[15 octobre 2012]
La réinsertion
J’écris comme je respire, ma plume est calée au rythme des battements de mon cœur. Si tu tends l’oreille sincèrement, tu entendras et comprendras toute mon existence. Après m’avoir enfermé dix années, se pose maintenant la question de ma réinsertion, de mon insertion plus exactement. Je n’ai jamais été inséré. Je te mets au défi de trouver une fiche de paie ou un C.V. portant mon nom. À quelques mois de ma liberté, qui ne m’a jamais vraiment quitté, ils me parlent de réinsertion. Mais pourquoi ne s’en sont-ils pas préoccupés pendant cette décennie de pression, d’oppression ? Où étaient-ils quand je suffoquais, agonisais, assommé par une peine à deux chiffres ? J’étais qu’un numéro d’écrou en puissance, que mes rêves ont miraculeusement maintenu vivant.
La réinsertion, ça veut dire quoi ? Rentrer dans le rang, devenir suiveur, téléguidé par des lois qui réduisent de jour en jour mes droits et mon espace vital. Me casser le dos au boulot, pendant que les capitalistes s’enrichissent à la sueur de notre front. Si ça ne tenait qu’à moi, je m’y opposerais jusqu’à mon dernier souffle. Mais je ne suis plus seul, l’amour de ceux qui m’aiment, m’a aidé à relativiser, et à me convaincre de me fondre dans la masse sans faire de bruit. Je marche tête baissée en promenade, le cœur lourd de ce que j’ai vu. J’ai vu de très près de quoi était capable ce système. Je serre les dents juste à l’idée de rentrer dans le rang. Je suis trentenaire et déjà quinze ans passés à l’ombre. Je suis conscient du miracle, je suis toujours intact. Ma stratégie consistait à faire le mort pour rester vivant.
Je me réinsérerai avec succès, c’est loin d’être grâce à la prison mais pour épargner les larmes qui ont déjà trop coulé. Je dois au moins ça aux miens. Je reste l’éternel insoumis contre ce monde qui formate pour que la masse reste assise. J’incarne ce que je suis. J’ai cassé leurs fenêtres car ils m’avaient fermé la porte. Je croirai en leur réinsertion quand ils réanimeront nos rêves qu’ils ont assassinés. La jeunesse a plus d’espoir, le désespoir pousse au crime et au suicide social. Qu’ils commencent par accepter et insérer les jeunes dehors et après on envisagera de croire en leur bonne foi quand ils nous parlent de réinsertion incarcéré.
Vos prisons ne sont que des cache-misère où il existe aucune prise en charge des détenus pendant leur peine. Drôle de remède pour rendre meilleur, le simple fait d’emmurer vivant n’a jamais réinséré personne. Je vais me réinsérer rentrer dans le rang pour apaiser les cœurs de ceux qui m’aiment, mettre un pansement, ce que je n’ai pu faire pendant dix ans.
[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]