Six jours plus tard, la tension ne faiblit pas en Turquie
Malgré les « excuses » du gouvernement aux victimes de brutalités policières, des milliers de personnes ont envahi à la nuit tombée la place Taksim d’Istanbul.
La tension restait vive en Turquie mercredi 5 juin au matin, après cinq jours des manifestations contre le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et son parti islamo-conservateur. Malgré les « excuses » du gouvernement aux victimes de brutalités policières, des milliers de personnes ont envahi à la nuit tombée la place Taksim d’Istanbul, où ils ont scandé des slogans réclamant le départ du dirigeant, tandis que des milliers d’autres se rassemblaient à Ankara.
La Confédération des syndicats du secteur public (KESK), qui a appelé mardi à un arrêt de travail de deux jours par solidarité avec les manifestants, devrait être rejointe mercredi par la Confédération syndicale des ouvriers révolutionnaires (DISK), qui revendique 420’000 membres.
Dans la nuit de mardi à mercredi, la police a utilisé des canons à eau pour tenter de disperser les protestataires qui tentaient de se diriger vers les bureaux du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à Istanbul et Ankara. Des heurts ont également eu lieu dans la ville de Hatay (sud-est) où un jeune homme de 22 ans était décédé la veille après avoir été blessé lors d’une manifestation. Selon la chaîne de télévision privée NTV, deux policiers et trois manifestants ont été blessés mercredi dans cette localité proche de la frontière syrienne.
Tôt mercredi matin, au moins 25 personnes ont été appréhendées à Izmir (ouest) pour avoir répandu sur le réseau social Twitter des « informations trompeuses et diffamatoires », a rapporté l’agence Anatolia. Ali Engin, un responsable local du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), assure que les suspects étaient détenus pour avoir « appelé les gens à manifester ».
VOLONTÉ D’APAISEMENT
Mardi, au lendemain d’une nouvelle nuit de violences marquée par la mort d’un deuxième contestataire, le vice-premier ministre Bülent Arinç avait tenté d’enrayer le mouvement en qualifiant de « légitimes » les revendications des écologistes à l’origine des troubles et invité les mécontents à rester chez eux. Au sortir d’une réunion avec le président Abdullah Gül, il a également présenté ses excuses aux très nombreux blessés civils, à l’exception toutefois de « ceux qui ont causé des dégâts dans les rues et tenté d’entraver les libertés des gens ».
Sur un plan plus politique, M. Arinç a assuré que son gouvernement respectait « les différents modes de vie » des Turcs. Depuis le début de la contestation vendredi, les manifestants accusent en effet Recep Tayyip Erdogan de dérives autoritaires et de vouloir « islamiser » la Turquie laïque. « Nous n’avons pas le droit ou le luxe d’ignorer le peuple, les démocraties ne peuvent pas exister sans opposition », a également souligné M. Arinç, promettant que son gouvernement avait « retenu la leçon » de ces événements.
« ILS SONT COINCÉS »
Ce discours a tranché avec l’intransigeance de M. Erdogan qui, sûr de son poids politique, a balayé les critiques et renvoyé ses détracteurs aux élections locales de 2014. « À mon retour de cette visite (au Maghreb), les problèmes seront réglés », a-t-il lancé, provocant, lundi à Rabat.
Les excuses du vice-Premier ministre ont été saluées par les États-Unis, qui s’étaient inquiétés de l’usage « excessif » de la force. « S’ils font marche arrière, s’ils changent quelque chose en Turquie, le conservatisme et tout ce qu’ils ont fait, alors peut-être la foule pourra-t-elle rentrer chez elle », a déclaré Didem Kul, une étudiante de 24 ans qui « occupe » Taksim. « Mais nous ne pouvons pas rentrer chez nous sans en avoir la preuve » . « Ces excuses, c’est pour limiter la casse et parce qu’ils sont coincés », a renchéri Baki Cinar, le porte-parole de la KESK.
Hormis les deux personnes décédées dimanche et lundi, les violences des quatre derniers jours ont fait plus de 1500 blessés à Istanbul et au moins 700 à Ankara, selon les organisations de défense des droits de l’homme et les syndicats de médecins. Ces chiffres n’ont pas été confirmés par les autorités. Le porte-parole du gouvernement a évalué mardi à seulement 64 manifestants et 244 policiers le nombre des blessés.
La brutalité de la répression, largement évoquée sur les réseaux sociaux turcs, a suscité de nombreuses critiques dans les pays occidentaux. La porte-parole du Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navy Pillay, a demandé à la Turquie de mener une enquête « rapide, complète, indépendante et impartiale » sur « les policiers qui auraient violé la loi et les normes internationales des droits de l’homme ».
Leur presse (LeMonde.fr avec l’Agence Faut Payer, 5 juin 2013)
Istanbul : manif collective de clubs rivaux
Plusieurs milliers de supporteurs des clubs de football stambouliotes du Besiktas et de Fenerbahce, bien que rivaux, ont manifesté ensemble aujourd’hui au cinquième jour du mouvement de protestation contre le gouvernement qui agite l’ensemble de la Turquie.
Les supporteurs des deux clubs sont partis ensemble du stade du Besiktas pour réclamer la démission du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. « Nous nous battons ensemble, ce n’est pas que le Besiktas. Il y a Fenerbahce, Galatasaray, Bursaspor (à Bursa, ndlr), Karsiyaka (à Izmir, ndlr). C’est la Turquie qui se bat, pas seulement Besiktas », a expliqué Gokben, une supportrice de Besiktas âgée de 35 ans. « C’est vraiment incroyable. Il y a des supporteurs de différentes équipes, pour la Turquie », a ajouté Levent Kara, un étudiant de 24 ans.
Une photographie publié dans l’édition de lundi du quotidien Hurriyet montrait déjà des supporteurs de Fenerbahce et du Galatasaray participant ensemble aux manifestations contre le gouvernement turc. Des milliers de manifestants ont à nouveau envahi mardi soir la place Taksim d’Istanbul. À la nuit tombée, les protestataires scandaient des slogans hostiles au Premier ministre, malgré l’appel à l’arrêt des manifestations lancé à la mi-journée par le vice-Premier ministre Bülent Arinç.
Leur presse (LeFigaro.fr, 4 juin 2013)
Turquie : le jeu télévisé qui dérange
En Turquie la chaîne de télévision Bloomberg HT a suspendu hier la diffusion d’un jeu télévisé après que son présentateur eut posé la veille aux candidats des questions sur le mouvement de contestation antigouvernementale qui secoue le pays depuis six jours, a rapporté mercredi le quotidien Hürriyet.
« Masque à gaz », « police », « violence », « interpellation », « peuple », « censure », « pacifisme » : tels étaient les mots que devaient deviner lundi, après en avoir entendu la définition, les participants à « Jeu de mots », un programme en direct diffusé quotidiennement par Bloomberg HT.
Le lendemain de cette émission à la thématique inédite, la diffusion du programme a été interrompue, sans explication des responsables de la chaîne, a affirmé Hürriyet dans son édition internet. « La situation est un peu confuse en ce moment (…) Simplement, on m’a demandé hier de ne pas faire d’émission, ma tranche horaire a été donnée » à un autre programme, a déclaré Ihsan Varol, le présentateur de « Jeu de mots », cité par Hürriyet.
Les médias turcs ont été vivement critiqués par les manifestants. Ils jugent partiale et complaisante à l’égard des autorités leur couverture des protestations contre Recep Tayyip Erdogan et de sa répression par la police.
Environ 3.000 personnes ont défilé avant-hier à Istanbul aux cris de « On ne veut pas d’une presse soumise ! » devant les locaux du groupe de médias Dogus Holding, qui détient notamment la chaîne d’information en continu NTV.
Leur presse (LeFigaro.fr avec l’Agence Faut Payer, 5 juin 2013)
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