Action de solidarité avec les prisonnier.es à Roanne le 26 novembre
Lundi 26 novembre, des perturbations et blocages d’axes de circulation ont eu lieu dans la ville de Roanne. Des banderoles ont été déployées, elles disaient « Solidarité avec les luttes des prisonnier.es » et « À bas toutes les prisons, que vivent les révoltes ».
Un tract qui revient sur l’implantation du centre de détention de Roanne, sur tout.es celles et ceux qui en tirent profit, et sur l’ignominie de l’enfermement, a été distribué à 500 exemplaires dans les boîtes aux lettres de différents quartiers de la ville.
Voici son contenu :
La circulation a été aujourd’hui bloquée dans la ville. Des barrières ont empêché les voitures d’avancer. Sur ces barrières, des banderoles disaient : « Solidarité avec les prisonnier.es en lutte » et « À bas toutes les prisons, que vivent les révoltes ! ». Cela vient redire à l’ensemble des habitant.es de Roanne qu’à quelques pas de là sont enfermées près de 600 personnes dont chaque déplacement est contrôlé. Chaque jour, ces personnes se retrouvent des dizaines de fois « bloquées » par des barrières et des portes aux serrures dont elles n’ont pas la clé.
Et pourtant…
À Roanne, malgré toutes les couches de vernis démocratiques et de modernité sensés faire croire que le centre de détention serait au final un lieu acceptable, ça craque, ça pète, ça prend feu… Parce que les meilleurs maquillages n’empêcheront jamais le besoin de liberté de se faire sentir à une personne enfermée pendant les semaines, les mois, les années qu’elle ne pourra pas rattraper.
L’Administration Pénitentiaire (AP) et la mairie voudraient donner l’image de prison « propre », c’est-à-dire une prison moderne d’un point de vue architectural et social.
Mais le vernis commence à se craqueler, des détenu.es réussissent à faire entendre leurs révoltes par delà les hauts murs malgré les tentatives de muselage répétées de l’AP. Pétitions, textes de revendication, gestes d’insoumission ont filtré au travers des barreaux au prix de beaucoup d’efforts et de lourdes représailles (transferts disciplinaires, journées de mitard, suppression de remises de peines, procès donnant lieu à des peines supplémentaires … sans compter les conséquences non officielles : fouilles généralisées, chantage concernant les possibilités de libération conditionnelle et tentatives de briser moralement les personnes par du harcèlement au quotidien … c’est-à-dire réveiller des prisonnier.es au milieu de la nuit, ne pas aller les chercher pour la promenade ou un parloir, donner le courrier plusieurs jours en retard, et bien d’autres choses encore.) Face à cette situation, des prisonnier.es refusent de baisser les bras et de se laisser écraser par le chantage et la peur.
Nous sommes solidaires de leur colère parce que nous ne voulons ni prison ni enfermement.
La propagande au niveau de la population
Pour permettre l’implantation du centre de détention (CD), la mairie a mis en œuvre tout une propagande auprès des habitant.es de l’agglomération vantant les mérites des prisons du futur dont celle de Roanne a été une des premières : visites des locaux avant l’arrivée de ses « pensionnaires », journée annuelle de sensibilisation sur la prison…
Mais aussi un joli bourrage de crânes organisé en 2011 par le biais de la commission solidarité à destination d’une partie des enfants des écoles et centres sociaux de la ville. Une rencontre avait été organisée avec le directeur du CD M. BOYER et la directrice du SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation, les travailleurs sociaux des prisons), pour bien ancrer dans la tête des plus jeunes qu’il est normal et banal de mettre des personnes dans des cages.
Dans ce monde merveilleux des prisons modernes, on voudrait faire croire que les tensions entre détenu.es et surveillant.es n’existent pas puisque d’une part les prisonnier.es seraient trié.es sur le volet pour leur comportement et leurs « chances » de réinsertion, et d’autre part parce qu’on leur proposerait la crème de toutes les activités socio-culturelles et de formation existantes, ce dont elles et ils seraient sûrement reconnaissant.es.
Dans ce type de discours (également largement diffusé par les entreprises qui profitent de l’enfermement et par l’administration pénitentiaire), on retrouve toujours les arguments liés au « profil » particulier des détenu.es des centres de détention qui seraient des personnes aux plus grandes chances de se « réinsérer » (encore faudrait-il avoir été « inséré » dans quelque chose auparavant, encore faudrait-il le vouloir…). Cela entretient l’idée qu’on va en prison uniquement pour des raisons propres à notre personnalité.
Ce discours nie systématiquement le contexte de merde dans lequel pas mal de gens vivent, et qui laisse assez peu d’espoir de sortir un jour la tête des factures en retard alors que chaque jour il faut aller baisser les yeux face à des petit.es chef.fes arrogant.es pour avoir « la chance » de garder un boulot pourri et mal payé.
Les retombées économiques
À Roanne, la construction du centre de détention a été bien accueillie (en tout cas par les élu.es et une certaine part de la population qui a voix dans les médias) et même longuement négociée par les élu.es de l’époque (Nicolin et son équipe municipale) avec pour seule motivation les éventuelles retombées économiques qu’elle doit engendrer : emplois salariés « stables », achats effectués par les proches des détenu.es venus les visiter…
Concernant ce dernier point, on peut se demander quel fric on a encore à dépenser quand :
• Il faut déjà faire plusieurs centaines de kilomètres pour voir une heure celles/ceux qu’on aime au parloir,
• Il faut aider financièrement les proches enfermé.es parce qu’en prison tout se paye beaucoup plus cher qu’ailleurs (au CD de Roanne, 2 à 3 fois le prix de l’extérieur pour des produits de base),
• Pour certain.es, avoir un.e proche enfermé.e ça veut dire se retrouver avec un revenu et une personne en moins à la maison mais toujours le même loyer, les mêmes charges, etc…
C’est sûr qu’après ça, pas ou peu de personnes ont les moyens d’aller à l’hôtel, de se payer des restos ou d’aller faire les magasins à Roanne. Et quand bien même les moyens seraient là, en a-t-on vraiment envie quand on vient de laisser une personne qu’on aime derrière les grilles ?
Au final, ceux et celles qui profitent financièrement de la présence du centre de détention à Roanne, et de pas mal d’autres prisons, sont les très grosses entreprises :
• Eiffage qui a construit et reste propriétaire des bâtiments qu’il loue 750’000 euros par mois à l’État avec un bail garanti pour 30 ans, et ses filiales ENEP4 et SYNESTES qui en font l’entretien ;
• GEPSA (filiale d’Elyo-Suez) et Eurest qui gèrent pour 250’000 euros par mois ce qui est cyniquement appelé « services à la personne », c’est-à-dire :
Repas (immangeables), cantines (à des prix qui rendraient dingue n’importe quelle association de consommateurs si ça se passait à Cannes ou Courchevel), formations (3 profs pour 600 détenu.es), « travail » (très peu de places possibles et données aux personnes les plus « méritantes » aux yeux de l’administration pénitentiaire, ce qui pousse certaines personnes qui n’ont pas d’autre moyen d’avoir un peu d’argent à tout accepter sans jamais ouvrir la bouche. Le « travail » en prison, est payé en moyenne 3 euros de l’heure ou à la pièce, non garanti, c’est-à-dire que les personnes ne bossent et ne sont payées que lorsque ça arrange l’entreprise qui trouve là une main d’œuvre modulable et pas chère. Elle peut ensuite se vanter de faire de la « réinsertion »).
Peu après la construction du CD, répondant aux critiques des malfacons dans les travaux qui apparaissaient déjà au grand jour, le directeur d’Eiffage déclarait publiquement qu’il offrait « 5000 euros à ceux qui ouvriraient une porte de cellule à coup de pied ».
Prenons-le au mot, et que les personnes enfermées dans ces cellules puissent prendre la poudre d’escampette !
Par ailleurs, l’arrivée du centre de détention a certainement permis de maintenir la présence d’un tribunal à Roanne puisque ce dernier était avant cela menacé de fermeture. Un centre de détention nécessite la présence d’un tribunal et de ses juges d’application des peines (JAP) qui donnent ou pas (souvent pas à Roanne) les remises de peine, aménagements, sorties en conditionnelle ou permissions.
On pourrait se dire qu’un tribunal est un « service public » qui n’a pas d’obligation de rentabilité et qu’il n’aurait donc pas besoin de chercher à traiter beaucoup d’affaires. Pourtant, de l’activité d’un tribunal dépendent les activités et le niveau de vie d’un bon nombre de personnes effectuant ces boulots qui se nourrissent de la misère des autres : avocat.es, juges, huissier.es, maton.nes. En effet, il suffit de consulter le Progrès pour constater le nombre de petites affaires jugées par le tribunal liées aux « altercations » entre maton.nes et prisonnier.es.
Les peines distribuées par le tribunal de Roanne sont la plupart du temps extrêmement lourdes (2 ans supplémentaires en juin à l’encontre d’un détenu) et s’agrémentent presque toujours d’une compensation financière pour les maton.nes impliquée.es (on comprend que pour arrondir les fins de mois, ceux et celles-ci aient facilement tendance à se sentir « agressé.es », voire à provoquer ces « altercations »).
L’AP intente aussi régulièrement des procès contre des personnes enfermées pour détention d’objets non autorisés ou contre leurs proches qui contournent le règlement. Une détenue a récemment pris 10 mois ferme d’emprisonnement supplémentaires, et quatorze mois avec sursis pour la découverte de son téléphone, une personne a pris 4 ans ferme pour lancé de projectiles dans la cour de promenade.
Ces procès contribuent ainsi à la bonne santé du tribunal et de ses protagonistes, qui ne l’oublions pas ont besoin de ces « affaires » pour alimenter les leurs.
On parle rarement des liens et rapports de connivences entre les différent.es actrices/acteurs de l’enfermement.
À Roanne, la JAP (Juge d’application des peines, c’est elle qui décide des possibilités de sorties en permission et en conditionnelle) Ludivine Chétail et Georges Boyer, directeur du CD, posent ensemble en photo pour un article du Progrès et se lamentent d’une même voix des manques de moyens attribués au tribunal de Roanne.
La presse locale relaie régulièrement la parole des maton.nes en les interviewant pour commenter le moindre fait divers lié au centre de détention sans apporter aucune nuance à leurs propos. On peut lire dans ces articles des discours plaintifs quant au manque de personnel, aux besoins grandissants de sanctions « exemplaires » à l’encontre d’une « population carcérale de plus en plus difficile ».
Ces articles font toujours la part belle à la violence des prisonnier.es qui se rebellent (et on les comprend…) mais ne parlent jamais de la violence de ceux et celles qui enferment, qui privent de liberté, de liens, de rêves, d’autonomie, de soins, d’intimité…
Entre autres, le major Bertrand Arnoud, délégué de la CGT pénitentiaire, est régulièrement interviewé par la presse pour pleurer sur son sort et celui de ses collègues. C’est lui qui est à l’origine depuis le mois de septembre de vagues incessantes de répression au sein de la détention qui contribuent d’un climat de tension permanent.
On remarque au passage que pour un représentant syndical qui demande plus de moyens pour sa corporation, empiler sur le bureau de la direction des rapports d’incidents disciplinaires est un bon moyen pour justifier son propos. En attendant, ce sont les prisonnier.es qui morflent, parfois simplement pour circuler d’un bâtiment à un autre, parfois simplement pour être sorti sans t-shirt, parfois parce qu’ils pètent les plombs face à l’accumulation des brimades.
Si leurs conditions de travail sont si dures, les surveillant.es ont la possibilité de démissionner (et on les encourage à le faire !) alors qu’aucune personne enfermée ne peut échapper à ses bourreaux.
La mairie de Roanne, par la voix de sa maire Laure Déroche, a également facilement accès aux colonnes des journaux lorsqu’il s’agit d’exprimer son indignation et réclamer une enquête quand les murs de la ville se recouvrent d’affiches dénonçant nommément les matons qui tabassent au centre de détention.
Le centre de détention est mis à l’écart de la ville.
On pourrait presque oublier qu’il existe, car, relegué.es entre la station d’épuration et la SPA, les prisonnier.es sont effectivement traité.es tantôt comme des merdes, tantôt comme des chiens. Cette prison en marge de la ville participe à alimenter la peur, voire le respect des gendarmes, huissier.es, patron.nes, travailleurs sociaux, professeurs… de tous ceux et celles qui veulent faire de nous de bon.nes citoyen.nes, rouages d’un monde hypocrite.
Les prisons servent à maintenir ce monde, il ne peut pas fonctionner sans elles. Elles servent à contraindre par la peur et la soumission, au respect des lois. Mais qui d’entre nous a choisi ces lois ? Ces lois protègent le pouvoir, parce qu’elles sont choisies par ceux qui l’ont ou aspirent à l’avoir. Elles protègent les intérêts et privilèges des puissants et des riches.
Qui les respecte dans leur intégralité ? En réalité il s’agit avant tout de ne pas se faire pincer. Les statistiques et études diverses le montrent bien, la prison ne résout rien. La prison sert à blesser, contraindre, isoler, détruire, celles et ceux qui sont tombé.es dans ses mailles. Beaucoup de personnes ont un problème avec ce monde, qu’elles soient dans ou hors des prisons.
Pour beaucoup, il n’a à offrir qu’une place misérable, qui conduira forcément à se débrouiller dans les marges. Même les rêves qu’il propose sont insatisfaisants ! En quoi la non conformité avec ce monde pourrait se régler en mettant des coups à celles et ceux qui ne rentrent pas dans ce moule ?
C’est pour remettre au centre de la ville toute l’ignominie qu’est l’enfermement que certains axes de circulation de la ville ont été bloqués. Pour rappeler que dans ces bâtiments chaque jour, des personnes sont enfermées, dans un étage, dans une cellule, d’où certaines ne peuvent sortir qu’une heure par jour.
Être enfermé.e là-bas ça veut dire
• N’avoir la possibilité de voir ses proches que trois fois par semaine (quand elles et ils le peuvent), une heure misérable, et exceptionnellement plus…
• Être privé.e de tendresse, de contact ;
• Devoir attendre pour avoir des soins, et parfois ne pas y accéder du tout ;
• Avoir selon les saisons trop chaud ou trop froid ;
• Perdre parfois des dizaines de kilos, perdre la vue, l’odorat, le souvenir des sensations du dehors, subir un stress continu, mourir d’ennui ;
• Voir tout son courrier lu et soumis à la censure, ses coups de téléphones à la cabine écoutés ;
• Voir au dehors le monde à travers des barreaux ;
• Se faire racketter pour acheter des produits d’alimentation et d’hygiène de base ;
• Savoir que la porte peut s’ouvrir n’importe quand et les uniformes retourner tes moindres effets personnels selon leur bon vouloir ;
• Être face à des personnes en uniformes qui peuvent se croire tout permis, te faire la misère, ou faire semblant d’être sympa, et dans tous les cas refermer la porte à clé derrière toi.
Chaque jour dans cette prison comme dans d’autres, des prisonnier.es sont privé.es du monde et de la vie du dehors.
Nous ne les oublions pas, nous n’oublions pas que nous haïssons les prisons et que nous voulons les détruire.
En avril, des prisonniers ont remis au directeur du centre de détention et à la juge d’application des peines une lettre où ils demandaient notamment la fin des expertises psychiatriques, la fin des régimes fermés et semi fermé, la fin du mitard et de l’isolement.
Nous sommes solidaires de leur lutte, et des actes de révoltes contre l’administration pénitentiaire.
Complément d’information :
Au cd de Roanne la lutte continue par des détenus de Roanne, le 28 novembre
Malgré l’acharnement de l’administration pénitentiaire nous continuons à lutter ici ! Le cd de Roanne est loin d’être un endroit où l’on a envie de vivre, les possibilités de sortie son très faibles, une répression acrue de la part du major et du lieutenant brise un peu plus des détenu(e)s, fouilles à répetition, provocations nombreuses, allongement des peines chantages, plaintes, etc… Ils cherchent à nous rendre fous ou à nous tuer, merci à tous ceux/celles qui luttent de dehors contre les enfermements qui ont décidé de nous soutenir.
Indymedia Grenoble, 28 novembre 2012
Tribunal de Roanne. Un détenu met en cause les surveillants : une information judiciaire est ouverte
« Ces éléments nouveaux méritent d’être vérifiés. Je demande au tribunal de me renvoyer le dossier. Je saisirai le juge d’instruction afin qu’il ouvre une information judiciaire ». Rarissimes, ces réquisitions du parquet de Roanne ont pourtant été suivies à la lettre hier par le tribunal. Même si le président de l’audience, s’adressant au prévenu, nuançait : « Cela ne veut pas dire que vous avez raison ou tort, et réciproquement pour les victimes ».
Auteur présumé de huit faits de violences et menaces envers des surveillants, dont cinq en récidive, qu’il aurait commis au centre de détention de Roanne fin octobre, les déclarations d’Abdessamad Rafai, 21 ans demain, ont visiblement jeté le trouble. Bien qu’il ait reconnu la majorité des faits, Abdessamad Rafai, libérable en 2018, a mis en cause hier les surveillants et parlé d’agression sexuelle, lors d’une fouille au corps, alors qu’il était conduit le 26 octobre au quartier disciplinaire : « Ils m’ont écarté les fesses, avant de regarder si j’avais quelque chose ». Et son avocate d’ajouter : « Ce sont des dénonciations graves. Une fouille au corps doit être justifiée ». Deux jours plus tard, il aurait blessé à l’œil, avec un bout de plastique lancé à l’aide d’une sarbacane artisanale, un surveillant qui regardait par l’œilleton. Un fait qu’il a nié farouchement, d’autant que les caméras de surveillance, « mal orientées » dixit le parquet, ne pouvaient certifier. D’où cette demande de reprendre l’enquête depuis le début jusqu’à ce que le détenu, qui devait être entendu hier dans la foulée par le juge d’instruction, soit renvoyé devant le tribunal.
Presse carcérale (LeProgres.fr, 29 novembre 2012)
Un détenu handicapé se suicide à Roanne
Un homme à mobilité réduite, âgé d’une quarantaine d’années, s’est suicidé dans la nuit de vendredi à samedi dans sa cellule au centre de détention de Roanne (Loire). Il n’était pas connu comme étant suicidaire mais se plaignait d’être réduit à l’état de « légume », selon la CGT.
Ce détenu qui ne posait pas de problème s’est pendu et son corps inanimé a été découvert lors d’une ronde matinale. L’administration pénitentiaire n’était pas joignable en milieu de journée pour confirmer cette information.
Presse carcérale (Agence Faut Payer, 24 novembre 2012)