Les manuscrits de Tombouctou, victimes des islamistes et de la corruption
Les islamistes qui occupaient la ville mythique du nord du Mali depuis avril n’ont pas seulement tenté d’asservir les populations. Ils s’en sont probablement pris aux plus précieux témoignages de leur culture ancestrale. Les manuscrits de Tombouctou, ces dizaines de milliers de documents témoignant du foisonnement intellectuel de l’Afrique précoloniale depuis le XIIe siècle, auraient aussi fait les frais de leur passage. Plusieurs témoignages cités affirment que des bâtiments les abritant auraient été détruits par les forces d’occupation, avant qu’elles ne quittent la ville, chassées par l’avancée des soldats français et maliens. « Les rebelles ont mis le feu à l’institut Ahmed-Baba créé récemment par les Sud-Africains (…). Cela s’est produit il y a quatre jours », a déclaré, lundi 28 janvier, Halle Ousmane, maire de Tombouctou qui, réfugié à Bamako, dit en avoir été informé par son chargé de communication, mais ignorer l’étendue des dégâts.
« Si cela se confirmait, ce serait une catastrophe pour le patrimoine du Mali, une perte immense pour l’histoire de la littérature mondiale et de l’Afrique de l’Ouest d’avant la colonisation », réagit Bruce Hall, professeur d’histoire à l’université américaine de Duke, interrogé par Le Monde. Spécialiste du Sahel, M. Hall a dépouillé pendant des années des manuscrits à Tombouctou pour nourrir son dernier livre consacré aux relations entre Noirs et
Arabes en Afrique de l’Ouest de 1600 à 1960. Sur les 200’000 pièces d’archives répertoriées dans la région de la boucle du fleuve Niger, 25’000 à 30’000 sont conservées à Tombouctou par l’Institut national Ahmed-Baba, du nom d’un homme de lettres du XVIe siècle. Des milliers d’autres restent la propriété de familles de la ville qui les archivent avec un soin variable.
CORRUPTION ET TRAFICS
Ces documents, des papiers mais aussi des peaux de chameau ou de mouton, portent des écrits en arabe ou en peul de nature religieuse, juridique, poétique ou scientifique qui témoignent de la richesse, de l’ancienneté et de l’ouverture de la culture soufie, l’islam local. « C’est la forme d’islam que les occupants actuels veulent détruire, souligne Bruce Hall. Mais cela m’étonnerait qu’ils aient pris le temps de les lire. S’ils ont détruit des manuscrits, c’est sans doute plutôt pour se venger des Maliens noirs ou des organisations occidentales qui ont protesté contre le saccage par eux des mausolées religieux. »
L’historien espère que « ce n’est pas vrai », soulignant que les manuscrits de Tombouctou sont devenus un véritable business : on a grossi leur nombre ou brandi la menace de leur disparition pour obtenir des crédits ou nourrir des trafics. Il précise que le nouveau bâtiment de l’Institut Ahmed-Baba inauguré en 2009 ne contenait en réalité pas de documents précieux, le directeur ayant refusé de les y transférer afin d’obtenir davantage d’aides.
Certains manuscrits ont été cachés à Bamako, voire à Paris. D’autres, à Tombouctou, se trouvent en réalité dans l’ancien siège de l’Institut, au sud de la ville. Pour le chercheur, « s’ils ont mis à sac ce vieux bâtiment, c’est une catastrophe ».
Mais selon lui, la destruction de ces archives, ou la menace continuelle qui pèse sur elles, souligne un autre scandale : « Des millions de dollars ont été dépensés depuis dix ans pour les sauver en les numérisant, notamment par l’Unesco et des fondations américaines. Presque rien n’a été réalisé. Et ce qui a été numérisé est seulement conservé sur des ordinateurs à Tombouctou ! », fulmine-t-il.
À entendre M. Hall, la corruption malienne n’est pas seule en cause. « L’argent a disparu au Mali, mais aussi dans les mains de pseudo-experts occidentaux qui ont beaucoup discouru et peu agi. » Dans cette affaire, conclut l’universitaire, « personne n’a les mains propres ».
Publié par un ignare qui ne s’est pas foulé à aller chercher sur Wikipédia ses pauvres « informations » sur le grand humaniste Ahmed Baba (Philippe Bernard, LeMonde.fr, 29 janvier 2013)
Il existe au moins un livre paru récemment et comprenant une traduction d’au moins 3 de ces textes, en voici la présentation :
BOHAS G., SAGUER A., SINO A.
Les manuscrits de Tombouctou. Alexandre à Tombouctou. Histoire du Bicornu. Le manuscrit interrompu, 2012, 240 p. (Français )
‘Tombouctou fut, pendant la période médiévale, une capitale de la culture et du savoir. Traces et témoins de cette période de gloire, il nous reste les manuscrits : environ 180 000 ouvrages, dont la plupart ne sont pas catalogués et sont stockés dans des conditions très précaires. Depuis 2009, une équipe s’est donnée pour mission de sauver ces manuscrits de l’oubli en les traduisant et en les publiant. Ce premier volume, qui traite de la vie romancée d’Alexandre, constitue le point extrême de l’avancée du roman d’Alexandre vers l’Occident. S’y entremêlent des légendes coraniques, probablement d’origine syriaque, concernant le Bicornu : quête de la source de vie, construction de la barrière contre Gog et Magog, les grands moments de la vie d’Alexandre : ses victoires sur Darius et sur Porus, des passages du pseudo-Callisthène comme l’histoire de Candace et Candaule, avec des récits merveilleux comme ceux du “château enchanté” et du “pays des Djinns”.