Chine. Un village se rebelle… Simple étincelle ou début d’un incendie ?
Des dizaines de carcasses de voitures, des banderoles réclamant « avec force des élections légales et démocratiques », des barrages policiers… Comme l’a révélé l’AFP dimanche 3 mars, les habitants du village de Shangpu, dans le sud de la Chine, tiennent tête depuis une semaine aux autorités locales. Un face-à-face peu banal dans ce pays.
Alors que l’Assemblée nationale populaire a ouvert mardi sa session annuelle, dernier épisode de la transition à la tête du pays, francetv info revient sur cette rébellion et sur ses possibles conséquences.
Une révolte des villageois pour défendre leurs terres
Tout commence par un contrat passé entre le chef du village et un homme d’affaires local pour la location de 33 hectares de terres agricoles appartenant à la commune. L’entrepreneur projette de construire dans les rizières des usines de câblage électrique. Les habitants, qui craignent de ne pas être correctement indemnisés pour la perte de leurs récoltes, s’opposent à la transaction.
« Les cadres du village ont fait une opération illégale et loué les terres à bas prix », argumentent-ils dans une pétition remise aux autorités. Ils réclament le droit de donner leur avis sur le projet et le droit d’élire de manière transparente le chef du village. La situation dégénère lorsque, le 24 février, des hommes de main, employés selon les villageois par l’entrepreneur et le chef du village, débarquent à Shangpu pour mater la contestation. Armés de pelles et d’autres armes, ils sont accueillis par une volée de bambous et de briques.
Les villageois prennent le dessus et brûlent les véhicules des assaillants, qui jonchent désormais l’entrée du village. Huit habitants sont blessés, six sont arrêtés. Depuis cette bataille, le calme est revenu. Les autorités, qui souhaitent probablement éviter tout débordement pendant la session annuelle, se contentent de bloquer les accès au village. « Nous avons peur qu’elles reviennent », explique un villageois, bien conscient que ce statu quo ne devrait pas durer.
L’expropriation embrase les campagnes chinoises
Des incidents comme celui de Shangpu, la Chine en connaît des centaines de milliers chaque année. Selon une étude (en anglais) conduite par l’institut américain Landesa, l’université du Peuple de Pékin et l’université du Michigan, le pays a connu pas moins de 187’000 manifestations de masse et émeutes en 2010, un chiffre impressionnant qui recouvre également des incidents de bien moindre importance que celui de Shangpu. Toujours selon l’étude, l’expropriation est à l’origine de deux tiers de ces événements.
En République populaire de Chine, même si la loi a évolué depuis l’époque maoïste, la terre appartient toujours à la collectivité (État, ville, village, etc). Comme l’explique le site de l’ambassade de France à Pékin, un paysan est donc obligé de signer un contrat d’exploitation avec la collectivité. Ce système n’apporte guère de protection contre l’expropriation, laissant aux autorités locales une grande marge de manœuvre en la matière.
De fait, les officiels locaux en profitent pour financer leur collectivité et s’enrichir personnellement. Toujours selon l’étude de Landesa, citée par Reuters (en anglais), le montant moyen des compensations versées aux agriculteurs s’élève à 13’666 euros par acre (0,4 hectare) pour des terres relouées aux promoteurs immobiliers 566’000 euros par acre. Selon le Wall Street Journal (en anglais), un projet de loi est en cours d’élaboration pour régler ce problème. En attendant, les agriculteurs continuent de descendre dans la rue.
Les espoirs déçus de Wukan
Si toutes ces révoltes ne prennent pas l’ampleur de celle de Shangpu, l’histoire de ce village rappelle le printemps de Wukan, à 100 km de Shangpu. En septembre 2011, les habitants de ce bourg de 13’000 âmes se révoltent contre le chef du parti local, accusé d’avoir bradé un tiers des terres du village. Onze semaines plus tard, les autorités provinciales donnent raison aux manifestants.
Les cadres corrompus sont emprisonnés et des élections libres sont organisées. Si les chefs de village sont élus en Chine depuis les années 1980, le scrutin est généralement confisqué par le parti, qui gère les candidatures. L’élection de Wukan en mars 2012 est le premier exemple de scrutin libre. Sept personnes, dont des leaders de la révolte, sont élus au comité de village.
Un an après, plus personne ne parle de printemps. Les problèmes de terrain ne sont toujours pas réglés. « Nous avons viré les officiels corrompus pour récupérer nos terres, mais nous n’avons rien reçu. Et le nouveau comité ne nous a pas donné d’explications », déplorait un villageois le 15 février dans le South China Morning Post (en anglais).
Les nouveaux dirigeants du bourg sont également amers. L’un des meneurs de la révolte, élu au comité de village, a depuis démissionné. « Je me suis rendu compte que je ne pouvais rien faire », a-t-il expliqué fin février à Reuters (en anglais).
À l’échelon supérieur, le canton, la province et le pays, les règles du jeu n’ont pas changé. Le petit village démocratique reste coincé sous une écrasante pyramide d’intérêts et de pouvoirs. Dans cet environnement hostile où la liberté d’expression et l’État de droit ne sont pas garantis, des expériences comme celle de Wukan ou de Shangpu ont de grandes chances d’être tuées dans l’œuf.
Leur presse (Thomas Baïetto, francetvinfo.fr, 5 mars 2013)
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