Deux députés veulent une enquête sur la « théorie du genre »
Les chercheurs s’inquiètent d’une vision fantasmée de ces études.
Les députés se sont prononcés en début de semaine pour une commission d’enquête sur le travail des services de renseignement dans l’affaire Merah. Peut-être devront-ils bientôt voter pour déterminer s’ils souhaitent aussi investiguer sur… le genre.
Deux députés UMP, Virginie Duby-Muller et Xavier Breton, viennent ainsi de transmettre une proposition de résolution demandant « une commission d’enquête sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France ». Ils visent ces programmes de recherche, très implantés aux États-Unis, qui étudient les rapports sociaux de sexe à tous les niveaux de la société.
Sur quatre pages où ils étayent leurs arguments, ils réclament « un véritable état des lieux de la pénétration de cette théorie dans l’ensemble de notre pays : politique de la petite enfance, éducation, enseignement scolaire, enseignement supérieur, droits des femmes, droit de la famille, droit social, administration, Justice ».
Selon eux, « les conséquences que la théorie du gender implique représentent un tel bouleversement de notre contrat social que les Français sont en droit d’en être informés ». Dans cette demande de résolution, ils citent comme exemple le programme à Sciences Po de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE), les spécialisations en master dans certaines universités, ou encore « la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel qui ajoute à la liste des discriminations réprimées celles commises en raison de l’orientation ou de l’identité sexuelle. »
Les deux députés ne s’en prennent pas à ces études par hasard. Jeudi, lors de l’audition à l’Assemblée nationale de la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Xavier Breton a estimé que le projet de loi sur le mariage pour tous « s’appuie sur la théorie du genre, idéologie qui consiste à dire que l’homme et la femme sont interchangeables ». Traduction : des études venues des États-Unis nous imposeraient un changement de société que nous ne voulons pas.
« Depuis quand crée-t-on des commissions pour encadrer la recherche en sciences sociales ? », se demande la chercheure Hélène Périvier, coresponsable du programme Présages à Sciences Po. « C’est dangereux », s’inquiète-t-elle.
« Lorsque ces députés parlent de “théories du gender”, ils opèrent une uniformisation alors qu’il y a de nombreuses façons de travailler sur ces questions », juge Bruno Perreau, professeur au Massachusetts Institute of Technology et auteur de Penser l’adoption (PUF). « Il y a un fantasme sur une unité des travaux de recherche qui n’existe pas dans la réalité », explique-t-il.
« Les gender studies regroupent des reflexions accumulées depuis des décennies, qui sont très transdisciplinaires, extrêmement riches intellectuellement. Elles touchent les sciences sociales, mais aussi les sciences dures, comme la biologie », ajoute Hélène Périvier.
Droite catholique
Ces attaques, récurrentes, sont venues en premier lieu de la droite catholique conservatrice. En mai 2011, Christine Boutin a écrit au ministre Luc Chatel pour se plaindre de l’entrée au lycée de ce qu’elle appelle « la doctrine du gender ». En cause, un paragraphe dans les manuels de SVT de première ES intitulé « devenir homme ou femme ». Il y est expliqué, en résumé, que l’orientation sexuelle des individus peut varier au cours de la vie, et que si la majorité des personnes sont héterosexuelles, une partie de la population est homosexuelle ou bi. Sa protestation avait été reprise et amplifiée par 80 députés UMP le septembre suivant. L’initiative a été soutenue par Jean-François Copé.
Pourtant, pour Bruno Perreau la propagation et le développement de ces études en France relèvent pour l’heure du « fantasme » : « il n’y a paradoxalement quasiment pas d’études sur cette question en France ». Une situation qu’il déplore. « Aux États-Unis, toutes les universités, le moindre community college, même catholique ou protestant, ont des programmes sur le genre », note-t-il.
« Nous voulons ouvrir le débat avant que le gouvernement n’impose de gommer l’altérité sexuelle », explique Xavier Breton, joint au téléphone. Même si le projet de résolution en parle, il ne veut pas remettre en cause les genders studies à l’université qui « relèvent de la liberté de l’enseignement supérieur », selon lui.
Mais « le gouvernement est en train d’imposer l’idée que l’homme et la femme sont interchangeables », répète-t-il. « Un père, une mère, c’est différent pour nous ». Il s’inquiète par exemple de l’expérience menée à la crèche Bourdarias à Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. Là-bas, « on encourage les filles à manier le marteau à l’atelier bricolage, et les garçons à s’exprimer à l’atelier émotions », raconte David, un des éducateurs, au Figaro Madame.
L’établissement a reçu le 7 septembre la visite de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, et de Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille. Elles estiment que « cette démarche doit devenir un réflexe naturel dans l’ensemble des crèches ».
Presse hétéroflic (Quentin Girard, Liberation.fr, 9 décembre 2012)
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