Épisode 1 : Quand le réseau sortir du nucléaire demande pardon aux Japonais
Ce 26 juin 2013, le réseau sortir du nucléaire publie un article sur le site de Mediapart, intitulé « M. Hollande, l’envoi de MOX au Japon nous a fait honte ». Dans cet article, le réseau sortir du nucléaire interpelle François Hollande et, à l’instar des différents dignitaires, ministres, et experts japonais qui se sont excusés publiquement depuis le début de la catastrophe de Fukushima, demande « aux Japonais » de recevoir « [ses]… plus sincères excuses » pour la signature récente d’accords entre la France et le Japon, ainsi que l’expédition d’une cargaison de MOX [Mélange d’OXyde de plutonium et d’OXyde d’uranium, utilisé dans certains réacteurs, en particulier en France et au Japon] vers le Japon par AREVA.
Non contents de s’auto-flageller publiquement dans un étrange processus d’identification aux responsables des conséquences des catastrophes qu’il entend dénoncer, le réseau sortir du nucléaire exprime sa « honte » devant l’indifférence de François Hollande « au sort du peuple japonais » et l’article se termine en un pitoyable et larmoyant bouquet final, le réseau sortir du nucléaire demandant « pardon » aux victimes de la catastrophe de Fukushima.
Au-delà du vocabulaire de repentance duquel transpire un judéo-christianisme mal digéré, une certaine pitié sous-jacente envers « les Japonais », et une pointe de mégalomanie (comme si les Japonais se préoccupaient des excuses du réseau sortir du nucléaire !), ce texte étonnant mérite une tentative de décryptage.
En demandant « pardon » aux Japonais, des « antinucléaires » se substituent aux véritables responsables et agresseurs ; ils se mettent à la place du gouvernements français qui aurait du, si l’on comprend bien le but de l’article, selon le réseau sortir du nucléaire, présenter des excuses, avoir honte et demander pardon.
Quels étranges mécanismes psychologiques peuvent-ils justifier une telle mortification ? Pourquoi une telle culpabilité de la part du réseau sortir du nucléaire ? S’agirait-il d’un aveu déguisé de sa propre impuissance ? De son immobilisme ? Une reconnaissance inconsciente de sa « culpabilité » ? Un phénomène compensatoire pour rééquilibrer sa propension à collaborer avec ceux qu’ils devraient combattre c’est-à-dire la classe politique au pouvoir, plus précisément sa collusion avec EELV ? S’agit-il d’un chemin de croix en rémission des péchés commis : en particulier un état de schizophrénie qui l’amène à soutenir des scénarios de sortie progressive du nucléaire tout en dénonçant les conséquences criminelles d’une « technologie de mort » qui peut produire un accident majeur à tout moment ?
Nous, nous savons que le pardon, les excuses, les larmes et les indignations ne changeront rien à l’abomination de la catastrophe nucléaire, et si le réseau sortir du nucléaire ne le sait pas encore, c’est qu’il est en proie à beaucoup de naïveté, ou bien à un grave déficit d’analyse politique. Les accords passés récemment au Japon ne sont que de petits arrangements entre amis. Poser les Japonais en victimes de tractations diaboliques de la part du gouvernement français n’est que condescendance mal placée. Dans le cas précis, c’est « business as usual » : Monsieur Hollande a besoin de Monsieur Abe, de la technologie japonaise et d’alliances avec des groupes comme Mitsubishi pour fourguer ses réacteurs, son « savoir-faire », bref, sa camelote ! C’est bien Monsieur Abe et sa politique de reprise du nucléaire qui a les atouts en mains, sinon quel intérêt y aurait-il à proposer l’aide française à la création d’une usine de MOX au Japon plutôt que de vendre le MOX français ?
Tiens au fait, tant qu’à assumer une responsabilité, si le réseau sortir du nucléaire cherche tant à s’excuser, c’est auprès des Français que nous lui suggérons de le faire, pour tous les dangers que nous fait courir à chaque instant la politique des nucléocrates et du gouvernement que le réseau sortir du nucléaire, avec ses scénarios de sortie progressive, ne fera que prolonger avec du nucléaire devenu « durable » ? Vous avez dit ubuesque ?
Épisode 2 : le Syndrome de Stockholm appliqué à la « lutte » antinucléaire
Comme un malheur n’arrive jamais seul, après l’échec de la CNDP [Commission Nationale du Débat Public] dans ses premières tentatives d’organiser un débat public sur le projet CIGEO d’enfouissement profond de déchets radioactifs à Bure dans la Meuse, les séances ayant été perturbées par des opposants au projet, voici que ce 27 juin 2013, nous apprenons que des associations « antinucléaires », se substituant aux technocrates qu’ils sont censés combattre, invitent à l’organisation par EELV, le Parti de Gauche, et tous ceux qui souhaiteraient s’y adjoindre, de débats où l’ANDRA [Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs], l’ASN [Autorité de Sûreté Nucléaire], l’IRSN [Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire] pourront exposer leurs arguments à leur aise, enfin « débarrassés des perturbateurs ».
Étrangement, de nombreuses caractéristiques du Syndrome de Stockholm sont ici l’œuvre. En effet, les organisateurs de ces débats semblent accorder une certaine confiance à leurs « ravisseurs/nucléocrates », voire même leur porter une certaine admiration (entre experts et contre-experts, on se comprend…), comme si ces nucléocrates étaient capables d’argumenter dans le sens du bien commun, dans le but d’améliorer la sûreté et de proposer des solutions « raisonnables » à la gestion des déchets nucléaires, alors que tout le monde sait qu’il n’en existe, ni n’en existera jamais aucune.
À l’œuvre, également une certaine hostilité envers ceux qui pourraient séparer les « otages/débatteurs » de leurs « ravisseurs/nucléocrates », en l’occurrence les « méchants » antinucléaires qui s’opposent à la « démocratie » institutionnelle. Enfin, il ne semble pas exister envers les « ravisseurs/nucléocrates » de sentiment de haine, mais une compréhension mutuelle de la place de chacun (les nucléocrates cherchant à s’adjoindre les « services » d’une opposition institutionnalisée ; les professionnels du business vert, les « écologistes » et les antinucléaires « durables » cherchant à repousser une confrontation pouvant comporter des risques pour la survie de leur structure »). Et finalement s’instaure un semblant de confiance réciproque pour un accord tacite préservant les intérêts bien compris des deux camps.
De ces deux épisodes, nous retiendrons les processus d’identification au pouvoir en place qui montre l’impossibilité pour certains, qui se revendiquent antinucléaires, de rompre les chaînes qui les relient à leurs bourreaux : ceux qui organisent l’état nucléaire, ses désastres, ses conséquences dramatiques. Dans les deux cas, quoi qu’il en soit, la véritable confrontation avec l’autorité est esquivée, les vrais responsables dédouanés, la soumission de la bureaucratie antinucléaire entérinée.
Coordination Stop-Nucléaire, le 1er juillet 2013