Chine : la mort de cinq enfants des rues ternit le bilan de Hu Jintao et de Wen Jiabao
L’affaire des cousins Tao – cinq garçonnets morts empoisonnés au monoxyde de carbone, vendredi 16 novembre, dans le conteneur poubelle où ils s’étaient réfugiés du froid et avaient allumé un feu – jette une ombre sur les efforts déployés par le secrétaire général sortant, Hu Jintao, et par son premier ministre, Wen Jiabao, pour promouvoir la lutte contre la pauvreté et le « développement équilibré » de la Chine.
Bijie – la préfecture, majoritairement rurale, de 8 millions d’habitants, dans la province de Guizhou, où a eu lieu le drame – a été désignée en 1988 par le gouvernement central chinois comme une « zone pilote pour la protection environnementale, le développement économique et la lutte contre la pauvreté ». Sur proposition de Hu Jintao, à l’époque numéro un du parti du Guizhou.
Durant son double mandat à la tête du pays, Hu Jintao a donc voulu faire de Bijie une zone modèle et a soigné son « bébé » : il s’y était déjà rendu en 1996, alors qu’il était vice-président, et s’est entretenu en 2010 par vidéoconférence avec des professeurs d’une école de la préfecture lors de la journée des enseignants.
Les autres membres du Comité permanent du Parti communiste chinois (PCC), le cœur du pouvoir, lui ont prêté main forte : ainsi, en février, Jia Qinglin, l’un des neufs membres du Comité permanent, a-t-il loué, selon l’agence Xinhua (Chine Nouvelle), les « grandes réalisations », en 2011, de Bijie en matière de lutte contre la pauvreté lors d’un séminaire organisé à Pékin sur le développement de cette région, l’une des plus pauvres de Chine. En octobre 2011, le premier ministre Wen Jiabao s’est même rendu à Bijie afin de donner sa bénédiction au « concept de développement scientifique » de Hu Jintao, rapporte Epoch Times, en citant les journaux de Hongkong.
SIGNES AVANT-COUREURS IGNORÉS
Or, les signes avant-coureurs du drame de Bijie n’ont pas été pris en compte. Les cousins Tao avaient été identifiés fin 2011 par Hao Xing, un internaute local, qui a mis en ligne un reportage sur le sort de ces enfants des rues. Hao Xing est un pseudonyme qui signifie « bonne action ».
Un quotidien de Shanghaï, le Dongfang Zaobao, a raconté cette histoire dans son édition du 22 novembre. Non loin de la gare de Shuangjingsi, à Bijie, le 27 décembre 2011, Hao Xing a vu deux enfants se réchauffer autour d’un feu, devant un restaurant. L’un d’entre eux portait un vêtement tout simple, avec une fermeture cassée. Ce tableau a rappelé à l’internaute son enfance, car il avait quitté lui-même sa famille, très pauvre, à 15 ans pour apprendre le kungfu et a vagabondé un moment dans les environs du temple de Shaolin, jusqu’à ce que des bonnes âmes le prennent en charge.
Hao Xing a demandé aux enfants s’ils avaient froid. Ils ont répondu que non, mais qu’ils avaient faim, et il les a emmenés manger des nouilles dans une gargote. Les enfants venaient du comté de Dafang, à Bijie. Leurs parents étant divorcés et leurs pères travaillant ailleurs, ils vivaient avec leurs grands-parents. Tous les jours, ils sortaient les bœufs aux champs. Mais leurs parents ne leur envoyaient pas d’argent et ils n’avaient pas de quoi manger.
À 1 heure du matin, le 28 décembre, Hao Xing a raccompagné les deux enfants dans leur « maison » : une petite pièce insalubre de 2 m², coincée à côté d’un transformateur électrique, où ils vivaient à six, avec une seule couette pour se couvrir. Hao Xing est venu leur rendre visite tous les jours. L’un des garçons, Tao Chong, s’est blessé un jour au visage et à la jambe après avoir allumé un feu avec de l’essence. Hao Xing lui a donné 20 yuans pour qu’il se soigne, mais l’enfant à préféré garder l’argent pour s’acheter de quoi manger. Ils lui ont aussi raconté qu’ils dormaient parfois sous la tour de la télévision et dans les passages commerciaux souterrains.
RETOUR RAPIDE À LA RUE
Afin de les aider, Hao Xing a lancé l’idée d’une « maison des enfants des rues ». Une école privée de Bijie a proposé d’accueillir les enfants à moitié prix. À l’époque, beaucoup d’internautes ont réagi à la proposition, et les médias locaux ont consacré quatre reportages aux enfants. L’administration des affaires civiles locale s’est toutefois opposée au projet.
Le 12 janvier 2012, un responsable a appelé Hao Xing pour lui dire qu’ils avaient trouvé les enfants, les avaient lavés et soignés et s’occupaient d’eux en attendant que leurs familles les reprennent. Une photo publiée par les médias chinois les montre à ce moment, la tête rasée.
Or, Hao Xing retrouvera un peu plus tard les enfants dans la rue. Ils lui ont raconté qu’ils n’ont pas supporté la vie dans le centre d’hébergement pour vagabonds : « Il n’y a pas de liberté, même pour aller aux toilettes. Il faut tout le temps être à l’heure… », se plaignent-ils. Ils s’étaient enfuis après avoir cassé les fenêtres et la serrure de leur chambre.
Le gouvernement de Bijie a d’abord arrêté Li Yuanlong, le journaliste qui a révélé la mort des enfants et avait diffusé une photographie d’eux prise peu avant le drame dans un passage souterrain, puis sanctionné huit officiels locaux, dont le principal de l’école où certains des enfants avaient été scolarisés, et des responsables locaux de l’éducation et des affaires civiles. Les autorités ont ensuite promis, le 23 novembre, de mettre en place un mécanisme pour s’occuper des enfants des rues. Reste à espérer qu’elles prennent davantage en compte les facteurs humains dans l’aide à la pauvreté.
Leur presse (Brice Pedroletti à Pékin, LeMonde.fr, 26 novembre 2012)