La distribution synchronisée des logements sociaux met le feu aux poudres
LA CULTURE ÉMEUTIÈRE « REPREND-ELLE SES DROITS » ?
Après les troubles sociaux ayant, entre les mois de septembre et décembre, accompagné le démantèlement de certains commerces informels, opération qui est en train d’être partiellement remise en cause sur certains trottoirs et rues des grandes villes, la rue algérienne renoue avec les troubles et les émeutes à l’occasion de la distribution de logements sociaux. Cette distribution, bien que des milliers de logements soient prêts à être livrés, a été gelée pendant plusieurs semaines pour, dit-on, lui éviter les interférences avec la campagne électorale pour le scrutin du 29 novembre dernier. Interférence signifie, dans ce cas de figure, possibilité, pour les candidats aux communales, d’utiliser le logement social comme puissant moyen d’acquérir des voix, une sorte de clientélisme qui n’a pas, comme on nous en donne l’impression, été complètement absent durant la campagne, puisque l’octroi de ce type de logement est devenu une promesse dans la bouche de certains candidats. Passé le scrutin, les choses semblent se corser davantage. Des dizaines d’Assemblées communales sont encore dans l’expectative, quant à la désignation du maire. D’autres, tout en se voyant présidées par un maire, ne se sont pas encore complètement remises des luttes acharnées qui ont précédé cette opération.
C’est dans ce climat peu serein que le gouvernement a décidé de reprendre la distribution de logements sociaux. Il faut être, sans doute, d’une ingénuité débridée pour s’attendre à un climat festif couronnant l’affichage de la liste des attributaires et la prise de possession des familles de leurs logements. Dans la plupart des distributions tentées ces trois dernières semaines, cette prise de possession n’a pas eu lieu, et pour cause. Déjà, la veille même de l’affichage, tous ceux qui se savent exclus de l’attribution, avec d’autres jeunes prêts à n’importe quelle aventure, préparent le terrain de l’émeute. On a vu dans certaines villes de modeste envergure, des pneus acheminés la veille sur les points choisis de la protestation. Là où la combustion des pneus doit s’effectuer et la circulation automobile être bloquée. Le plus cocasse dans l’affaire est que dans certains cas, la page facebook de la ville en question, il en existe des centaines, est exploitée par les animateurs pour donner toute l’info qu’il faut. Sur la base d’informations qui soulignent le risque lié à l’affichage de la liste des attributaires de logements sociaux, les services de sécurité pointent, dès le potron-minet, au portail de la daïra, avec gourdins, chars pneumatiques et autres éléments qui n’annoncent aucune atmosphère de fête qu’on aurait pu souhaiter, dans une opération de distribution de logements. La particularité de la distribution de logements sociaux opérée après les élections locales est qu’elle est grevée de deux handicaps. Elle se déroule dans un moment d’instabilité des exécutifs communaux, même si la liste est établie au niveau de la daïra, puis, elle est synchronisée à l’échelle du pays. Donc, les émeutes se synchronisent également, ce qui met les autorités de wilaya dans une situation embarrassante, ne sachant où donner de la tête.
De tout ce dossier de logements sociaux, la partie la plus saillante, celle que la presse et la rue mettent en relief, demeure le mouvement de protestation qui accompagne, d’une façon automatique l’affichage des listes. C’est l’émeute. « De quoi se compose l’émeute ? De rien et de tout. D’une électricité dégagée peu à peu, d’une force qui erre, d’un souffle qui passe. Ce souffle rencontre des têtes qui pensent, des cerveaux qui rêvent, des âmes qui souffrent, des passions qui brûlent, des misères qui hurlent, et les emporte. Où ? Au hasard. À travers l’État, à travers les lois, à travers la prospérité et l’insolence des autres », écrit Victor Hugo, dans Les Misérables.
Les promesses de revoir les listes des attributaires, d’étudier les recours, ou de construire de nouveaux logements ne font cesser les protestations que le temps de revenir sur les lieux de la suie des pneus. Et les désagréments causés aux automobilistes, aux camions transporteurs de ciment, de briques ou de graviers ? Voire à des ambulances transportant des malades sur un hôpital ? Ils font, apparemment, partie du compte »pertes et profits ». Ils subissent une forme de « mal nécessaire », mais qui se répète malheureusement des dizaines de fois dans l’année pour moult raisons (coupures d’eau ou d’électricité, routes dégradées,…).
La route nationale n° 25 a été coupée, il y a une semaine au niveau de la localité de Aït Yahia Moussa, pour protester contre la liste des attributaires de logements sociaux. Sur cette route étroite et sinueuse, qui suit la vallée exiguë de l’Oued Bouguedoura, aucune sortie de secours pour les véhicules bloqués sur des centaines de mètres. Certains automobilistes se sont aventurés sur le massif, peu sécurisé, de Sidi Ali Bounab, d’autres ont choisi la direction de Boumahni, un autre massif que l’on gagne à partir d’Iâallalène. De folles équipées imposées à des citoyens qui n’ont aucune relation avec l’événement.
Parfois des dérapages surviennent lorsque la colère des uns et des autres ne trouve aucun sage modérateur. Car, au cours de ces dernières années, la culture de l’émeute s’est tellement ancrée dans l’esprit des jeunes qu’elle sert parfois d’exutoire à un vide sidéral frappant cette frange importante de la population en matière d’emploi, de loisirs et de divertissement. C’est pourquoi, des jeunes qui n’ont aucun lien avec la distribution de logements, s’impliquent parfois dans ces chaudes arènes où, si l’on en connaît le début, on est loin d’en prévoir la fin et … les conséquences.
Il se trouve, malheureusement, que la culture du dialogue et de la communication entre gouvernants et gouvernés est la marchandise la plus rare dans la maison Algérie. Comme le développement est un tout insécable (niveau de vie, santé, culture, éducation,…), le sous-développement l’est autant. Et il est difficile de trouver un concept plus adapté pour qualifier ou caractériser cette situation d’anarchie, où le citoyen se fait justice lui-même, devant des canaux de dialogue qui n’ont jamais été bien exploités par les pouvoirs publics, quand ils ne les obstruent pas. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État (logements sociaux, soutiens à certaines catégories de citoyens,…), et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons sont apparemment les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation.
Tant que les structures de l’État et les Collectivités locales, dans lesquelles les jeunes placent leurs espoirs, continuent à gérer, à subventionner et à agir avec un esprit de clientélisme et dans un climat d’opacité, il serait chimérique de s’attendre à des protestations »civilisées » tendant à obtenir légalement réparation.
Leur presse (Amar Naït Messaoud, DepechedeKabylie.com, 23 décembre 2012)
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