Pour Mélenchon, « ce qu’est Chávez ne meurt jamais »
Reportage – Devant les journalistes mercredi matin, le coprésident du Parti de gauche s’est présenté ému et a défendu le président vénézuélien, un homme qui « a fait progresser d’une manière considérable la démocratie ».
Il s’est présenté à la presse en cravate noire. La rouge rangée au placard le temps du « deuil ». Derrière lui, un drapeau tricolore a été installé. Signe du caractère officiel de cette déclaration : « Nous nous sentons liés de cœur plutôt qu’aux commentaires haineux, vulgaires, que nous voyons se multiplier dans les médias européens ». Ému, le visage imprégné de tristesse, Jean-Luc Mélenchon parle d’une voix grave, les yeux rougis.
Sur la petite scène rouge de l’Usine, siège éternellement temporaire du Parti de gauche (PG), il poursuit, d’un ton calme : « Uni de cœur au peuple argentin qui respectera un deuil national de trois jours, uni de cœur au peuple de Cuba qui respecte un deuil national de trois jours, uni de cœur au peuple de l’Équateur (…) à la Bolivie, qui respectera un deuil national de sept jours ». Dehors, sur la façade du bâtiment, le drapeau vénézuélien a été hissé, entouré de deux bannières du Parti de gauche. À l’intérieur, des photos d’Hugo Chávez et l’étendard du Venezuela, plié et marqué d’un ruban noir, accompagnent trois bougies sur une table nappée de rouge.
Révolution par les urnes
« Ce qu’est Chavez ne meurt jamais. C’est l’idéal inépuisable de l’espérance humaniste, de la révolution, reprend Mélenchon, le poing serré sur le pupitre, tremblant. Les Européens si prétentieux, arrogants, méprisants, l’infecte social-démocratie qui depuis 24 heures se répand en injures contre les figures progressistes d’Amérique latine feraient bien de se souvenir qu’au Venezuela contrairement à la France (…) on a fait reculer la pauvreté de manière spectaculaire, éradiqué ce qui est classé comme extrême pauvreté (…) Voilà le bilan que nous portons fièrement à l’heure où l’image de Hugo Chávez va se retirer. »
Le coprésident du Parti de gauche se montre profondément marqué par la mort d’Hugo Chávez. Pas seulement parce qu’il le connaissait personnellement. Surtout parce que le modèle vénézuélien de l’« assemblée constituante » et d’une « révolution par les urnes » est une de ses inspirations : « Chávez a été la pointe avancée d’un processus large dans l’Amérique latine, qui a ouvert un nouveau cycle pour notre siècle, celui de la victoire des révolutions citoyennes ». Formule qu’il a importée d’Amérique du Sud pour la présidentielle de 2012.
« Autocrates de notre pays »
Mélenchon n’était pas un intime de Chávez. S’il a commencé à s’intéresser à l’expérience vénézuelienne en 2001 — trois ans après la première élection du « Commandante », lors d’un voyage comme ministre de Lionel Jospin au Forum social de Porto Alegre —, ses rencontres avec lui se comptent sur les doigts d’une main. Deux « voyages d’études » à Caracas en 2006, où il met « les doigts dans la prise », et un plus récent, l’été dernier, où il reste une dizaine de jours et participe à la campagne électorale du président sortant, l’accompagnant dans ses rassemblements populaires.
Pour le coprésident du PG, Chávez « n’a pas seulement fait progresser la condition humaine des Vénézuéliens, il a fait progresser d’une manière considérable la démocratie, assume-t-il devant les journalistes. C’est sans doute sa contribution majeure à la lutte socialiste de notre siècle. » Déplorant que certains médias parlent de « dictateur » ou d’« autocrate », Mélenchon rappelle que « Chávez a mené toutes ses batailles sur le plan électoral ». « Et quand il a perdu un référendum, poursuit-il, lui, il a respecté la décision au contraire des autocrates de notre pays et du reste de l’Europe ». Référence au « non » des Français en 2005, lors du référendum sur le projet de constitution européenne, et « jamais respecté ».
Et même si Chávez a usé dans son pays des pleins pouvoirs, « la démocratie a progressé au Venezuela », défend le député européen. « La constitution a été écrite et voulue par le peuple, rappelle-t-il. Je suggèrerais aux donneurs de leçons » de créer « des référendums révocatoires permettant de faire partir un député, un gouverneur (…) voire même le président de la République. »
« Pas de pacte avec les fascistes »
Quant aux poignées de main entre Chávez et le président iranien Mahmoud Ahmadinejad — qui a évoqué la mort d’un « martyr » — ou le syrien Bachar Al-Assad, pas un mot non plus. « Jean-Luc a toujours été clair là-dessus. Il leur a dit plusieurs fois », le défend Raquel Garrido, responsable du secteur international du PG et spécialiste de l’Amérique du Sud. « On ne fait pas de pacte avec les fascistes », leur a-t-il répété.
Répondant aux « commentaires » d’un « niveau lamentable » de la « propagande », Mélenchon, face à la presse, se met à interpeler son auditoire : « Comment pouvez-vous être aussi infâmes et aussi bas ? Comment pouvez-vous être devenus à ce point aussi insensibles à ce que représente le progressisme latino-américain dans ces moments de l’histoire pour avoir pour tout commentaires des insultes ? » Sa voix se fait plus incisive : « Les cendres de Chávez sont chaudes, sont brûlantes, et nous avons au cœur non seulement l’idée que nous continuons ce combat, mais la haine intacte que nous avons contre les puissants et les puissances qui même à l’heure de la mort sont incapables du respect qu’ils manifestent pour tant d’autres qui le méritent moins ».
Mélenchon n’aura « pas le temps » de sauter dans un avion pour être présent aux obsèques de vendredi à Caracas. « Il est tout entier comme une légende qui entre dans l’imaginaire collectif des peuples de l’Amérique latine, a l’instar du Che Guevara qui n’a été célébré que quand tout le monde a été bien sûr qu’il était mort ». Pour ses proches, aucun doute : « L’impulsion de Chávez survit en France en Jean-Luc Mélenchon ».
Leur presse (Lilian Alemagna, Liberation.fr, 6 mars 2013)