Hier [samedi 15 décembre] sur le coup de seize heures, cinquante personnes ont manifesté en plein cœur du SISQA (salon international de la sécurité et de la qualité alimentaire, du 13 au 16 décembre au Parc des expositions de Toulouse) leur hostilité au puçage électronique des animaux et des humains.
Ils ont perturbé trois quarts d’heure durant le déroulement lisse et harmonieux de cette foire de la surconsommation qui sert de vitrine à l’agriculture midi-pyrénéenne, et constitue une des fiertés (au même titre que Golfech et les emplois de Sanofi) du président de région Martin Malvy. Ce dernier, qui faisait visiter le salon à diverses huiles parmi lesquelles le pitoyable Jean-Pierre Coffe, a dû battre en retraite devant le vacarme de cette manifestation imprévue.
Après avoir déployé une première banderole en plein cœur de la ferme des animaux (NON AU PUÇAGE), les perturbateurs ont défilé entre les centaines de stand en distribuant un tract dont le verso est joint à ce message, en dialoguant autant que faire se peut avec les producteurs et les consommateurs, et en chantant. Malgré quelques frottements avec les vigiles, ils ont pu gagner la sortie où ils sont restés un moment rassemblés autour d’une seconde banderole, énonçant le cri du cœur suivant : SIS’CASSE TOI, TU PUCES ! (…)
NOS FERMES NE SONT PAS DES USINES
Pourquoi nous refusons le puçage électronique des chèvres et des brebis
Depuis plusieurs années, un certain nombre d’éleveurs affirment leur refus du puçage électronique des bêtes. Depuis juillet 2010, la pose de puces RFID (qui sont des mini-ordinateurs) à l’oreille des agneaux et des chevreaux est rendue obligatoire en France par une réglementation qui traduit une directive européenne. Dans le courant de 2013, ce sont toutes les chèvres et les brebis qui devront être pucées.
Des personnes qui ne se voient pas comme de simples producteurs (de viande, de lait…) refusent d’obtempérer devant cette énième injonction administrative. Elles risquent pour cela de se voir supprimer une bonne partie de leurs primes, sur lesquelles reposent pourtant leurs revenus. Des groupes se sont créés, à différents endroits de France, pour organiser une résistance à cette obligation absurde. Ils rassemblent parfois aussi des gens extérieurs à la profession agricole. On peut avoir un aperçu de cette lutte à travers le film Mouton 2.0 (qui se trouve en librairie ou sur internet) et à travers les textes rassemblés sur le site contrelepucage.free.fr.
Notre refus est motivé par la conviction que ce type de contrôle s’inscrit dans un long processus qui confisque de l’autonomie aux individus, modifie le travail humain et le standardise de plus en plus. C’est d’abord dans les usines que les gestes ont été répertoriés, décomposés, transformés, recomposés et restitués au travailleur sous forme d’injonction. Puis, cette tendance à la rationalisation a envahi tous les secteurs d’activités. Actuellement, elle se renforce terriblement grâce à l’ordinateur et à internet, vecteurs parfaits de la bureaucratie et du taylorisme. Partout dans le monde du travail, on automatise pour gérer la masse au détriment du soin et de l’attention : que ce soit à l’école, à l’hôpital, dans les services sociaux, les bibliothèques ou … les élevages, on met à l’écart le savoir-faire personnel, on neutralise l’initiative individuelle.
Nous pensons que le monde agricole offre une bonne loupe pour comprendre cette dynamique perverse à l’œuvre dans notre monde. Nous refusons le puçage car nous ne voulons pas de la traçabilité de tout et de tous comme remède aux pathologies d’une organisation sociale démesurée. Nous rejetons la production de masse, qu’il s’agisse de nourriture, de services ou des multiples faux besoins que le capitalisme industriel a créés.
S’il est impossible de garantir que la nourriture produite sur le marché mondial ne soit pas un poison, alors c’est le marché mondial qu’il faut remettre en cause. On ne peut pas espérer que ce marché puisse être amélioré moyennant quelques labels ou quelques règles de plus. Il ne peut y avoir de qualité dans une organisation sociale où 2 % de la population produit la nourriture pour tous les autres (c’est notamment le cas de la France). Dans une pareille situation, la qualité fait défaut à tous les niveaux. Il ne peut y avoir une bonne qualité de vie et de travail pour ceux qui produisent : soumis aux prix du marché, leur travail est à peine payé, leurs journées sont à rallonge, l’amour pour leur métier est remplacé par la contrainte de l’efficacité. Il n’y a pas de qualité des produits car cette dernière ne dépend pas des normes suivies mais du savoir-faire et du soin de celui qui travaille. Il n’existe que la relation directe avec l’autre qui puisse mettre en valeur ces qualités personnelles.
Peut-on imaginer que la qualité soit à l’image de ce salon où la tétée des veaux est mise en spectacle pour les plus petits ? Où la ponte des œufs est programmée ? Où l’on promène des brebis électriques sous la lumière froide des néons nucléaires ? Ce monde artificiel nous laisse-t-il le moindre espoir de penser la parole « qualité » autrement que comme une simple adéquation à des normes bureaucratiques et industrielles ?
Mailing Oblomoff, 16 décembre 2012
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