Le forcené retarde l’expulsion
Un père de famille d’Amiens s’est barricadé chez lui mardi avec sa famille après avoir menacé les forces de l’ordre de se tuer avec son fusil en pleine rue. Il devait être expulsé.
L’histoire aurait pu virer au drame. Menacée d’expulsion, une famille s’est barricadée hier à son domicile situé impasse Dame Jeanne, dans le quartier Saint-Leu, après avoir reçu la visite d’un huissier de justice. Accompagné des forces de l’ordre et de déménageurs, ce dernier s’était présenté chez eux vers 9 heures du matin afin d’exécuter un arrêté d’expulsion notifié le 25 octobre dernier.
Furieux, le père de famille, un homme âgé de 51 ans, est alors sorti de chez lui, un fusil de chasse pointé sur la gorge, et a menacé de mettre fin à ses jours en pleine rue. Prenant la menace très au sérieux, les policiers ont bouclé le quartier, interdisant tout passage aux riverains médusés par le scénario qui est en train de se jouer. « Lui, je ne le connais pas trop mais je parle parfois à sa femme, ce sont des gens bien, qui ne se font pas remarquer ici. C’est quand même abusé tous ces policiers juste pour une expulsion, faut pas exagérer quand même ! », s’étonne Éric Dumeige, un voisin de la rue Aristide-Briand.
Il est 10h50 : le forcené est toujours retranché dans la maison avec sa femme et leur fillette âgée de 5 ans. Les deux autres enfants du couple, âgés de 11 et 15 ans, sont à l’école. À l’extérieur, les forces de l’ordre poursuivent les négociations avec la famille par téléphone.
« On nous a promis une solution »
Au cœur des discussions : le logement qu’ils veulent continuer d’occuper. La famille avait en effet décidé de rentrer à Amiens en mars 2011 après avoir vécu 5 ans à Draguignan (Var). Ils se sont alors installés chez la mère du forcené, dans ce logement de l’impasse Dame-Jeanne qu’elle louait à la SIP, le bailleur social. La mère est décédée à cette même période mais le couple avait décidé de rester dans le logement. « Depuis, ils n’avaient jamais voulu régulariser leur situation, aujourd’hui, voilà ce qu’il se passe », croit savoir Cindy Bellanger, qui habite elle aussi le quartier.
Après plusieurs heures de négociations, c’est finalement la mère de famille qui parviendra à raisonner le forcené, réussissant à récupérer l’arme et à la mettre hors de portée. Calmé, l’homme accepte de discuter avec une assistante sociale puis avec un commissaire de police. Il veut obtenir des garanties. Le préfet est alerté.
Vers 11h30, le dispositif est finalement levé et le camion de déménagement repart, vide. Soulagé, Joël accepte de s’expliquer sur son geste désespéré : « Je n’aurai jamais fait de mal à personne mais s’ils avaient mis dehors ma famille, oui, je me serai fait sauter le caisson ! J’ai tout quitté à Draguignan, ma maison, mon emploi, ma vie, pour venir m’occuper de ma mère qui avait la maladie de Parkinson, malheureusement elle est décédée entre-temps. Mais qu’est-ce que je pouvais faire ? Mettre mes enfants à la rue, même ma petite fille de 5 ans qui est trisomique… Jamais ! On n’est pas des chiens quand même ! J’ai tout fait pour essayer de régulariser ma situation, j’avais prévenu tout le monde et personne n’a jamais voulu m’écouter. Je leur avais dit que je ne bougerai pas d’ici sans qu’on m’ait trouvé une solution. Aujourd’hui, c’est ma vie contre un logement. »
À ses côtés, Mireille, la mère de famille, tremble encore et tente d’apaiser les mots durs de son compagnon : « On nous a promis une solution avant juillet… »
La situation de la famille « reconsidérée »
Alerté, c’est finalement le préfet qui a décidé de lever l’exécution de la décision de justice en fin de matinée. « Des éléments nouveaux qui n’apparaissaient pas jusqu’à ce matin (Ndlr : mardi) dans le dossier nous ont amenés à reconsidérer la situation de la famille ». En mars dernier, dans le cadre de la loi Dalo (Droit au logement opposable), l’État avait en effet mis en demeure un bailleur social de trouver un logement à la famille. Demande restée vaine jusqu’à hier : une proposition de maison en plain pied adaptée au handicap de la fillette du couple a été faite dans la foulée par ce même bailleur.
Famille « sans droit ni titre »
Du côté du bailleur social la SIP, on précise que la famille occupe depuis mars 2011 le logement « sans droit ni titre » dans la mesure où le bail était au nom de la mère du forcené. Le bail aurait pu être mis à son nom si le père de famille avait réellement vécu avec sa mère « or il ne s’y est installé qu’après son décès », assure le bailleur. L’arrêté d’expulsion a été notifié le 25 octobre 2012. « Mais avant cela, plusieurs procédures ont été engagées, notamment au tribunal. C’est dommage d’en arriver là d’autant que la SIP aurait pu aider la famille à trouver une solution mais il n’y a jamais eu aucune démarche active de la part du couple ». Et, toujours selon le bailleur, aucune demande de logement n’aurait été déposée auprès de ses services.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Térézinha Dias, Courrier-Picard.fr, 22 mai 2013)