[1er novembre 2012]
Même l’avenir nous a pas vu venir
Qui aurait misé sur nous, même pas nous-mêmes. L’avenir en personne nous a pas vu venir. Aucun voyant n’aurait pu prédire que je remplacerais mes armes par une plume. Qui aurait eu les couilles de miser sur des jeunes analphabètes, primitifs, sauvages, incontrôlables ? Notre propre chance avait la poisse.
Depuis les bancs de l’école, on n’a jamais attendu de lever le doigt pour dire ce qu’on avait à dire. Enfant incontrôlable, futur ex-taulard, jusqu’ici la prédiction était facile. Là où ça se complique, c’est quand ce qui ne devait pas arriver, arriva.
Enfermé au cachot, j’ai ouvert un livre, ma punition m’a mis dans les bras un bouquin. J’ai ouvert mon premier livre, menottes aux poignets pour passer le temps. Comme le temps est vite passé, j’ai prolongé le plaisir. Champion du monde de fautes d’orthographe, mais c’est sans complexe que j’ai taillé mon crayon, et j’ai couché en temps réel, le parcours d’un mec du ghetto, parmi des milliers sur cette feuille blanche. Rien n’était prévu. Ma thérapie était en route, inconsciemment, poser des mots sur mon mal me canalisait. Je rationalisais mes sentiments, ce n’était que le début d’un long processus de remise en question qui durera des années.
Comment remettre en cause toute une mentalité, un mode de vie ? L’école nous apprenait la vie, la rue nous apprenait à vivre. Les prédictions du système pour un mec comme moi sont aussi précises que la météo. Ils avaient misé qu’après la prison, j’embrasserais la violence extrême en braquant ce fourgon chargé à bloc dans lequel je croirais qu’il y a les clés de ma réussite. Alors que s’y trouveraient les clés d’une cellule, une promotion pour un voyage d’une dizaine d’années dans des promenades.
Tu passeras la cinquantaine à raconter tes exploits passés, périmés à des jeunes acharnés comme tu l’as été jadis au lieu de les déconseiller de s’y aventurer. Tu les encourageras à gâcher leurs plus belles années. Vieilli, ruiné, il te restera plus que la mort pour mettre tout le monde d’accord. Il est hors de question que je finisse ainsi même si j’en ai tous les symptômes. J’ai cassé le bras à mon passé, mon futur je l’ai pris en traître. Il m’attendait à la trentaine, essoufflé, quelques neurones en moins. Imprévu je suis revenu instruit par la vie, même si parfois le « sheytan » me déconcentre, il n’influence plus mes décisions.
Ma plume m’a sauvé la vie, m’a sauvé d’une vie déjà écrite. J’ai déchiré leurs prédictions que j’ai remplacées par les miennes. Le combat est encore loin d’être fini. Peu importe son issue, ce n’est pas ce qu’ils avaient prédit.
[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]