« Un peu de parano ne fait pas de mal », dixit le FBI
Michael Clancy est « l’un des plus hauts responsables du FBI » selon l’AFP. Récemment auditionné par le Sénat américain, ce « Deputy Assistant Director of the Counterterrorism Division » vient de déclarer à l’AFP que maintenir « un peu de paranoïa ne fait pas de mal » pour mobiliser les Américains et « faire trébucher » les terroristes.
« Nous ne sommes pas la police de la pensée, nous n’avons pas de raison de surveiller un concert de militants de la suprématie blanche, c’est une assemblée légale », a-t-il expliqué : « nous n’enquêtons pas sur les idéologies mais seulement sur les gens qui passent à l’étape supérieure » :
« Dans un grand pays comme le nôtre, qui compte plus de 300 millions d’habitants, et où coexistent des idéologies et des croyances différentes, il est presque impossible de deviner à quel moment quelqu’un va tout à coup commettre un acte épouvantable ».
Ce pour quoi le FBI n’hésite pas à infiltrer des cellules potentiellement terroristes, et même à pousser certains de ses membres à passer à l’action, quitte à leur fournir les explosifs, et les cibles, de leurs attentats.
Cette « opération Tripwire » — « opération croche-pied », en VF — réserve aussi quelques surprises, à l’image de ce quatuor arrêté pour avoir acheté les stocks d’acétone, un produit très recherché par les apprentis terroristes, dans trois magasins collaborant avec le FBI :
En fait, « ils ne cherchaient pas à fabriquer une bombe, ils faisaient de la marijuana synthétique », se souvient M. Clancy, « c’est une grande ‘success story’, même si cela n’a pas été l’affaire terroriste du siècle ».
En septembre 2011, une enquête très fouillée des journalistes américains de Mother Jones, « Terrorists for the FBI », révélait ainsi que la majeure partie des projets d’attentats initiés aux USA depuis 2001 avaient été organisés avec l’appui du FBI, via l’un de leurs 15’000 informateurs, payés pour infiltrer les communautés musulmanes aux USA (voir « Pourquoi le FBI aide-t-il les terroristes ? »).
L’enquête de Mother Jones a depuis reçu le prix du data journalisme 2012, décerné par le Global Editors Network (GEN, qui réunit plus de 900 rédacteurs en chef de 80 pays) et l’European Journalism Centre (EJC).
Le « scoop » de l’AFP permet de mieux comprendre ce pour quoi, et comment, le FBI cherche ainsi à pousser les « loups solitaires » à commettre des attentats :
« Au commencement, il y a quelqu’un qui nous dit « je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un qui peut-être veut faire exploser quelque chose ». Il y a ensuite un agent infiltré qui surveille le suspect, jusqu’à lui fournir les ultimes composants d’une bombe. »
En réponse à ceux qui accusent le FBI de « piéger des amateurs qui ne seraient peut-être pas allés jusqu’au bout sans son aide », Michael Clancy répond que le FBI a « toujours respecté la loi », afin de garantir les « droits et libertés » garanties par la Constitution américaine :
« La personne qui finalement appuie sur le déclencheur d’une bombe inerte nous a dit clairement, sans l’ombre d’un doute, qu’elle veut faire exploser quelque chose. L’aurait-elle fait avec ou sans nous ? Ce n’est pas un risque que nous voulons prendre ».
Étrangement, le « scoop » de l’AFP omet toute référence au terrorisme islamiste, se bornant à évoquer la propension du FBI à ne pas s’inquiéter outre-mesure de la menace posée par les « militants de la suprématie blanche », au motif qu’il s’agirait d’une « assemblée légale » (aux USA, on a le droit de se proclamer raciste, ou bien nazi).
Or, si le témoignage (vidéo, à la 41e minute) de Michael Clancy sur la menace terroriste intérieure (« domestic extremism ») devant le Sénat américain, le 19 septembre 2012, ne fait lui non plus aucune référence à la menace islamiste, il n’en pointe pas moins du doigt l’extrêmisme anarchiste, les suprémacistes blancs, les milices paramilitaires, les « éco-terroristes » ainsi que les « criminels en col blanc » qui, membres du « Sovereign citizen movement » qui, refusant de reconnaître les lois locales, fédérales et étatiques, « exploitent la crise de l’immobilier ».
Le FBI a de quoi rendre parano les suprémacistes, les racistes, les anarchistes, les « éco-terroristes », sans oublier les islamistes, potentiellement infiltrables, voire infiltrés. Normal, c’est son boulot. Mais de là à armer les apprentis terroristes, et à les pousser à passer à l’acte, il y a un pas, qui ne grandit pas les USA.
Le funeste Patriot Act, texte liberticide de 132 pages préparé bien avant le 11 septembre 2001, mais opportunément adopté juste après les attentats, est une autre illustration des dérives que permettent la lutte anti-terroriste aux États-Unis.
Entre 2006 et 2009, le NYMag, auteur du graphique ci-contre, a ainsi récensé 1618 perquisitions « coup d’oeil » (« sneek and peek », en l’absence des personnes perquisitionnées) dans des affaires de drogue, 122 pour fraudes, et seulement 15 pour terrorisme, soit 0,92%… (voir « 10 ans après, à quoi ont servi les lois antiterroristes ? »).
Le 26 mai 2011, quelques heures avant l’expiration du Patriot Act, le Congrès américain décida sa reconduction, jusqu’en juin 2015, comme le rapportait alors l’AFP :
« Trois mesures sont considérées comme cruciales par l’administration et les services antiterroristes dans le Patriot Act : la « surveillance mobile » des communications de suspects utilisant plusieurs lignes téléphoniques, le principe du « loup solitaire » qui permet d’enquêter sur une personne paraissant mener des activités terroristes pour son propre compte, la possibilité pour les autorités d’accéder à « toute donnée tangible » concernant un suspect, comme des courriers électroniques. »
Pierre Desproges s’amusait à répéter que « Ce n’est pas parce que je suis paranoïaque qu’ils ne sont pas tous après moi ». Page 291 de Tarnac, magasin général, le journaliste David Dufresne relevait de son côté cette blague qui circule à la SDAT (Sous-direction anti-terroriste) :
« Le terrorisme, il y a plus de gens qui en vivent que de gens qui en meurent. »
L’antiterrorisme a bon dos.
Leur presse (Jean-Marc Manach, BugBrother, 20 novembre 2012)