En France, la DGSE au cœur d’un programme de surveillance d’Internet
La France dispose-t-elle d’un programme de surveillance massif proche de celui mis en place par l’Agence américaine de sécurité nationale (NSA) ? La réponse est oui. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les services secrets français agissant au-delà de nos frontières, examine, chaque jour, le flux du trafic Internet entre la France et l’étranger en dehors de tout cadre légal.
Ce service, placé institutionnellement sous la coupe du ministère de la défense, est doté de moyens techniques très puissants qui sont, notamment, hébergés dans les sous-sols du siège de la DGSE, boulevard Mortier à Paris. « C’est une pêche au chalut », explique un ancien de la DGSE pour décrire la nature du contrôle. L’immense quantité d’information doit être compressée puis décompressée avant d’être enfin décryptée par les agents de la DGSE.
La justification de ces interceptions est avant tout liée à la lutte antiterroriste sur le sol français. De facto, au regard de l’absence d’encadrement légal strict de ces pratiques, l’espionnage des échanges Internet peut porter sur tous les sujets. Interrogée par Le Monde, la DGSE s’est refusée à tout commentaire sur ces éléments couverts par le secret-défense. De plus, les autorités françaises arguent que les centres d’hébergement des sites sont, pour la plupart, basés à l’étranger, ce qui exonère la DGSE de répondre à la loi française.
LA FRANCE TENTE DE RESSERRER LE CONTRÔLE SUR SES SERVICES
Premier détenteur de ces informations relevant de la vie privée de chaque individu, la DGSE peut transmettre, si elle le souhaite, le fruit de ces recherches à d’autres services de l’État. Étonnamment, le président de la commission des lois de l’Assemblée, Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), n’évoque à aucun moment l’existence du contrôle de ce flux Internet entre la France et l’étranger dans son rapport, rendu le 14 mai, sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement. « Alors qu’il compte parmi les plus anciennes nations démocratiques, notre pays, regrettait-il pourtant, est le dernier à ne pas avoir établi un cadre normatif adapté. »
Depuis 2006, la France a tenté de resserrer le contrôle sur ses services dans certains domaines. La direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) peut se procurer, dans le cadre de la lutte antiterroriste, et seulement dans ce cas, les factures détaillées (« fadettes ») de téléphone, mais aussi de connexion Internet.
Le dispositif, provisoire, a été renouvelé jusqu’au 31 décembre 2015. Il est restrictif : le demandeur doit être un membre d’un service antiterroriste, sa requête, dûment justifiée, concerner un seul objectif. Elle est adressée à une personnalité qualifiée nommée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS, une autorité administrative indépendante). Selon la CNCIS, moins de 30’000 demandes devraient avoir été traitées en 2012.
LA DEMANDE DOIT ÊTRE « SUFFISANTE, PERTINENTE ET SINCÈRE »
Car une autre possibilité est offerte à tous les services de renseignement lorsqu’ils souhaitent
effectuer un travail préparatoire à une écoute téléphonique. Les motifs sont ceux prévus par la loi de 1991 pour les écoutes administratives (les « interceptions de sécurité ») : « sécurité nationale, sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous ».
La procédure aussi : le service passe par le ministre de tutelle, qui transmet au premier ministre. Ce dernier sollicite l’avis de la CNCIS – la demande doit être « suffisante, pertinente et sincère » –, puis fait exécuter par le groupement interministériel de contrôle (GIC). Entre le 1er août 2011 et le 31 juillet 2012, le GIC a traité près de 197’000 demandes. La sécurité nationale est invoquée dans 70 % des cas.
EN CONTACT PERMANENT AVEC LEURS COLLÈGUES ANGLO-SAXONS
Dernière question, la France a-t-elle pu bénéficier d’informations issues des programmes américains ? Les Britanniques sont soupçonnés au regard de leur proximité avec les services américains. La DGSE et la DCRI sont néanmoins en contact permanent avec leurs collègues anglo-saxons. La coopération entre services de renseignement et l’échange d’informations est, aujourd’hui, l’une des clés de la lutte antiterroriste, quitte à ce qu’elle porte atteinte aux libertés publiques et individuelles.
Les préconisations du rapport de M. Urvoas ne plaident pas pour une vigilance accrue sur les agissements des services secrets. Il assure, en effet, que le contrôle administratif ou parlementaire ne devrait s’effectuer qu’à la seule condition que parmi les pièces examinées ne figure aucun élément provenant d’une agence de renseignement étrangère.
Leur presse (Laurent Borredon et Jacques Follorou, LeMonde.fr, 11 juin 2013)