[Chroniques de mitard publiées du 7 au 11 septembre 2012]
Zoo humain
Trois mille jours, des milliers d’heures, dix années et quatorze jours de mitard.
Tous ces chiffres sont pour moi, pourtant je suis nul en maths, c’est l’addition, le triste résultat d’un « citéen » enfermé au cachot.
Déjà 30 piges, j’avais rêvé meilleur endroit pour la trentaine. Neuf mètres carrés d’espace vital. J’ai usé une centaine de paires de pompes à tourner en promenade, comme un animal en cage. Le mirador t’ajuste d’une balle en pleine tête avec son fusil à lunette. Si tu essayes de sortir de ton safari, ton zoo humain où se croisent des malades plus fous les uns que les autres. Asile psychiatrique pénitentiaire, monde à part, univers indescriptible. La « zonzon » pour « zinzins ». Université pour crimes organisés, tu y entres pour défaut de permis et tu en ressors VRP des stupéfiants. Ça fait quatorze ans déjà, que je fréquente cette école qui détruit plus qu’elle ne construit. Je viens de fêter dix ans dans ce trou à rats, comme cadeau pour cette décennie, j’ai eu le droit à une fouille où ils ont trouvé un téléphone portable. J’ai écopé de quatorze jours de mitard, excellent pour souffler ma dixième bougie d’internement. Je suis loin d’être un détenu modèle pourtant, ils m’ont mis une peine exemplaire.
Dois-je rappeler qu’on peut tuer un révolutionnaire mais pas la révolution ? Ma révolution, c’est de sortir vivant de ces camps d’extermination intellectuelle. Je ramperai jusqu’à ma liberté, je sortirai sûrement à bout de souffle mais vivant de ces égouts où on entasse surpopulation historique jusqu’à quatre dans neuf mètres carrés. Ça fait un peu plus de deux mètres carrés par personne. À l’heure où la technologie progresse, les conditions humaines régressent. Vivre les uns sur les autres au pays des droits de l’Homme. Liberté, Égalité, Fraternité, OK, OK pour ça on verra plus tard.
Dixième jour au mitard, plus que quatre à taper dans ce tombeau. J’écris, éclairé par ma montre fluorescente. Nuit noire, extinction des feux, ils instaurent un couvre-feu, ils veulent contrôler même nos heures de sommeil pour que l’on soit en forme le lendemain pour subir leur pièce de théâtre de fonctionnaires surprotégés. La « zonzon » est leur terrain de jeu, leur défouloir, où ils évacuent leurs frustrations. Je suis en immersion en temps réel dans ce monde carcéral. Ma plume retranscrit jour après jour ma vie derrière les barreaux. Chaque phrase, chaque virgule je les assume et les assumerai quoi qu’il m’en coûte.
[La Chronique de Youv derrière les barreaux est disponible en téléchargement gratuit sur le site des Éditions Antisociales. Elle est à suivre sur le compte Facebook dédié.]