Indymedia Paris, toujours dans les bon coups [Voir par exemple ici, et là], a validé la publication d’un article nommé « Quelques conseils pratiques suite à l’arrestation de copains… » en date du mardi 20 novembre 2012, et signé « solidarités anarchistes ». Bien que nous ne voyons pas ce que peut bien faire l’anarchisme au beau milieu de ces 21 commandements de l’antirep 2.0, c’est aux consignes pratiques qui sont données là que nous voulons réagir pour les disqualifier au plus vite.
Il y a de quoi se questionner rien que par le choix des mots, dans ce communiqué écrit pour « rappeler deux ou trois bons procédés pour survivre lorsqu’on participe à une action politique », et écrit pour l’occasion parce que « deux copains ont été interpellés vendredi dans la nuit avant de passer deux jours et demi en détention » [Plus précisément en garde-à-vue, et sous l’accusation d’avoir écrit quelques phrases avec un feutre et collé quelques affiches contre la construction d’un aéroport sur une permanence locale d’un parti au pouvoir]. Il y a donc des procédés à suivre, des consignes qui viendraient d’on ne sait où, visiblement de personnes ayant déjà « survécu » à une « action politique », et c’est tout le bien que nous leur souhaitons, à nos survivants. Visiblement aussi, ces personnes sont extrêmement sûres d’elles-mêmes, de leurs affirmations précises et péremptoires qui ne s’encombrent jamais de toute l’histoire de la répression du mouvement révolutionnaire et des différentes petites « victoires » obtenues face aux flics et aux juges, de l’histoire de tous ces camarades et compagnons qui ont eu le courage et l’intelligence de poser quelques standards face aux exigences morbides de la justice. En assumant ce qu’ils sont véritablement, en ne jouant pas avec le soutien d’une éventuelle classe sociale, en étant révolutionnaires devant leurs camarades de même que face aux juges, en ne se pliant pas systématiquement aux différentes formes d’auto-répression ou de répression participative qu’on voulait les contraindre à respecter, etc.
Il y a cette forme de pensée, qui se vit comme rationnelle, qui pense que chaque nœud se défait de la même manière. À l’ère cybernétique, il y aura toujours une page wikipedia pour nous expliquer ce qu’est une chose, pour nous indiquer comment faire ceci ou comment faire cela de la manière la plus valide. Pas étonnant donc, que dans le petit milieu radical, fleurissent en permanence des « guides pratiques » : comment squatter, comment se comporter en garde-à-vue, comment paperasser, comment voler, comment aimer ou comment baiser. Chacun de ces guides, qu’il le prétende ou non, tend à créer un monopole de la manière de faire, une nouvelle norme. Ils tendent à créer l’illusion qu’il n’y a qu’une unique manière qui soit efficace (donc souhaitable, dans l’esprit du temps…) et qu’il faudrait reproduire perpétuellement. Rien d’étonnant à ce que ce milieu soit à l’image du monde qui le produit et lui donne sa raison de vivre. Et si, pour parler le langage immonde de l’époque, le premier résultat d’une recherche google serait le meilleur, le plus « prouvé scientifiquement », alors quoi d’étonnant à ce que ce genre d’énumération de procédés, au delà d’être dangereux, soit suivi à la lettre par quelques esprits influençables et peu expérimentés ?
Encore une fois, nous voulons opposer la recherche de l’efficacité à tout prix, la tactique et la stratégie aux raisons du cœur et à notre éthique.
Si nous comprenons la nécessité de ne pas parler aux flics comme une simple règle à respecter pour des raisons pratiques et non pas comme un rapport au monde et une éthique, alors il y aura possiblement des situations où il sera préférable de parler aux flics pour telle ou telle raison tactique. C’est aussi le danger de ce type de commandements, de présenter des règles pensées dans un but d’efficacité, et donc auxquelles on peut déroger si l’efficacité l’exige ponctuellement, selon l’agilité politicienne de chacun. Car ce n’est pas seulement pour des raisons pratiques que nous ne parlons pas aux flics, c’est aussi parce que nous ne reconnaissons pas leur autorité, parce que nous ne pouvons pas en supporter l’idée.
Par exemple, lorsque nos survivants nous ordonnent par l’un de leurs commandements de « ne rien laisser traîner chez soi qui puisse permettre d’établir son parcours politique », nous sursautons bien évidemment. Et là, la question n’est pas de savoir si cela serait plus efficace en terme de résultat de se faire passer devant un juge pour un esprit simple, bon sous tout rapport, qui passait par là, a vu de la lumière et est rentré, plutôt que pour un révolutionnaire déterminé à changer le monde. Il s’agit plutôt de chercher à comprendre comment le grand écart est possible, et comment le miroir ne se brise pas sous les coups de notre dignité qui s’envole à chaque fois que nous nous regardons dedans.
Des compagnons et des camarades arrêtés ces dernières années, dans plusieurs affaires différentes, parfois lourdes, parfois sous la menace directe de la prison, ou celle de ne pas en sortir, ont refusé ces petits jeux de rôles minables et ont refusé de se renier. Alors bien sûr, ceux qui joueront les canards face aux juges seront des gentils, et les autres, ben tant pis pour eux ! Après tout c’est à ceux qui prennent des risques pour leur émancipation de s’aligner sur ceux qui se laissent réprimer bien comme il faut. Par le bas, toute !
Mais que les réalistes se replacent confortablement dans leurs fauteuils objectifs, on peut rester digne et « gagner », on peut rester digne et être « efficace ». Mille cas à travers le monde nous ont montré qu’il était possible de revendiquer une solidarité avec des idées et des pratiques, sans pour autant admettre avoir commis tel ou tel fait, et sans jouer les innocents ou les gentils.
En réalité, nos survivants ne proposent pas des pistes pour réfléchir à comment attaquer mais plutôt une liste de dispositions à prendre pour réaliser une action politique. Et pour nous, l’attaque n’a rien à voir avec une action politique, ou militante. Notre vie n’est pas déterminée par un agenda quelconque, avec un temps pour la réunion, un temps pour l’action politique, et un temps séparé pour la vie privée (expliquant par exemple pourquoi nos militants exigent que nous jetions nos livres, brochures, etc. pour faire de son lieu de vie privée un endroit séparé de sa « vie politique »). Pour nous, l’attaque de ce monde n’est pas un moment séparé à caler dans un emploi du temps, c’est un rapport de conflictualité permanente au monde.
Plus anecdotiquement, nos « anarchistes solidaires » ont un peu tendance à prendre les gens pour des cons, avec des conseils comme « faire vite et ne pas traîner sur le lieu de son action une fois accomplie », parce que bien sûr on en voit beaucoup des gens qui brûlent une cible en pleine métropole et qui se posent sur un transat pour admirer leur œuvre les doigts de pieds en éventail, passant un coup de fil à tous les copains/copines pour leur raconter comment ils ont « survécu à une action politique ». Eh bien non, car il faut « ne jamais amener son téléphone portable sur une action (les keufs peuvent le géolocaliser a posteriori) », merci pour l’info. Bref nos « anarchistes solidaires » prennent un peu les gens pour des abrutis, alors qu’au fond, c’est eux qui sont navrants. Toutes ces choses sont déjà acquises pour quiconque prend la décision d’attaquer ce monde, chacun est doté d’un peu de bon sens, en tout cas assez pour ne pas avoir besoin d’un guide pratique pour savoir qu’il ne faut pas laisser de « pièces à convictions » sur les lieux, ou bien que les flics ne sont pas des copains.
La question que nous nous posons est donc de savoir à qui s’adressent ces « procédés », car de telles banalités pourraient laisser entendre à quelqu’un qui débarque et n’a pas encore eu l’occasion de développer des affinités avec des gens qui ont un peu d’expérience pratique, que ces 21 commandements sont suffisamment exhaustifs pour qu’il puisse partir à l’action sûr de lui sans plus d’approfondissement empirique.
Il y a aussi cette posture d’expertise, qui tombe quelque peu à l’eau à l’examen de leur manque total d’expérience réelle de la répression, un peu comme n’importe quel avocat qui ne visitera jamais les fonds d’une geôle et qui réfléchira toujours plus en fonction du code pénal et du remplissage de ses poches qu’en fonction de ce qu’il perçoit dans les yeux et les sentiments des individus qui se trouvent face à eux dans le « local avocat » d’un commissariat ou d’une prison. Pour mettre les choses au clair, non, les flics ne nous laissent pas sans chaussures et sans habits sous prétexte qu’il y aurait des cordons et des lacets, ils retirent simplement les cordons et les lacets. Et non, non plus, on ne peut pas lire de livres en garde-à-vue, couverture souple ou pas, au pays des licornes et des arc-en-ciels comme en France.
Hormis les quelques balivernes ci-dessus cités, ces conseils sont peut-être très bons, nous n’en doutons pas, pour les désobéissants, les collectifs citoyens ou les politiciens pour qui l’« action politique » est séparée du reste de la vie, pour qui les idées sont séparables des pratiques et pour qui les discours s’adaptent au réceptacle, ou pour ceux qui rentrent gentiment vivre leur vie d’esclave après avoir soupiré leur indignation trimestrielle entre deux conscientisations accomplies et notifiées. Certainement efficaces aussi si pour nos survivants solidaires, ce qui est placé dans l’horrible terme d’« action politique » qui est le leur, se résume au happening, à la manifestation-unitaire-merguez-et-collective-tous-ensemble, au sit-in pacifique ou à la banderole postée sur youtube, et à tout ce qui ne cherche qu’à faire le buzz, comme on dit. Car l’époque exige de bons metteurs en scènes de l’artifice.
Mais ils ne s’appliquent certainement pas à ceux qui portent assez de force dans leur cœur pour renvoyer un peu de la violence qu’ils subissent à la gueule des oppresseurs avec continuité, et nous sommes confiants que ceux-là iront chercher conseil dans le vivier de transmission (orale ou écrite) que leur a légué l’expérience de l’action directe et de la répression plutôt que dans des guides pratiques comblant le vide théorique de ceux qui les rédigent. Nous souhaiterions que l’infiltration progressive et omniprésente du virtuel ne se supplante pas aux rapports humains, au moins entre révolutionnaires à défaut de plus, comme c’est le cas partout ailleurs.
Pour conclure ces quelques lignes, nous ne pensons pas que la question de la sécurité soit une question figée, ou en tout cas, le caractère essentialiste d’une « culture de la sécurité » [Terme que l’on voit fleurir, notamment sous l’impulsion des personnes proches de l’Appel ou aux États-Unis, dans les crémeries équivalentes, comme Crimethinc] nous paraît bien limité. La sécurité est selon nous une question bien plus simple et moins rigide, elle est une question d’intelligence pratique, de transmission et d’expérience. La sécurité ne doit pas devenir la priorité dans l’élaboration d’une attaque, elle ne doit pas prendre la place du désir d’un autre monde (ou tout simplement de détruire celui-ci) qui en est à l’origine. La culture de la sécurité, nous vivons déjà dedans, dans cette peur des mots et cette panique de la surveillance, la culture de la sécurité n’est rien d’autre que la culture de la répression.
Bien sûr, la sécurité est importante si nous voulons pouvoir continuer notre chemin, mais elle ne peut être comprise avec finesse que dans le cadre de l’affinité, c’est-à-dire d’une relation approfondie (et notamment à travers le temps) entre des compagnon/nes qui permet peu à peu de partager les expériences et d’approfondir mutuellement l’analyse de ce monde, les pratiques et les savoir-faire qui en découlent naturellement, la sécurité en fait partie.
Bouger ensemble, attaquer, penser, analyser, faire vivre et dialoguer des connaissances, ce ne sont pas des choses que l’on apprend à l’école, en famille, en assemblée générale, sur internet ou dans un guide pratique. Ces choses-là se développent au contact de l’autre, dans l’affinité, dans un développement permanent et avec soi-même. Il n’y a pas de modèle à suivre, à part pour les militants.
Alors, il paraîtra limpide que ce n’est ni sur indymedia ni sur wikipedia que nous comprendrons ce monde et que nous trouverons des prises pour le démolir. Que les précautions que nous prenons ne doivent pas déterminer nos pratiques et nos idées.
Le 21 novembre 2012,
Les méchants !
Bouger ensemble, attaquer, penser, analyser, faire vivre et dialoguer des connaissances…disent les non-fides. La seule chose qu’ils savent construire c’est la critique « méchante » et par conséquent complètement dénudée d’interêt. Ils me font vomir autant que l’Etat, les patron et les flics…en tout cas ils jouent le même jeu!
Et franchement, vous signez les « méchants »? Vous êtes en récré au quoi?
C’est surtout à se demander qui sont les personnes « extrêmement sûres d’elles-mêmes, de leurs affirmations précises et péremptoires » ? Les anarchistes solidaires qui ont publié sur Indymedia, ou les « méchants » non-fides, accusateurs que je trouve extrêmement sûrs d’eux et de leurs affirmations précises et péremptoires…
Le texte initial, publié sur Indymedia, m’a paru assez simple et vite fait, mais pas à prendre comme des directives obligatoires et encore moins comme des « commandements ». Tout est dans le titre, ce ne sont que quelques « conseils pratiques », et l’on peut être en désaccord avec certains d’entre eux, ou même tous, ça n’en fait pas pour autant un évangile à combattre coûte que coûte.
Ce que je trouve golri c’est que les gens de non-fides qui ont rédigé ce texte ont passé au moins une après-midi entière à rédiger cet article.
Tout ça pour répondre à un article sans grand intérêt posté sur indymedia il y a quelques jours dans une langue ultra pénible et moralisatrice. Mais bon quand on aime faire la morale, on ne compte pas ses heures.
C’est à se demander si les scénaristes d’Engrenages (Saison 4) ne sont pas derrière ce texte.