[Révolution égyptienne] Le fantasme de l’armée salvatrice

Égypte : Armée, sauve-nous ?!

Mahmoud Salem, un blogueur et activiste, se moque dans cet édito de ce fantasme de l’armée salvatrice.

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Le « groupe tiers » ou la « main de l’étranger » ou les « groupes de voyous indéterminés » sont extrêmement populaires et servent de boucs émissaires à toutes les erreurs du gouvernement, des forces de l’ordre, de l’armée, et ce de manière récurrente, et tous les médias locaux le reprennent — et la rhétorique n’a pas changé avec l’accession des Frères musulmans au pouvoir. »

L’armée est considérée par certains, ces derniers temps, comme un sauveur, un deus ex machina qui pourrait mettre fin aux crises politiques et économiques que traverse l’Égypte, en attrapant les Frères musulmans pour les remettre dans les prisons dont ils n’auraient jamais dû sortir, selon eux. Aussi étonnant que cela puisse paraître, certains révolutionnaires soutiennent ce point de vue. À la décharge de ceux qui prônent une telle solution, il faut admettre qu’il y a de quoi perdre son son sang-froid devant l’impression de grand n’importe quoi que nous donne l’actualité égyptienne : Port-Saïd en ébullition avec des morts et des centaines de blessés, rumeurs de kidnapping par la police secrète, de police et d’armée qui se tirent dessus (ah non pardon, c’est le fameux « groupe armé non identifié » qui fait ça exprès pour les embêter), gouvernement qui frise l’incompétence, opposition qui refuse de discuter, économie en chute libre, pénurie de gaz, retard des salaires… on va s’arrêter là.

Jeudi dernier, sur les sites web des journaux, on pouvait admirer une photo de l’ambassadrice américaine en Égypte, Anne Patterson, qui fêtait an mangeant des fraises l’autorisation par les États-Unis des importations de fraises égyptiennes.

Le même jour, on pouvait admirer une photo souriante du secrétaire d’Etat à la Défense, Abdel Fattah Al-Sisi, qui fêtait avec d’autres généraux cette grande victoire militaire qu’est la ré-ouverture de la buanderie de l’académie militaire égyptienne.

Deux jours avant, c’était une photo du juge Tahany el Gebaly, exemple-chef de la Cour suprême constitutionnelle, en train de réclamer, aux côtés d’hommes politiques de l’opposition, l’intervention de l’armée pour ôter le pouvoir aux Frères musulmans.

Cinquante nuances de Grey fait pâle figure à côté des doses de masochisme qu’on s’inflige chaque matin en lisant les nouvelles dans ce pays.

L’idée du retour au pouvoir de l’armée par un coup d’État contre Morsi devient très populaire, particulièrement dans les cercles non politisés. À tout le moins, c’est un indicateur de la déception de l’Égyptien moyen vis-à-vis des Frères musulmans et de l’opposition.

Alors que l’on voit l’État disparaître et une apocalypse économique s’annoncer, certains idéalisent l’époque où le Conseil militaire était au pouvoir.

Que des révolutionnaires et des conservateurs soutiennent l’idée est hilarant. Parce que, attendez un instant, voyons à quoi ça rime.

Chère armée,

Pourrais-tu s’il te plaît renverser Morsi, au risque d’entamer une guerre civile avec les islamistes, mais surtout ne pas revenir au pouvoir après ? Et pendant que tu y es, ça serait sympa d’arrêter de faire passer les civils devant des tribunaux militaires. Ah, et aussi ça serait bien qu’on puisse examiner ton financement. Et si on pouvait aussi élire un civil pour te diriger ?

Ca sera tout, promis.

Bisous,
les révolutionnaires.

Quant aux conservateurs, ils s’imaginent que l’armée est une institution patriotique qui s’inquiète principalement de la sécurité du pays, laquelle est menacée par ces jihadistes islamistes en liberté dans le pays et la « frérisation » de l’armée. Ils croient donc, par des « sources militaires anonymes » que l’armée veut renverser Morsi – à compter qu’elle ait le soutien du peuple. Bref, après l’armée pourra arrêter (ou tuer, on n’est pas à ça près) les Frères musulmans et les salafistes, et mettre au pouvoir des civils.

C’est peut-être lorsque le Conseil militaire était au pouvoir que les jihadistes armés sont revenus en masse, mais tant pis. C’est lorsqu’il était au pouvoir qu’ils ont fait rentrer des armes en contrebande dans le pays. Et aussi l’armée ne s’est pas opposée à une Constitution qui fait disparaître l’article mentionnant l’interdiction des milices civiles.

Mais pourquoi l’armée ferait-elle ça ? Elle bénéficie de l’opacité de son financement et ses possessions et son approvisionnement par les États-Unis ne semble pas menacé.

Même si elle n’aime pas les Frères, il est plus judicieux pour elle de les laisser se débrouiller avec ces râleurs d’Égyptiens, les laisser se planter, et garder leur statut de sauveur.

Pour couronner le tout, la génération actuellement à la tête du Conseil militaire n’a jamais fait de vraie guerre, elle ne serait pas prête à lancer une guerre civile. Tantawi et Enan avaient participé à de vraies guerres, c’est peut-être pourquoi le massacre collatéral de manifestants ici et là ne leur faisait ni chaud ni froid.

La génération actuelle a grandi en même temps que l’empire économique de l’armée, et elle bénéficie d’une compagnie qui ne paie pas d’impôts, où les employés peuvent être mis en prison s’ils font mal leur boulot, et peuvent la défendre militairement, et qui est auto-suffisante. C’est ce dont tout patron rêverait. Pourquoi l’armée quitterait-elle ce boulot de rêve pour venir diriger cette société où les employés ne sont jamais contents, toujours en grève, passent leur temps à se disputer entre eux et refusent d’obéir ? Ça vous tenterait, vous ?!

Presse contre-révolutionnaire (traduit et adapté du texte de Mahmoud Salem publié sur DailyNewsEgypt le 4 mars 2013, Sophie Anmuth, blog.SlateAfrique.com)

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