréquenter cette université champêtre de la transition. Même chose pour Jérémy qui s’est lancé avec quatre autres débutants dans la production et la vente de fromages et produits laitiers à prix libre. Formé auprès d’un agriculteur du coin, qui leur prête les vaches, il souhaite avant tout « se réapproprier les savoirs et les savoir-faire » car pour lui « c’est d’abord ça l’émancipation ».
Mais l’école de la ZAD ne propose pas que des activités dites manuelles. Les élèves apprennent peu à peu à se débarrasser de leurs réflexes individualistes. « Ici on n’a rien, donc tu comprends vite que tu dépends des autres. L’autonomie passe par le collectif », analyse un ancien militaire présent sur place depuis trois ans. Et si tous n’ont pas l’impression d’appartenir à une même grande famille, ils ont au moins en commun le rejet de « l’aéroport et de son monde », comme l’indiquent les affiches et les tracts.
Massage contre fromages
Pour Joseph, ancien ouvrier agricole, sur la zone depuis deux ans, cela suffit à « créer un sentiment d’appartenance. On n’est pas que des voisins. On aide les gens pas forcement par amitié, mais parce qu’on partage quelque chose ». Tout au long de la semaine, des producteurs vendent leur production à prix libre. Pas de caissier au stand, le tout est basé sur la confiance. « L’idée n’est pas de faire des bénéfices, nous sommes dans une logique d’entraide », explique un des néo-maraîchers qui vend ses légumes lors du « non-marché » hebdomadaire.
Et l’euro n’est pas la seule monnaie en circulation sur la zone. « Tu peux mettre de l’argent dans la caisse, mais aussi du tabac ou des services. L’autre jour, quelqu’un a proposé un massage en échange de fromages, c’est génial, s’enthousiasme Richard, ancien agriculteur installé à la ferme de Bellevue, un haut lieu de coopération entre agriculteurs du coin et squatteurs. Ça permet de créer de l’échange et de se rendre compte que chacun a des compétences ».
Ce système permet cependant de réaliser que la ZAD n’est pas un paradis peuplé de femmes et d’hommes vertueux par nature. Il arrive que la caisse des fromagers ou des maraîchers soit dérobée ou que de l’argent soit pris à l’intérieur.
« On nous a inculqué un schéma de pensée attaché à une autorité supérieure depuis l’enfance, que ce soit à l’école, en famille, dans le sport ou dans le travail. Du coup on ne sait pas vivre en groupe et se gérer nous-mêmes », justifie Florian, membre de la commission Communication interne.
Dans ce bocage, les zadistes apprennent aussi à se « libérer de la maladie humaine de la propriété, selon Seamysong qui vit depuis cinq ans sans argent. Ici, tu es presque obligé de changer tes méthodes avec des gens qui sont dans le partage et dans le collectivisme. J’ai vu des personnes abandonner du matériel quand ils n’en avaient plus besoin. J’en ai vu d’autres partir car ils n’acceptaient pas de le faire ». Pour remplacer la notion de propriété lucrative qui guide aujourd’hui nos rapports, il propose de généraliser la propriété d’usage, principe qui veut que l’usager d’un bien (une maison, un manteau, un outil) en ait la propriété et qu’il le libère une fois qu’il ne l’utilise plus.
C’est ce principe qui régit en général l’utilisation des cabanes qui parsèment le lieu. Mais si le concept est largement accepté sur la zone, il n’est pas encore mis en pratique par tous. « Le matériel commun est systématiquement pété, on a besoin de référents, regrette Damien. Sur la Zad, le « tout appartient à tous » ne marche pas ».
Mais malgré ces ratés, ils sont encore nombreux à voir ces échecs comme un passage obligatoire dans le processus d’apprentissage et à vouloir continuer. Récemment, l’idée a été soumise de collectiviser une partie des RSA (revenu de solidarité active), principale source de revenus sur la ZAD, pour pouvoir distribuer de l’argent à ceux qui ne le touchent pas car trop jeunes ou étrangers.
Emmanuel Daniel, Reporterre, 16 décembre 2013
Le truc fonctionne sans avoir besoin d’être Pacsé, il suffit de se déclarer « en couple » : même adresse obligatoire dans ce cas, mais si tu es SDF… ça marche aussi, pas besoin d’adresse, juste les rencards RSa à faire ensemble. Le montant pour le couple est de 725 Euros (483 tout seul). Ca fait 240 Euros pour le/la moins de 25 ans, mais certains décident par solidarité de diviser par 2 et ça fait 370 balles par personne. Enfin, celà marche pour les couples homos et les différences d’age importantes car la Caf semble avoir peur d’attaques pour discriminations… Voilou !
Hum… les correcteurs orthographiques semi automatiques enrayent parfois les phrases, voulais pas écrire « passé avec un allocataire » mais pacsé.
On trouve plus de détails en piochant dans De la légitimité de frauder les minima et de quelques conseils à cette fin
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5668
Dans le message précédent, il faut lire « en se déclarant pacsé » et non « en se déclarant passé ».
Merci pour ce conseil, cela dit en passant.
Juste un tuyau, pas assez exploité. Pour qui n’a pas 25 ans (âge légal d’accès au RSA), il est possible de toucher un morceau de RSA en se déclarant passé avec un allocataire de ce minima. On se retrouve avec un « RSA couple », moins bien payé que deux RSA « isolé », mais cela peut dépanner, amoindrir la dépendance aux parents, la mis§re, l’obligation de faire n’importe quoi (bad jobs et risque accrus d’incarcération) pour trouver du fric. Faites le savoir.
Et, pour prendre un peu de champ, et par le dessous aussi comme toute taupe, une analyse micropolitique de ce type de dispositifs : Techniques de pouvoir pastoral : le suivi individuel des chômeurs et des allocataires du RSA
https://paris-luttes.info/techniques-de-pouvoir-pastoral-le