Nouvelle affaire de lait frelaté en Chine
Cinq ans après le scandale de la mélamine, la Chine peine toujours à instaurer un contrôle rigoureux des produits alimentaires.
Cinq ans après l’affaire de la mélamine, les scandales alimentaires se répètent en Chine. Un haut responsable d’une société partenaire du groupe suisse Hero a ainsi été arrêté pour avoir frelaté du lait pour bébés, ont annoncé des responsables jeudi 28 mars. Près de 25 tonnes de poudre ont été saisies dans les entrepôts de Xile Lier, son entreprise installée à Suzhou, dans l’est de la Chine.
D’après la chaîne de télévision nationale chinoise CCTV, qui a révélé l’affaire, la société avait mélangé du lait en poudre importé avec du lait périmé, changé la date de péremption sur les boîtes et fait passer du lait pour des enfants plus âgés pour du lait destiné à des nourrissons, qui est plus onéreux.
La question du lait pour bébés est particulièrement sensible en Chine depuis l’affaire de la mélamine en 2008, une substance utilisée à la place de protéines dans le lait qui avait provoqué la mort d’au moins six enfants en bas âge et des maladies chroniques chez 300’000 autres.
EXPLOSION DE LA DEMANDE DE LAIT IMPORTÉ
Les autorités de la ville de Suzhou affirment que la fabrique de lait en poudre de Xile Lier est à l’arrêt depuis novembre. Mais ses produits, vendus sous le label Hero Nutradefence, n’ont pas été retirés des rayons des magasins en Chine. Aucun responsable de la société n’avait pu être joint jeudi pour un commentaire.
Depuis le scandale de la mélamine, la demande pour le lait en poudre pour bébés importé a explosé en Chine, provoquant même une pénurie à Hong Kong qui a dû limiter la quantité de boîtes que les voyageurs sont autorisés à sortir du territoire.
Le groupe Hero, dont le siège se trouve à Lenzburg, dans le canton suisse d’Aargau, a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de 1,43 milliard de francs suisses (1,17 milliard d’euros). Dans un communiqué, la société a déclaré qu’elle « n’avait détecté aucun problème concernant la qualité et la sécurité de ses produits sur le marché chinois ». Le groupe « va continuer à surveiller étroitement ses sous-traitants de distribution pour s’assurer de la pureté des produits Hero vendus en Chine », a affirmé la société.
Presse frelatée (LeMonde.fr, 29 mars 2013)
Le lait frelaté est toujours au menu des Chinois
Avec 600 vaches, Zhang Liang gère la plus importante ferme laitière de Taicang, dans la province chinoise du Jiangsu. Elle appartient à son oncle et il y emploie trente personnes. Tout le lait est vendu au groupe Guangming, l’un des trois géants nationaux des produits laitiers. Sa production, assure le jeune homme, est d’une qualité bien supérieure aux standards imposés par le gouvernement. « Pour nous, dit-il, c’est très simple de les atteindre, ils sont très bas. » Quatre ans après le scandale du lait à la mélamine, qui avait éclaté le 16 juillet 2008 – le bilan allait s’élever à 294’000 enfants malades, 54’000 hospitalisés et 6 morts –, mais n’avait pas fait de bruit dans les médias locaux jusqu’à la fin des Jeux olympiques de Pékin, les standards de qualité du lait chinois laissent toujours à désirer.
Le 27 juin, le groupe Guangming a dû rappeler des packs de lait, une solution de nettoyage alcaline ayant contaminé 300 briques lors d’une opération de maintenance dans une usine. Quelques jours plus tôt, le 13 juin, le plus important producteur de Chine, Yili, avait dû rappeler six mois de production de lait en poudre pour enfants contenant un taux anormal de mercure.
L’entreprise familiale de Zhang Liang, explique celui-ci, investit dans de la nourriture de qualité pour ses vaches : du grain importé qui offre ensuite une meilleure rentabilité. Le nombre important de bovins permet également de réaliser des économies d’échelle. La ferme vend le lait à Guangming selon un prix établi par l’entreprise, sans négociation, en fonction de la qualité du lait.
COUPÉ AVEC DE L’EAU
« Les fermiers sont vulnérables, car ils n’ont aucun moyen d’influer sur le prix », confie le jeune producteur. Ce n’est pas un problème dans sa ferme, où les profits sont stables, mais les petites exploitations agricoles « ont beaucoup de mal à tenir l’équilibre, dit-il. Elles achètent de la nourriture de qualité médiocre, leurs équipements ne sont pas très avancés, leurs employés peu formés ». Ces exploitations produisent un lait de mauvaise qualité, qui leur est acheté à bas coût et qu’elles peuvent être tentées de couper avec de l’eau pour gagner sur la quantité.
Le gouvernement pourrait placer la barre plus haut, mais « il doit aussi penser à l’ensemble des fermiers du pays », explique Zhang Liang. C’est ce qui s’est passé en juin 2010, lorsque la Chine a redéfini les normes du nombre de cellules somatiques tolérables par millilitre de lait cru. Jusqu’alors existaient quatre niveaux de qualité, échelonnés entre 500’000 et quatre millions de cellules par millilitre. Les discussions, deux après le scandale de la mélamine, s’orientaient vers un consensus sur un nouveau standard unique, soit un maximum de 500’000 cellules bactériennes par millilitre et un minimum de 2,95 grammes de protéines pour 100 grammes de lait, rapporte, sous le sceau de l’anonymat – il n’est pas autorisé à parler à la presse étrangère –, un responsable d’association régionale d’industrie laitière qui a assisté à trois sessions de négociations.
« Cela a changé à la dernière minute », raconte-t-il. Au final, le nouveau standard adopté fut de 2 millions de cellules somatiques par millilitre – l’Union européenne n’en tolère que 400’000 et les États-Unis 750’000 –, et de seulement 2,8 grammes de protéines. Le même responsable soupçonne l’industrie d’avoir pesé de tout son poids : « Les entreprises ne peuvent pas formuler les normes, c’est le travail du gouvernement, mais elles peuvent influencer les autorités. » Il dit avoir questionné un officiel du ministère de la santé, qui lui a répondu qu’il s’agissait du « résultat de la coordination entre les treize agences concernées ».
100’000 VACHES IMPORTÉES EN 2011
Entre le lobbying de l’industrie et l’impossibilité pour l’État de laisser les fermiers les plus faibles sur le carreau, la Chine a du mal à faire face aux exigences de qualité, alors qu’il lui faut répondre à la demande chaque jour plus forte de ses nouveaux consommateurs. En 2011, le pays a dû importer près de 100’000 vaches laitières d’Uruguay, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.
« De ce que j’en comprends, les standards ont régressé, donc les consommateurs ont des raisons d’être en colère », commente Zheng Fengtian, vice-président de la faculté d’économie agricole et de développement rural de l’Université du Peuple, à Pékin. « La Chine compte 200 millions de petits fermiers, il est impossible de tous les contrôler. Certains ajoutent différentes substances à leur production pour augmenter leurs revenus », dit le Pr Zheng.
À ses yeux, la Chine doit organiser des coopératives de grande échelle afin de pouvoir mieux contrôler la production. Dans cet esprit, Yili a ouvert le mois dernier une ferme de 5000 bovins pour 220 millions de yuans (28,2 millions d’euros) et Mengniu, numéro deux du secteur, promet d’investir 3,5 milliards de yuans dans huit à douze fermes de grande taille, d’ici à 2015. Mais ces installations ne représentent pas encore la majorité de la production.
Pour Peter Ben Embarek, spécialiste de la sécurité alimentaire en Chine à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la volonté politique de changer existe chez les autorités chinoises, qui se sont lancées dans un colossal travail de révision des normes et mettent en place des cellules capables de gérer les crises.
Mais les services d’inspection pèchent toujours, notamment dans les régions plus reculées dépourvues de moyens. « Le contrôle public n’est pas fait de manière appropriée, ce qui laisse le secteur privé se développer sans encadrement », constate-t-il. La difficulté consiste à former les inspecteurs sanitaires: « Il en faudrait entre 100’000 et 300’000, ce qui demande beaucoup de temps. » En attendant, beaucoup d’incidents détectés restent liés à des manipulations intentionnelles, observe M. Ben Embarek : « Les produits sont dilués, des conservateurs y sont ajoutés, toujours pour gagner de l’argent au détriment de la qualité. L’appât du gain est d’autant plus fort que la probabilité d’être appréhendé est faible et la connaissance des risques liés à ces fraudes limitée. »
Presse frelatée (Harold Thibault, Taicang, province du Jiangsu, Chine – LeMonde.fr, 16 juillet 2012)