Flashball : un gendarme renvoyé devant les assises
Le gendarme qui, le 7 octobre 2011, a éborgné avec son flashball un enfant de 9 ans à Mayotte, est renvoyé devant la Cour d’assises de Mayotte pour « violences aggravées ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». C’est une première.
Boris Routmiantseff, l’adjudant de gendarmerie, qui le 7 octobre 2011 avait éborgné avec son flashball un enfant de neuf ans à Mayotte, est renvoyé devant la Cour d’assises de Mayotte. Marc Boehrer, le juge d’instruction de Mayotte chargé du dossier, a rendu le 7 octobre 2013 une ordonnance de mise en accusation pour « violences aggravées ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». C’est la première fois qu’un fonctionnaire va comparaître devant les assises suite à un tir de flashball. Trois autres gendarmes sont quant à eux renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des violences moins graves sur un autre enfant, âgé de huit ans.
En octobre 2011, une grève générale contre la vie chère secouait l’île de Mayotte, devenue quelques mois plus tôt le 101e département français. Plusieurs barrages, érigés par des manifestants parfois très jeunes, coupaient les routes, et des scènes de pillage avaient eu lieu. Dans la matinée du 7 octobre, en mission de protection des installations du port de Longoni, cinq militaires du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) avaient essuyé des tirs de pierre, de bouteilles et de cocktail Molotov en essayant de déloger un barrage. En tenue d’émeute, les gendarmes étaient ensuite repartis en direction de la plage de Longoni, où des enfants âgés de 8 à 13 ans se baignaient. « En apercevant les véhicules de gendarmerie arriver, les enfants prenaient la fuite en tout sens », indique l’ordonnance de mise en accusation. Qui précise que le groupe paraissait « sans rapport avec les coupeurs de route et les caillasseurs ».
Le chef du PSIG attrape l’un d’eux, Nassuir, le sermonne et le relâche rapidement « constatant que l’enfant ne présentait aucun danger compte tenu de son âge et de sa corpulence (1,35 m et 24 kilos) ». À peine a-t-il tourné le dos pour rattraper un de ses petits camarades, qu’une détonation retentit. Posté à une douzaine de mètres, l’adjudant Routmiantseff, âgé de 33 ans, vient de tirer sur Nassuir. Expérimenté et sorti major de sa promotion de sous-officiers en 1998, le militaire affirme avoir fait une sommation, après avoir vu l’enfant saisir une pierre au sol pour la lancer à son chef. Il assure également avoir visé l’abdomen, mais c’est en pleine tête que l’enfant reçoit la balle en caoutchouc. Le défenseur des droits a réclamé en mai 2013 la disparition du flashball superpro, arme jugée trop imprécise et à l’origine de nombreuses mutilations.
Sans se soucier plus de Nassuir, qui a l’œil en sang, les gendarmes retournent à leur course-poursuite. C’est un pompier, alerté par une passante, qui secourt l’enfant « qui rampait sur les galets en direction de la mer » selon le Défenseur des droits. Évacué à l’hôpital Saint-Pierre à la Réunion, Nassuir a perdu son œil et a dû subir plusieurs opérations pour retirer les débris. L’enfant dément avoir tenté de lancer une pierre et dit n’avoir entendu aucune sommation. « Même les collègues du gendarme n’ont pas vu le jeune jeter un galet, remarque Me Saïd Larifou, avocat de la famille de Nassuir. Il n’y avait aucune raison de le mutiler, il s’agit de violences gratuites. Le gendarme mis en cause refuse de s’expliquer et la famille de Nassuir le vit très mal. » Pour l’avocat du gendarme, Me Laurent-Franck Lienard, « le tir de flashball visait précisément à protéger son collègue qui ne voyait pas ce que faisait l’enfant puisqu’il lui tournait le dos ». Selon lui, « on a mis la pression à l’enfant et on lui a dit ce qu’il avait à dire ».
La note de la gendarmerie du 18 février 2011, qui fixe le cadre d’emploi du flashball superpro, interdit tout tir au-dessus des épaules sauf en situation de légitime défense. Et demande aux militaires « lorsque les circonstances le permettent » de ne pas recourir au flashball « quand la personne en cause présente un état de vulnérabilité manifeste (âge de la
personne visée) ». Pour Me Laurent-Franck Lienard, qui évoque « une instruction complètement à charge », cette note express n’a aucune portée juridique. Le code de la défense prévoit quant à lui quatre cas où les gendarmes peuvent utiliser la force armée : légitime défense, défense d’un point, fuite malgré des sommations, ou immobilisation de véhicules refusant d’obtempérer. Pour le juge d’instruction, « aucun élément ne permet de conclure que les militaires de la gendarmerie ont été pris à partie par quiconque au moment de leur arrivée sur la plage » et donc que l’adjudant ait fait usage de son arme dans le cadre légal. Sous contrôle judiciaire et interdit de port d’armes, le militaire est aujourd’hui affecté à des tâches administratives en métropole, indique son avocat.
Trois autres gendarmes du PSIG ont eux été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des violences commises le même jour sur un camarade de Nassuir. Revenus bredouilles de leur course-poursuite sur la plage, deux gendarmes tombent sur cet enfant de huit ans. Comme il se débat, l’un d’eux le gifle, le traîne dans le sable jusqu’à leur voiture et lui attache les poignets avec des liens serflex pour l’interroger. Ce gendarme sera jugé pour « violences sans ITT sur mineur par dépositaire de l’autorité publique ». Ses deux collègues, qui ont assisté à la scène sans réagir, sont renvoyés pour « non-empêchement d’un délit contre l’intégrité corporelle ».
Louise Fessard, Mediapart, 3 décembre 2013