Le système capitaliste est en crise.
La crise sociale actuelle n’est pas le fruit d’un « complot », ou de la dérive d’un mauvais « capitalisme financier » qui s’opposerait au vertueux « capitalisme industriel ». Ce n’est pas le fruit de la seule « spéculation » qui n’est qu’un des aspects du fonctionnement du capitalisme.
C’est le résultat des contradictions du système capitaliste lui-même, le résultat logique de l’organisation capitaliste de l’économie.
Une organisation qui – même dans des conditions de fonctionnement « normales » – institue l’inégalité sociale, rendant inaccessible à l’immense majorité de la population la satisfaction de ses besoins de base, tout en lui rendant la vie insupportable.
En quelque sorte, le capitalisme produit lui-même les conditions de ses crises, même si sa capacité d’adaptation lui a toujours permis jusque-là de les surmonter, au prix du sang des travailleuses et des travailleurs.
La société dans laquelle nous sommes connait actuellement une quadruple crise – économique, écologique, sociale et politique – qui découle des systèmes capitalistes et étatiques, d’une organisation fondée sur la propriété privée des moyens de production et de distribution, ainsi que de la hiérarchie, la domination et l’exploitation.
Si cette crise touche aussi des secteurs de la bourgeoisie, du fait de la logique concurrentielle inhérente au système capitaliste, ce sont avant tout les travailleuses ou les travailleurs, avec ou sans emploi, qui en paient les fruits, et un large secteur de la bourgeoisie continue à accumuler les richesses, en faisant porter le poids de la crise aux les prolétaires, quand elle ne profite pas de la situation pour renforcer ses positions.
Crise économique
L’organisation économique capitaliste est fondée sur la recherche permanente de profit, à savoir l’accroissement du capital par l’appropriation de la plus-value, c’est-à-dire le vol du produit du travail collectif des travailleuses et des travailleurs, au moyen du régime de propriété privée des moyens de production.
Pour que le profit se réalise, les biens et services créés doivent se transformer en marchandises, c’est-à-dire faire l’objet d’un échange marchand qui leur donne de la valeur au sens capitaliste.
Pour cela, il faut que le système capitaliste entretienne en permanence l’offre et la demande solvable, au besoin en les créant artificiellement. La saturation progressive des marchés (solvables, car seule compte pour le capitalisme la demande de celles et ceux qui peuvent payer) oblige l’appareil productif à renouveler l’offre en permanence, par la création de nouveaux produits et l’organisation de l’obsolescence à court terme des produits fabriqués.
Par ailleurs, la nécessité pour la classe dominante de s’approprier une part toujours plus grande de la richesse l’amène à chercher à maintenir et augmenter son taux de profit par tous les moyens : augmentation du temps de travail et baisse des salaires directs ou indirects, accroissement de la productivité par l’augmentation des cadences, etc.
L’attaque sur les salaires directs ou indirects (protection sociale), entraîne une baisse de la solvabilité des travailleuses et des travailleurs, et par conséquent une baisse de la demande solvable.
Or pour que le profit se réalise, les capitalistes doivent réaliser l’échange des biens et des services, c’est-à-dire écouler leur production à des clients solvables.
Le capitalisme a essayé de résoudre cette contradiction grâce au développement du crédit, pour stimuler artificiellement la demande, et ce depuis les années 70.
Mais le développement du crédit a abouti à une seconde contradiction : il est nécessaire, pour que la réalisation du profit s’effectue, que les débiteurs (travailleurs-ses, entreprises, états, etc.) le remboursent afin d’alimenter la mécanique économique. Or la pression du capital pour faire baisser les salaires et la volonté de s’approprier une part toujours plus importante des richesses entraînent inévitablement des difficultés de remboursements à toutes les échelles.
La solvabilité de la demande pose de nouveau problème, et donc les conditions de réalisation du profit sont rendues plus difficiles pour les capitalistes.
Cela accentue la concurrence capitaliste au sein de la bourgeoisie pour le contrôle du marché, que l’on se place sur le plan national ou international.
Crise écologique
Le modèle économique capitaliste repose sur la croissance de la production de richesses. Or le caractère fini des ressources naturelles, et principalement des ressources énergétiques, se place en contradiction avec cette logique de la croissance.
La pollution, générée par le système économique capitaliste, en mettant en danger les écosystèmes, outre qu’elle impacte directement les conditions de vie des êtres humains, représente un coût croissant qui pèse indirectement sur l’organisation économique, même si ce coût est avant tout assumé par les prolétaires et non par les capitalistes qui en sont à l’origine.
Le caractère limité des ressources énergétiques entraîne une hausse du prix de l’énergie, qui se répercute dans le coût de production des biens et des services. Pour compenser cette hausse, et continuer à vendre biens et services dans un contexte concurrentiel capitaliste en maintenant des prix de vente « compétitifs », la bourgeoisie est amenée de plus en plus à utiliser la seule marge de manœuvre qu’elle possède : celle de la baisse du prétendu « coût du travail », en réalité la baisse de la rémunération du travail. Cela se fait au moyen de la baisse des salaires et de l’accroissement des cadences, de l’intensité du travail visant à accroître la productivité, à rémunération identique ou réduite.
De même, la limitation des ressources énergétiques entraîne une concurrence féroce à l’échelle internationale pour le contrôle des ressources.
La concurrence pour le contrôle des ressources et des marchés passe sur le plan international par la tendance à la guerre, par laquelle les bourgeoisies nationales, de manière coalisée ou unilatérale, cherchent à garantir et accroître leur accès aux ressources.
Crise sociale
Dans un contexte où les contradictions du système capitaliste créent une situation de crise écologique et économique, la bourgeoisie cherche à tirer son épingle du jeu en faisant porter aux travailleuses et aux travailleurs les conséquences négatives de celles-ci.
Cela passe par une attaque brutale contre les conditions de vie des prolétaires, visant à leur arracher une part toujours plus importante des richesses qu’ils créent. Cela amène à une liquidation du « compromis » d’après guerre, c’est-à-dire des conquêtes sociales ouvrières que sont la protection sociale, les services publics, etc. Ces attaques menées par les États au nom de l’« austérité », du « redressement économique » et de « l’épuration de la dette » font plonger des parts toujours plus croissantes des classes exploitées dans la misère et la précarité. Ces attaques touchent plus violemment encore les parties les plus opprimées et exploitées des classes populaires, notamment les femmes, les immigré-e-s, les personnes racisées.
La crise s’accompagne également d’un durcissement des relais de l’oppression patriarcale : discours réactionnaires pour l’enfermement de la femme dans le foyer, remise en cause de l’IVG, fin de l’indépendance économique de nombreuses femmes, augmentation des violences masculines. Par ailleurs, le chômage des femmes est supérieur à celui des hommes mais les chômeurs indemnisés sont plus nombreux que les chômeuses indemnisées.
Ces attaques ont pour conséquence le pourrissement des relations humaines au sein même des classes exploitées, puisque la logique capitaliste met en concurrence les prolétaires pour la survie, dans un contexte de chômage et de misère de masse.
Crise politique
Dans ce contexte, le rôle historique de l’État comme soutien de la bourgeoisie et défenseur de l’exploitation et de l’oppression capitaliste apparaît de plus en plus clairement aux yeux des travailleuses et des travailleurs.
À mesure que s’effondre le mythe de « l’État social » et « protecteur », « instrument neutre » prétendument au « service de la collectivité », se fissure également l’édifice de la « démocratie » (sic) représentative. Les révoltes populaires se développent ainsi de manière croissante y compris dans les zones où jusque-là l’autorité de l’État était installée au nom d’une prétendue « légitimité démocratique ».
Pour faire face à cette situation, les politicien-ne-s et la bourgeoisie recourent de manière grandissante au nationalisme, afin de diviser les prolétaires et brandir des boucs-émissaires dans le but de se protéger de la colère populaire. De même, la tentation du fascisme monte partout dans le monde, certains secteurs de la bourgeoisie lui apportant un soutien grandissant, y voyant un moyen de « mettre de l’ordre » face aux effets des contradictions capitalistes, sans remettre en cause leurs privilèges.
Tout en prenant des formes différentes selon les réalités locales, le fascisme est ainsi promu de manière de plus en plus ouverte, afin d’éviter que la crise politique – qui se développe en lien avec la crise économique, sociale et écologique – débouche sur une révolution sociale. Il vise également à mobiliser, derrière les bourgeoisies nationales, les prolétaires au nom d’une « union sacrée » dans la guerre économique que se livrent les différents groupes, secteurs et blocs capitalistes.
Quelle alternative ?
Nous ne croyons pas, contrairement aux marxistes, que les contradictions du capitalisme le conduisent de manière mécanique à l’effondrement.
La situation de quadruple crise actuelle – politique, économique, écologique et sociale – ne signifie pas l’automaticité de la révolution sociale et du communisme. Le capitalisme a montré par le passé ses capacités d’adaptation. Les bourgeoisies ont accumulé une longue expérience, et n’ont jamais hésité à recourir à la guerre, au fascisme, lorsqu’elles considéraient qu’il en allait de leur intérêt. Les proclamations « démocratiques » des un-e-s et des autres s’effaçant ou se vidant de leur contenu concret lorsque les intérêts fondamentaux étaient en jeu.
Communisme libertaire ou barbarie capitaliste
Plus que jamais se pose donc la nécessité de la révolution sociale, pour en finir avec la barbarie capitaliste. Cette rupture révolutionnaire ne peut découler que du développement des luttes et de l’auto-organisation populaire, et ne saurait être l’œuvre de quelconques « sauveurs suprêmes » ou tribuns providentiels et autres « partis d’avant-garde ». Car l’État ne peut pas être l’instrument de la transformation de la société dans l’optique d’une émancipation individuelle et sociale.
Ces luttes qui prennent racine dans les besoins et les aspirations fondamentales des classes populaires (se loger, manger, se vêtir, se déplacer librement, défendre son intégrité individuelle, se cultiver…) développent les capacités de gestion collective des classes exploitées, et permettent l’organisation de l’entraide. Sur leur base, peuvent se développer l’organisation populaire contre le pouvoir d’État (sapant les bases de « l’État organisateur »), l’expropriation de la bourgeoisie et la mise en commun des moyens de production, leur gestion fédéraliste sur une base territoriale et industrielle.
Ce développement de l’organisation populaire autonome, ne peut se faire à coup de slogans, c’est une œuvre quotidienne qui vise à construire des outils de résistances solides et durables.
C’est un enjeu, une priorité pour toutes celles et tous ceux pour qui le changement social et la révolution ne sont pas des mythes mobilisateurs mais des objectifs concrets, malgré les difficultés de la période.
C’est la seule manière de mettre un coup d’arrêt au développement d’un « cannibalisme social » au sein même de nos classes exploitées.
Aujourd’hui, le développement des luttes est ainsi confronté à plusieurs obstacles :
• La convergence de fait entre système capitaliste et système raciste et patriarcal, qui aboutit à la division des exploité-e-s, et qui a pour effet de solidariser une partie des exploité-e-s avec le système dominant.
• La désorganisation d’une large part des classes exploitées, liée à l’atomisation sociale, au repli individualiste, à la logique du « chacun pour soi », mais aussi à l’incapacité des formes d’organisation actuelles à répondre aux préoccupations de la majorité des exploité-e-s.
• Le poids des idéologies étatistes qui présentent encore de manière mystificatrice l’État comme un recours face à l’exploitation capitaliste, et sa conquête comme un enjeu stratégique.
• La bureaucratisation et l’intégration d’une partie des organisations populaires, qui affaiblissent leur force collective émancipatrice, pour partie appropriée par des minorités dirigeantes.
• La conviction, liée au poids de l’idéologie dominante, qu’il n’existe pas d’alternative à la faible diffusion des idées libertaires. Ce fatalisme est savamment entretenu par des appareils idéologiques, mais aussi par les défaites sociales successives.
Ces obstacles ne sont pas une fatalité, et il appartient à toutes celles et tous ceux qui refusent la barbarie capitaliste de travailler à les lever en développant des formes d’organisation réellement collectives, en associant démocratie directe et fédéralisme, en se confrontant à l’ensemble des systèmes de domination et d’exploitation, et en s’ancrant socialement tout en s’inscrivant dans une perspective internationaliste.
Lever ces obstacles doit nous permettre d’ouvrir des perspectives de rupture avec le capitalisme et l’État, afin d’en finir avec les crises économiques, sociales, écologiques et politiques.
Pour satisfaire les besoins de la population et répondre à la crise économique et sociale, nous proposons une société sans classes et sans État, en mettant fin à la propriété individuelle des moyens de production et d’échange, afin de se débarrasser des inégalités et de l’exploitation.
Nous proposons une organisation sociale basée sur l’autogestion généralisée de la société et le fédéralisme pour répondre aux crises politiques et écologiques. Il s’agit ainsi de garantir l’égalité politique effective et de prendre collectivement en charge les questions écologiques.
Ces propositions de rupture expriment la double exigence de répondre à la fois aux crises auxquelles nous sommes confronté-e-s et à la volonté de permettre l’épanouissement des individu-e-s.
Motion adoptée lors du Ve congrès de la CGA, les 1, 2, 3 novembre 2012
Tribune syndicaliste libertaire, 14 novembre 2012
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