La « privatisation de la violence » se répand en Corée du Sud
Les grandes entreprises ont souvent recours à des sociétés paramilitaires privées pour briser les grèves.
L’opposition dénonce la complaisance du pouvoir vis-à-vis de ces pratiques.
Un récent scandale a contraint les autorités à réagir.
Le 27 juillet à 5 heures du matin, à Ansan, au sud de Séoul, 200 hommes armés de matraques forcent l’entrée de l’usine de pièces automobiles SJM, occupée par son personnel en grève. Équipés comme des policiers antiémeute, avec casques et boucliers en plexiglas, les assaillants passent à tabac les grévistes. Une trentaine d’ouvriers sont blessés, dont une dizaine gravement pour avoir tenté de s’enfuir en sautant par les fenêtres. La police, prévenue et présente sur place, n’est pas intervenue.
Les agresseurs étaient des employés de Contactus, une société de sécurité qui se qualifie elle-même « d’entreprise militaire privée » sur son site Internet, aujourd’hui fermé. Elle affirme pouvoir mobiliser une force de 3000 hommes si nécessaire, bien équipée : armures, chiens, canons à eau antiémeute montés sur des camions, et petits hélicoptères sans pilote.
« Lors de l’attaque, les policiers sont restés assis sur leurs mains », s’insurge Cho Ho-joon, représentant du syndicat de SJM, en expliquant que « ce type de violences existe depuis plusieurs années ». L’affaire SJM a cependant soulevé une vague d’indignation en Corée du Sud, inquiète de l’utilisation croissante par les grandes entreprises de ces briseurs de grève professionnels, qui semblent opérer en toute impunité.
Des sociétés de mieux en mieux organisées
« Les sociétés de sécurité privées existent dans d’autres pays. Mais en Corée leurs activités sont uniques : elles servent à expulser de force les résidents des quartiers pauvres voués à la reconstruction, et à écarter les syndicats en grève. Elles sont de mieux en mieux organisées. Il est pourtant interdit à des sociétés privées de posséder de tels équipements lourds et de recourir à la violence. Mais sous l’administration Lee Myung-bak, le gouvernement n’applique pas strictement la loi », s’indigne Park Hui-hyeon, de l’ONG Minbyung, qui rassemble des avocats.
Le président conservateur Lee Myung-bak, élu en 2007, a été directeur de Hyundai Constructions, une branche du conglomérat sud-coréen Hyundai. Il lui est souvent reproché une trop grande tolérance vis-à-vis des pratiques des grandes entreprises.
De nombreux observateurs estiment que l’attaque contre la SJM n’a pas pu se produire sans la connivence des agences gouvernementales. « La société Contactus a prospéré sous l’administration Lee Myung-bak », affirme, de son côté, le quotidien de centre-gauche Hankyoreh. Les médias coréens ont ainsi révélé que le président de Contactus, Moon Sung-ho, est aussi membre du parti au pouvoir, le Saenuri.
Mobilisation de l’opposition
Même le Joongang Ilbo, un grand quotidien conservateur et proche du gouvernement, se dit « alarmé » par l’essor de ces « organisations composées en majorité de gangsters, qui se sont transformées en sociétés légales spécialisées dans la lutte contre les travailleurs syndiqués ». Le journal reproche néanmoins aux syndicats coréens, traditionnellement très puissants, de ne pas hésiter non plus à avoir recours à des actions parfois violentes.
Depuis l’affaire SJM, l’opposition s’est émue. Le Parti démocrate a convoqué la société devant une commission parlementaire. Une députée démocrate a rendu public un rapport qui dresse la liste des principales entreprises ayant fait appel, avant 2011, aux services de Contactus. En deuxième position y apparaît d’ailleurs la filiale coréenne de l’équipementier français Valeo Electrical Systems.
Obligée de réagir face au scandale, la police a présenté des excuses, et a révoqué en août la licence commerciale de Contactus, rendant la société illégale. Son directeur et quatre cadres sont poursuivis en justice. Les dirigeants de l’entreprise SJM, commanditaire de ces services musclés, font eux aussi l’objet d’une enquête judiciaire.
De dégats déjà considérables
Mais cela ne signifie pas la fin de ces pratiques. Les syndicats soulignent que des douzaines d’autres sociétés de ce type existent toujours. Et, surtout, que les dégâts réalisés sont déjà considérables : « Nous voyons les syndicats être éjectés les uns après les autres des usines. Notamment des entreprises qui auparavant n’embauchaient que des travailleurs réguliers, explique dans Hankyoreh Oh Min-gyu, du syndicat des travailleurs intérimaires. Ce n’est pas le problème d’une seule entreprise. Ces pratiques ont eu un impact sur tout le marché du travail. »
Presse cul-bénite (Frédéric Ojardias à Séoul, La-Croix.com, 16 septembre 2012)