[Le marché de la destruction de l’art] « Les fouilles clandestines sont tolérées par les autorités pour quiconque accepte de se tenir éloigné du soulèvement ou dénonce des activistes »

Syrie : le patrimoine archéologique victime de la guerre

REYHANLI (Turquie) – L’extraordinaire patrimoine archéologique syrien (photo [ci-dessous] : la ville d’Alep en 2006) est victime des combats, des destructions, de vols et de pillages organisés qui se multiplient dans le pays. Dans un pays regorgeant de trésors antiques, où la corruption et le trafic de pièces archéologiques était chronique, la généralisation des affrontements, le vide de pouvoir dans certaines régions et le contrôle de secteurs entiers par des groupes armés a provoqué une explosion des pillages et des fouilles illicites.

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Vue générale de la ville d’Alep, dans le nord de la Syrie, en 2006

« Il est évident que dans des situations de ce genre on assiste toujours à une recrudescence des pillages, des fouilles illégales et des trafics » confie Véronique Dauge, du centre du patrimoine mondial de l’Unesco. « Souvenez-vous de ce qui s’est passé en Irak en 2003 ».

« Des images ont été mises en ligne sur internet, dans lesquelles on voit distinctement des têtes et des bustes tirés du site de Palmyre, emportées dans une camionnette », ajoute-t-elle. « Mais, à cause de la situation, nous n’avons que des bribes d’informations, que nous tentons de compiler ».

L’armée syrienne est régulièrement accusée de procéder elle-même aux pillages ou de tolérer ces activités menées par des civils, souvent des bandes de trafiquants bien organisés. À Reyhanli, petite ville turque frontalière avec la Syrie, un réfugié syrien récemment arrivé de la fameuse ville antique de Palmyre affirme que le musée avait été entièrement pillé et que des vols à grande échelle étaient perpétrés sur le site. « Ce sont les chabihas, les bandes d’Assad qui font cela » affirme cet homme sous le pseudonyme d' »Abou Jabal ». « L’armée est sur place, elle surveille tout ».

« La télévision d’État a dit que le musée avait été pillé et accusé des groupes armés d’avoir fait le coup », dit-il. « Mais il n’y a aucun civil capable de faire çà, l’armée et les chabihas tiennent tout. Ce sont eux qui font cela, pour récupérer de l’argent et contourner l’embargo international ».

La vidéo amateur [ci-dessus] a été mise en ligne le 17 août : elle montre sept ou huit sculptures, des bustes, entassés à l’arrière d’un pick-up. Autour du véhicule, des militaires parlent.

« Nous avons fait étudier ce qu’ils disent par des Syriens travaillant avec nous : il s’agit bien de soldats et tout nous porte à penser que l’armée vole ou laisse voler des antiquités à Palmyre et ailleurs », assure l’archéologue espagnol Rodrigo Martin.

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Une église byzantine endommagée par les combats dans le village druze de Loza

Rodrigo Martin est le porte parole d’un groupe d’archéologues, syriens et étrangers ayant travaillé en Syrie, qui a formé un groupe, « Patrimoine syrien en danger », dont le but est de tenter de surveiller, grâce à un réseau d’informateurs à l’intérieur du pays, ce qui se passe sur les sites archéologiques. Ils ont ouvert une page Facebook, « Le patrimoine archéologique syrien en danger », sur laquelle ils tentent de collecter des informations et d’en diffuser.

« Nous avons aussi découvert sur le net des photos de soldats, à peine adolescents, en uniformes, qui posent à côté de pièces volées, comme des trophées », ajoute l’archéologue.

« Des batailles ont eu lieu sur des sites, d’autres sont pillés, ailleurs des permis de creuser sont donnés par l’armée à des bandes, en échange de leur complicité ou de leur neutralité dans le conflit », ajoute-t-il. « Mais, même si nous avons de nombreux contacts, il nous est difficile de savoir ce qui se passe vraiment. Nous ne découvrirons l’ampleur des dommages qu’après la guerre ».

Son organisation a également recueilli des témoignages accusant les groupes rebelles, dans les secteurs qu’ils contrôlent, d’avoir recours aux trafics pour se financer. « Nous avons des échos, des rumeurs, mais c’est très difficile à vérifier », dit-il.

Le 12 septembre, le magazine Time a publié un article dans lequel un trafiquant d’antiquités libanais assurait que les insurgés avaient monté des groupes de fouilleurs clandestins afin de récupérer des antiquités pour financer leur combat.

« Les rebelles ont besoin d’armes et les antiquités sont un bon moyen de les acheter » a affirmé ce trafiquant, « Abou Khaled ». « La guerre a de bons côtés pour nous. Nous achetons des belles pièces d’antiquités pour pas cher, et nous vendons des armes à de très bons prix ».

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Le site de Palmyre, en 2010

Dans un rapport intitulé « Le patrimoine archéologique syrien est en danger », l’organisation Euromed-Heritage, financée par l’UE, souligne le péril que représentent actuellement en Syrie les fouilles clandestines. « Les fouilles clandestines représentent un danger pour l’histoire et le patrimoine syriens depuis de nombreuses années. Malheureusement, les événements actuels ont accru de manière considérable ce péril. De nombreux groupes se sont attachés à mener des fouilles clandestines, à commencer par les forces de sécurité », assure le document.

« On déplore la participation de civils à ces actions criminelles, dont les acteurs varient en fonction des régions. Auparavant cachés, ces violations du droit se déroulent désormais au vu et au su de tous. Nous en avons des exemples avérés dans les provinces de Der’a, Hama et Homs. Mieux encore, les fouilles clandestines sont devenues objets de tractations : elles sont tolérées par les autorités pour quiconque accepte de se tenir éloigné du soulèvement ou dénonce des activistes. Cet aspect de la destruction du patrimoine rejoint la question de la corruption. Une responsabilité directe en ce qui concerne la progression de ces destructions pèse sur le ministère de la Culture, le DGAMS et ses directions régionales, ainsi que sur les forces de sécurité, directement impliquées dans les pillages ou les tolérant en échange d’une collaboration ».

Pour l’archéologue britannique Emma Cunliffe, autre spécialiste de la Syrie, ce qui s’est passé en 2003 en Irak est en train de se répéter.

« Nous n’avons pas de preuves formelles, mais il semble se passer, dix ans plus tard, exactement ce qui s’est passé lors de l’invasion américaine en Irak ». « Regardez les prix des belles pièces aux enchères chez Christie’s et Sotheby’s… C’est ridicule tellement c’est élevé. Tant qu’il existera une telle demande sur le marché international, les pillages continueront ».

Leur presse (Michel Moutot, blog « Cross-culture » sur AFP.com, 27 septembre 2012)

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