Merah : l’incroyable [sic] raté des services secrets
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Depuis l’assaut du RAID, à Toulouse, et la mort du tueur, la question de savoir si le renseignement français a failli dans le suivi du jeune homme, fiché depuis 2006 et réellement suivi depuis 2011, est centrale. Les notes de la DCRI auxquelles Le Monde a eu accès démontrent que les services, qui savaient tout du profil « inquiétant » de Merah, ont inexplicablement [sic] arrêté de le surveiller fin 2011.
Cet échec est au cœur de l’audition de Bernard Squarcini, l’ex-patron de la DCRI, le 25 septembre. Interrogé par le juge Christophe Teissier, chargé de l’enquête sur les assassinats, il explique que Merah ne correspondait pas au profil classique des djihadistes : « Sur plus d’une trentaine de Français djihadistes partis de France vers la zone pakistano-afghane, Mohamed Merah n’a jamais attiré l’attention des services par son comportement radical : pas de signe extérieur de radicalisme religieux, pas de lien avec la mouvance islamiste toulousaine lors des retours de ces voyages. »
Les notes déclassifiées de la DCRI prouvent pourtant que le jeune délinquant était suivi depuis 2006 « dans le cadre de la surveillance de la mouvance salafiste toulousaine ». Cette surveillance se renforce considérablement début 2011, lorsque la DCRI apprend que Merah a été contrôlé six semaines auparavant par la police afghane à Kandahar, « ville considérée comme un bastion taliban ».
Dès mars 2011, un policier de la DCRI décrit le comportement « inquiétant » de Mohamed Merah : « Il vit cloîtré dans son appartement (…), fait preuve d’une grande méfiance lors de ses rares sorties. » Ce comportement « paranoïaque » ne fera qu’aller crescendo et sera abondamment détaillé dans les écrits de la DCRI.
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Bien sûr, la DCRI ne peut pas suivre tout le monde [sic]. C’est la défense de M. Squarcini. Les personnes « présentant un profil pouvant déboucher sur une action violente ou ayant un relationnel avec une mouvance radicale sont de plus en plus nombreuses. (…) Il y en a plusieurs centaines », justifie-t-il. Il n’empêche : pourquoi, alors que le comportement de ce jeune des quartiers est jugé « inquiétant », « ambivalent », la DCRI arrête-t-elle subitement sa surveillance en novembre 2011 ? Le juge Teissier s’étonne de cette « rupture ». Est-ce une erreur d’appréciation ? Un manque de moyens ? Ou un changement de stratégie après la rencontre des policiers avec « leur objectif » le 14 novembre ?
Le rendez-vous a lieu dans les locaux du renseignement intérieur de Toulouse. Mohamed Merah, affaibli par une hépatite A, arrive « très fatigué ». Au bout de vingt minutes, il demande à s’allonger. Les policiers n’y voient pas d’inconvénient. C’est donc couché sur une table, gêné par la lumière, que pendant deux heures et demie, il raconte en détail son séjour à Damas, ses deux escapades en Turquie, comment il s’est fait refouler à la frontière iranienne, ses trois jours au Liban puis à Jérusalem, sa rencontre à Douchanbé (Tadjikistan) avec deux militaires français chargés de la réfection de l’aéroport, le contact « très chaleureux » avec les officiers américains de Kandahar avec lesquels il a échangé coordonnées et adresses Facebook.
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Un rapport a été rédigé à l’issue de l’entretien du 14 novembre. Il s’agit du dernier écrit de la DCRI sur Merah « figurant à la procédure ». Au grand étonnement du juge : « Plus aucun rapport n’a été effectué sur Mohamed Merah ou sa famille. Pourtant, c’est peu ou prou à compter de cette époque que Mohamed Merah va commencer des préparatifs pour ces actes futurs. » (…)
Mohamed Merah a-t-il pu « bénéficier à un moment quelconque, de l’aide positive ou passive » de la DCRI ou d’un autre service de renseignement, insiste le juge. Bernard Squarcini se montre plus prudent : « Jamais à ma connaissance et compte tenu des éléments en ma possession. »
Six ans de surveillance
2006
20 octobre : Mohamed Merah est fiché par les services de renseignement dans le cadre de la surveillance de la mouvance salafiste toulousaine.
2010
Juillet à octobre : voyages en Syrie (juillet-août), en Turquie (août), au Liban (5-7 septembre), en Israël (4 jours début septembre), en Jordanie (une journée) et en Égypte (un mois et demi).
29 octobre : trois semaines au Tadjikistan. Le 13 novembre, il prend un vol pour l’Afghanistan.
22 novembre : contrôle à Kandahar par la police afghane.
5 décembre : retour en France.
2011
10 janvier : la DCRI réactive sa veille. « La présence de Mohamed Merah (…) à Kandahar (…) connu pour être une zone de transit abritant des cellules djihadistes, doit nous interpeller. » 21 avril 2011 Merah reçoit la visite d’un membre supposé du groupuscule islamiste Forsane Alizza.
26 avril : une note de la DCRI présente Merah comme un « personnage ambivalent ».
Juillet-août : Merah entretient des liens réguliers avec deux piliers de la mouvance salafiste radicale de Toulouse et les membres du groupe d’Artigat (filière irakienne). Il est en contact avec des islamistes en Grande-Bretagne.
19 août-19 octobre 2011 : voyage au Pakistan. La DCRI cherche à le joindre. Merah rappelle et explique être là pour « une fille ».
14 novembre : entretien avec les policiers de la DCRI.
2012
11 mars : assassinat d’un parachutiste à Toulouse.
15 mars : assassinat de deux militaires à Montauban.
19 mars : l’attaque de l’école juive Ozar Hatorah, à Toulouse, fait quatre morts.
22 mars : mort de Merah, lors de l’assaut du RAID, à 11h30.
Publié par des larbins de la maison Poulaga (Laurent Borredon et Émeline Cazi, LeMonde.fr, 19 octobre 2012)