[What a fucking cake !] À propos des « Femmes de droite », d’Andrea Dworkin

http://juralib.noblogs.org/files/2013/03/02.gifWhat a fucking cake !

Passée la jolie couverture vert amande, où la ménagère, idéal-type des années soixante, offre entre sourire de modestie convenue et poitrine de profil un gros gâteau au chocolat, « abandonnez toutes espérances »…

On reconnaît bien les éléments du monde patriarcal où Andrea Dworkin nous mène, mais son éclairage très puissant nous montre comment ils en sont la constitution, l’architecture, le cœur.

Rouages

Les relations de domination, d’oppression et d’exploitation des femmes que les hommes entretiennent ne sont pas des relations parmi d’autres qui le seraient moins ou autrement, mais les rouages mêmes du système. Et on peut toutes les ramener au rapport d’exploitation sexuelle et reproductive, qui en est la clé de voûte.

A. Dworkin présente cette exploitation sous une lumière crue : il s’agit de l’exploitation des corps, du corps de toutes les femmes, destinés à la « baise » (the fuck) et à la production des enfants.

Le reste, les violences, les agressions sexuelles, l’exploitation économique et domestique, la prostitution, la pornographie, la culture et les pratiques de dépréciation, de mépris, d’ignorance, de moquerie et d’humiliation ne sont pas des phénomènes sociaux contingents, discrets, à considérer séparément, mais les colonnes de l’exploitation sexuelle des femmes. Elles servent à maintenir l’exploitation sexuelle des corps – orifices et matrices.

Pour durer le patriarcat doit les faire accepter comme normales, et mieux, comme désirables : c’est le rôle de l’idéologie culturelle de l’amour, du mariage, etc… (bien dénoncée par ti-grace atkinson).

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Andrea Dworkin

Mais Dworkin ne s’oriente pas dans cette direction, elle reste dans l’analyse matérialiste du rapport de force de l’exploitation des femmes. Son regard passe à travers les effets de la rhétorique culturelle, pour aller droit dans la vie matérielle des femmes, où l’objectif est de survivre, c’est à dire trouver les conditions de vie les moins difficiles.

… les femmes tentent désespérément d’incarner un idéal masculin parce que leur survie en dépend.

… Cette adaptation sexuelle, sociologique et spirituelle, qui agit comme une mutilation morale, constitue le premier impératif de survie pour les femmes vivant sous la suprématie masculine.

… Le vécu de souffrance des femmes est enseveli dans le mépris et l’invisibilité culturelle … (pp. 28-30)

Situation de crise

Christine Delphy le note en préface, le tableau dressé est celui d’une domination absolue montrant à quel point Dworkin juge la situation grave.

La radicalité de son analyse fait ressortir le peu de consistance de positions féministes modérées, de stratégies de programme, de revendications ponctuelles. Elle interroge les possibilités et modalités de changement véritable. Surtout lorsque l’appartenance à un groupe politique progressiste conduit les femmes à avaler davantage d’oppressions sous couvert de libération des mœurs, et que Dworkin en déduit une plus grande lucidité chez les femmes de droite.

Elle désigne un déterminisme social totalitaire où les femmes n’ont pas le choix de leurs conditions d’existence : « toute femme est réductible à son utérus, c’est l’essence de sa condition politique en tant que femme » (p.152). L’exploitation et l’oppression de la classe des femmes sont structurelles, formant système.

Dworkin fait voir les signes d’un « gynocide annoncé », et nous fait comprendre à quel point le modèle du bordel et celui de la prostitution sont tout à fait acceptés dans la structure sociale et comment cette mise à disposition des femmes est tout simplement acceptée parce que ce sont des femmes.

La situation est si accablante et désespérante qu’elle installe une fatigue, un sentiment d’impuissance et de vanité des combats, puisque les gains obtenus pour l’amélioration des conditions de vie des femmes laissent inchangé le fonctionnement des structures d’exploitation sexuelle.

Mais d’où vient l’espoir ?

Pourtant C. Delphy conclut en soulignant le paradoxe que « ce qui paraît le plus noir, c’est ce qui est éclairé par l’espoir le plus vif ».

C’est la pensée critique féministe qui permet de mettre la tête hors de l’eau ; mais si elle ne tient pas dans la durée, elle a peu d’efficace sur les conditions de vie. Pour durer et amener au changement, la pensée doit se faire radicale dans ce qu’elle fait voir, si radicalement qu’elle marque irrémédiablement les regards et la vision des choses.

La force de l’intelligence

La solution est, ne peut être que féministe, puisque leur vision annihile le système de polarité de genre qui réserve aux hommes supériorité et puissance, car elle voit les femmes comme des êtres humains dotés d’individualité … dont la vie ne serait pas déterminée collectivement, mais façonnée par elle-même, pour elle-même.

Bien que l’on ne puisse « pas savoir ce que les féministes veulent dire par là ; le concept de femmes non définies par le sexe et la reproduction est anathème, stupéfiant. C’est l’idée révolutionnaire la plus simple jamais conçue, et la plus méprisée. » (p. 190)

Traditionnellement et de façon concrète, le monde est amené aux femmes par les hommes ; ils constituent l’extérieur dont l’intelligence des femmes doit se nourrir. L’intelligence des femmes ne peut parcourir le monde pour son propre compte … les hommes sont le champ d’action où évolue l’intelligence des femmes. Mais le monde, le monde réel est beaucoup plus que les hommes.

PDBS

Andrea Dworkin : Les femmes de droite
avec préface de Christine Delphy,
Montréal, Éditions du remue-ménage, 2012
traduction : Martin  Dufresne et Michele Briand.
L’ouvrage est déjà en réimpression !

Entre les lignes entre les mots, 17 mars 2013

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