Espagne : L’incarcération de cinq anarchistes (et une grosse tambouille)
On a avait déjà publié ici le 30 avril dernier une petite note sur la propagande qui montait dans les médias espagnols contre la mauvaise partie du mouvement anarchiste : « Espagne : les services de renseignement contre les mauvais anarchistes ». Il y avait déjà une tambouille indigeste mélangeant la vieille théorie du triangle méditerranéen (Grèce-Italie-Espagne), la FAI-Informelle, et l’intervention offensive croissante, de façon générale, de compagnonNEs anonymes dans la conflictualité sociale et les manifestations. Depuis plusieurs jours, cette soupe est devenue encore un peu plus brouillée, selon une claire stratégie de semer toujours plus de division et de confusion à l’intérieur du mouvement.
Le 15 mai, le juge Santiago Pedraz (du tribunal spécial de Madrid, l’Audiencia Nacional) a lancé une série de perquisitions en Catatogne et a interpellé cinq personnes, qui seraient membres d’un collectif peu connu : Bandera Negra. Il existe certes un groupe qui se nomme de la même façon à Madrid (le Grupo Bandera Negra affilié à la Fédération Ibérique des jeunesses Libertaires, FIJL), et les médias ont abondamment mélangé les deux à base de facebook et de blogs. Un exemple de plus de la nuisance de ces instruments. Le groupe de Madrid a donc publié un communiqué déclarant qu’il « n’avait rien à voir » avec celui supposément démantelé en Catalogne, tout en réaffirmant par contre la nécessité de l’action directe et de la solidarité, en particulier avec un des arrêtés.
Cela réglé, cinq anarchistes, trois hommes et deux femmes, ont donc été arrêtés près de Barcelone, un à Sabadell, trois à Cantallops, et un à Avinyonet del Penedès. Dans cette première ville, c’est un squat qui a été perquisitionné, et en passant aussi, l’Ateneu Llibertari, dont la CNT est propriétaire, et qui sert de lieu d’assemblées à différents collectifs et aux indignés du coin. Inutile de dire que les « représentants » de cet athénée ont mal digéré la perquisition, et après avoir convoqué une conférence de presse à 18h puis 20h, ils se sont finalement fendus d’un communiqué où ils affirment par exemple que l’Ateneu Llibertari « est un lieu ouvert à tout le monde, où se réalisent des activités culturelles et de loisir, et pour ce type d’activités nous n’avons aucune preuve que quelque chose ou quelqu’un soit lié au groupe Bandera Negra ». Lorsque des individus sont accusés de création de groupe terroriste et d’apologie de terrorisme (les accusations seront plus précises les jours suivants), bien appuyer sur le fait qu’on est une MJC pépère basée sur le cinéma et le ping-pong est pour le moins un manque de solidarité, et relève un brin de la dissociation. Encore plus lorsque trois des perquisitionnés/arrêtés sont de la même ville. De son côté, la CNT de Sabadell a bien tenu à affirmer que « aucun des arrêtés n’est membre de l’Athénée Libertaire ou de la CNT », alors que tout le monde ignorait encore le nom de tous les cinq. La CNT de Sabadell est-elle dans les petits papiers de la préfecture, ou bien a-t-elle minutieusement vérifié grâce à son fichier de super-membres à jour de cotisation, qu’aucun n’était dans un poste de police ? En tout cas, en voilà encore une qui a rejoint la triste famille des « Cépanou-Cépanou ».
Aujourd’hui vendredi 17 mai, les cinq compagnons arrêtés sont passés devant l’Audiencia Nacional, qui les a envoyés derrière les barreaux. Un peu plus d’infos sont cette fois sorties dans la presse [Les communiqués de solidarité issus du mouvement sont rares et sommaires, parce qu’eux aussi avaient très peu d’infos directes. Quelques anarchistes de Barcelone ont par exemple affirmé leur solidarité sur Indy Barcelone le 16 mai]. Comme par hasard, c’est le matin même de leur audition devant le tribunal que la police a choisi de communiquer le résultat des perquisitions : des bidons d’essence (33 litres), des masques à gaz, des tubes en PVC à usage pyrotechnique, des clous à trois pointes, des cagoules, de la propagande anarchiste, des pétards et des ordinateurs… bref rien de spécial… si ce n’est en plus 5 kilos de fluoro-amphétamine (MDMA) et 350 grammes de cannabis.
Les délits dont le pouvoir accuse les compagnons sont : appartenance à un groupe terroriste (Bandera Negra) (art. 571 cp), dépôt de substances explosives et de munitions (art. 573), apologie de terrorisme (art. 578), sans compter l’histoire des stupéfiants pour deux d’entre eux. Plus précisément, ils sont tous accusés d’avoir mené plusieurs attaques incendiaires explosives à Barcelone et d’avoir été présents lors de la révolte des mineurs à Mieres (Asturies) à l’été 2012. L’apologie de terrorisme est liée à la gestion d’un compte facebook où se mélangerait « anarchisme insurrectionnaliste et communisme révolutionnaire, comme les campagnes d’exhalation de l’ETA et de ses prisonniers et des GRAPO », reproduisant les sigles de ces organisations et critiquant ETA pour avoir déposé les armes.
Des anarchistes-dealers fascinés par des idéologies autoritaires et nationalistes — voilà bien ce qui manquait pour jeter l’anathème sur les mauvais compagnons du mouvement espagnol. Mais en réalité, quand la police spécialisée se raccroche autant à de pauvres expressions virtuelles confuses [Selon l’agence de presse EFE, le juge Pedraz les accuse de « fixer des objectifs et de lancer des menaces sur Facebook, et plus précisément contre la Couronne d’Espagne, des représentants politiques, les forces et corps de sécurité de l’État, et des entités financières »], c’est qu’elle n’a pas grand chose d’autre à se mettre sous la main pour justifier la campagne de terreur qu’elle alimente depuis bientôt trois semaines.
Suite à leur incarcération cet après-midi par le juge du collège d’instruction n°1 de l’Audiencia Nacional, Santiago Pedraz, les enquêteurs ont aussi rajouté un peu de sel à la tambouille, en dévoilant que les cinq anarchistes auraient créé un Front Solidari Barcelona (FSB) en juillet 2012, devenu ensuite Kolectivo Bandera Negra (KBN), et que ce dernier aurait lui-même scissionné ensuite pour donner les Células Autónomas de Combate (CAC). Ces cinq compagnons sont donc accusés en particulier d’avoir monté trois jolis groupes en moins d’un an [« Front », « Cellules », beeuurk]… sur Facebook, et de se rendre à des manifs autrement que les mains dans les poches. Vivent les modes d’organisation informels et en groupes d’affinités qui ont fait tant jaser la presse espagnole ces dernières semaines, avant qu’elle ne vienne nous vomir les deux derniers jours ce pâté de préfecture bourré de sigles et de structures formelles.
Les compagnons incarcérés sont : Silvia Muñoz Layunta, Yolanda Fernández Fernández, Xavier González Sola, Juan José Garrido Marcos et José Carlos Recio Mínguez [Comme si tout cela ne suffisait pas encore dans cette histoire, la dépêche de presse dictée par le juge après leur incarcération, précise que Silvia Muñoz, Juan José Garrido, Xavier González Sola et José Carlos Recio étaient « membres » de KBN selon… les déclarations de José Carlos Recio lui-même, qui aurait « impliqué plusieurs de ses compagnons dans les faits reprochés, dont la cinquième incarcérée, Yolanda Fernández, qu’il a située comme membre du FSB »]. Ils ont été conduit à la prison de Soto del Real (Madrid).
Solidarité avec les anarchistes incarcérés, en Espagne comme ailleurs.
Brèves du désordre, 18 mai 2013