Les enfants de chômeurs interdits de cantine
SAINT-MEMMIE et SAINT-MARTIN-SUR-LE-PRÉ (Marne). Malgré la jurisprudence, les deux mairies ont clairement inscrit cette mesure dans leur règlement. À Saint-Memmie, le dispositif est même étendu à la garderie du matin.
Le règlement intérieur de la cantine scolaire de Saint-Martin-sur-le-Pré ne laisse aucune place au doute. « Sont admis à la cantine, après inscription annuelle à la mairie, les enfants de plus de 3 ans dont les parents exercent tous les deux une activité professionnelle dans la limite des places disponibles », peut-on y lire. Les mots sont mêmes soulignés et imprimés en caractères gras. Les enfants de demandeurs d’emploi n’ont donc officiellement pas le droit de manger à la cantine.
Or selon l’une des deux principales fédérations de parents d’élèves, la FCPE, « une jurisprudence administrative constante et un jugement du Conseil d’État (septembre 2009, affaire d’Oullins) confirment l’illégalité, dès lors qu’un service public de restauration scolaire est mis en place, de le réserver à certains enfants, par exemple ceux dont les deux parents travaillent ». La mairie de Saint-Martin-sur-le-Pré serait ainsi dans l’illégalité.
Jacques Jesson, maire UMP de la commune et conseiller communautaire, assume dans un premier temps cette sélection des enfants. « Cela a toujours été comme ça, parce que nous sommes un peu limite en capacité d’accueil » expliquait-il samedi, « et nous n’avons jamais eu de demande particulière ». Mais le lendemain, après avoir consulté son équipe, Jacques Jesson précise que « concernant le règlement intérieur, des dérogations sont régulièrement accordées ». Le maire jure que les « cas de chômage, maladie et accident de la vie » sont examinés « avec bienveillance ». Deux enfants seraient concernés. Mais alors, pourquoi maintenir un tel règlement ?
« 100 % des mairies concernées sont condamnées »
À Saint-Memmie aussi, le règlement du restaurant scolaire est explicite : « sous condition que les deux parents (ou le parent unique) travaillent, les enfants scolarisés peuvent bénéficier des services de la cantine scolaire », le texte est en ligne sur le site de la ville. Au chapitre « garderie, études et activités », le même site indique que la restriction est étendue à l’accueil des enfants de 7h45 à 8h30.
Le maire de Saint-Memmie, Pierre Faynot, également conseiller général, est moins expansif que celui de Saint-Martin-sur-le-Pré. « Je suis en vacances », fait-il savoir, avant d’ajouter qu’il n’a aucun élément sur le sujet. Pierre Faynot (PCD, le parti de Christine Boutin) a pourtant connaissance de ce règlement.
Rares sont les parents d’enfants rejetés du dispositif prêts à prendre le risque de témoigner (lire par ailleurs). « Beaucoup préfèrent être discriminés », regrette Sébastien Durand, dont le blog (www.enfants-tous-egaux.fr) répertorie l’actualité sur cette question. La peur d’une éventuelle réaction dont leur enfant serait la victime les intimide souvent. « Il faut savoir qu’en cas de recours devant la justice, 100 % des mairies concernées sont condamnées », insiste le blogueur, dont les espoirs se concentrent aujourd’hui sur l’adoption d’une nouvelle loi en la matière, « dont la force coercitive » serait plus efficace.
Il y a un an, la députée Michèle Delaunay (PS), aujourd’hui ministre déléguée chargée des Personnes Agées et de l’Autonomie, avait justement déposé un projet de loi dont l’article 1er stipulait que l’inscription à la cantine « est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation familiale, les revenus ou la situation géographique ». La FCPE demande à ce que ce texte soit voté. La fédération a également saisi le Défenseur des droits, Dominique Baudis.
L’an dernier, Michèle Delaunay expliquait que 70 communes de France pratiquaient une sélection à l’entrée des cantines selon des critères divers.
Maternelle Rimbaud, à Saint-Memmie. Des parents en colère
Le fils de Céline et Grégory est âgé de trois ans. Élève en petite section de l’école maternelle Arthur Rimbaud à Saint-Memmie, il expérimente malgré lui le règlement spécial en vigueur sur l’ensemble de la commune. « Je travaille le mardi, le mercredi et le jeudi », explique son père, « nous ne pouvons donc mettre notre enfant à la cantine et à la sieste que ces jours-là. Le reste du temps, ces services lui sont refusés ». Ce professeur de lettres n’accepte pas qu’une telle sélection lui soit imposée et a peur de ce qui va se passer à l’issue de son contrat de travail, prévue pour le 27 mars. « Juste avant les vacances de février, un mot dans le cahier de texte nous a informés que les enfants dont un des deux parents ne travaille pas ne pourraient plus venir à l’école l’après-midi », ajoute-t-il. La mairie aurait précisé au cours d’un conseil d’école que la sélection pour la sieste est « provisoire », elle serait effective le temps que la nouvelle école soit construite. L’établissement est en effet transféré dans des préfabriqués jusqu’à l’inauguration des nouveaux locaux.
Leur presse (Sébastien Laporte, LUnion.presse.fr, 11 mars 2013)