Update du 29 août
« Si le vote n’était pas le meilleur antidote contre nos grèves et nos révoltes, on ne nous l’assénerait pas, à tous les coups, à coup d’assemblées syndicales. »
La reprise des hostilités, la bataille tant attendue, le retour du refoulé en lock-out n’a pas été à la hauteur des feux d’artifices annoncés. Pétard humide, qui fume sans feu. La suspension estivale et la reconfiguration électorale du terrain de jeu semblent avoir eu raison de l’élan populaire. Le défi qui oppose la rue à Charest est jeté dans l’urne comme un vieux cadavre brûlé. Mais oui, ça se débat encore, ça résiste encore à l’arrestation. Seulement, on entend partout des grévistes sur-motivés qui se préparent à enterrer le printemps si le PQ est élu.
Le fil rouge et le fil bleu, est-ce que ça fait boum ?
Alors, deux mois et demi plus tard, je me suis décidé à réécrire un truc. J’allais pas non plus m’attarder à raconter ce qui ne s’est pas passé. Les manifs du 22 juin, et du 22 juillet, j’y étais même pas. Beaucoup de monde certes s’est déplacé, mais qu’en dire de plus. Les assemblées de quartier (les « APAQ ») ont servi de lieu de rendez-vous pendant l’été à quelques dizaines de personnes, par-ci, par-là. Les manifs de soir ont été réduite au trottoir et traversent la rue au feu vert. Et les casseroles résonnent encore paraît-il, une fois par mois dans Villeray.
C’est le 1er août, pour la 100e manif nocturne, qu’un premier signe de vie est venu briser l’hibernation de l’été. Quelques milliers à nouveau, beaucoup de joie à se retrouver, et à narguer la police pendant des heures. Échange de gaz et de mobilier urbain près du festival de la mode, puis dispersion en grosse bandes dans les bars de l’est de la ville. Les jours suivants, ça reste encore un peu amorphe, à attendre sous la canicule. Juste avant la rentrée des premiers CÉGEP, le 13 août, le decrescendo des APAQ a été brièvement interrompu par l’organisation de fêtes de quartier. Pas de grand succès de ce côté-là, tandis que les premiers résultats d’AG de CÉGEP sortent. La majorité reprendront les classes, craquant devant les menaces d’annulations de cours. La semaine du 13, qu’on annonçait sanglante, s’est révélée très ennuyante. Les associations étudiantes des CÉGEP du Vieux-Montréal et de St-Laurent sont les seuls à avoir reconduit la grève. Or, les deux se sont vu contraint de tenir de nouvelles AG à cause de pétitions, qui ont finalement permis de renverser la décision lors des seconds votes. Tous les yeux se sont tournés vers les étudiants universitaires dont le retour en classe était prévu pour le 27 août.
L’ambiance électorale à son comble : ça paraît dans les AG. Les médias parlent déjà de la grève au passé, quand ils en parlent. Silence de toute part au sujet des camarades judiciarisés avec des conditions de merde.
La semaine du 20, finalement, quelques facs reconfirment la grève. Bref soulagement. Science po, Sciences humaines et Arts de l’Uqàm, plusieurs modules de l’UdeM, et apparemment quelques autres modules ailleurs, dont j’ignore si les cours sont réellement levés. La grève n’est pas finie : elle touche encore plus d’étudiants, quantitativement, que lors de certaines grèves passées, et le contexte est encore très polarisé. C’est l’échéancier électoral qui décourage beaucoup de monde. « À quoi ça sert de rester en grève si le gouvernement est dissout ? » « Faisons une trève et on reprendra si Charest est réélu ». Voilà la ligne qui sort des jeunes bouches de carrés rouges. La stratégie de la gang à Charest aura bien marché.
Le 22 septembre, la grosse manif nationale est plus « nationale » que jamais, décorée comme un beau sapin de pancartes du PQ et de Québec Solidaire. Beaucoup de monde, certes, mais ça va pas loin. Malheureusement, le Bloc éthylique n’était pas très gros (nous étions quelques-uns à tenir la piquette de grève, appelant à une cuite contre la 78 à même un cubi rouge).
C’est bien ça qui se passe. Ça reste un gros « mouvement », mais sa profondeur est douteuse. Plongez-y à vos risques.
Lundi dernier, retour en classe dans les facs. À nouveau, il faut bloquer les cours, cette fois sous les menaces de la loi 12 (a.k.a. loi 78) et des administrations débordées. Les tournées de classes se font masqué, pour éviter les représailles (amendes individuelles de 5000$ pour perturbation des cours). Un peu de bordel à l’UdeM, des étudiants sont séquestrés dans une salle de classe par des vigiles (et non l’inverse, malheureusement), et l’anti-émeute rapplique en force pour les seconder. Quelques arrestations s’ensuivent, et le lendemain, rebelotte. L’administration de l’Uqàm fait aussi sa plainte aux flics, mardi soir, mais mercredi ça reste assez calme. Les syndicats de profs menacent d’entrer en grève illégale si les administrations forcent la rentrée manu militari. La direction de l’UdeM fini par suspendre les cours des modules en grève jusqu’au lendemain des élections. Au moment d’envoyer ce texte, j’apprend que la Fac de sciences humaines (la moitié des grévistes de l’Uqàm) vient de tenir une assemblée extraordinaire qui a fait tomber la décision de la semaine dernière. Ils rentrent en classe demain.
Les élections sont prévues pour mardi. On sent qu’un tas de monde retient son souffle.
Tout peut encore arriver.
Sans-titre-diffusion, 30 août 2012
P.-S. : Je vous laisse ce tract fait à l’udem hier :
UNE UNIVERSITÉ OÙ L’ANTHROPOLOGIE, LE CINÉMA, LA LITTÉRATURE, L’HISTOIRE DE L’ART, LES ÉTUDES DU SUD-EST ASIATIQUE S’ENSEIGNENT ET S’ÉTUDIENT LE GUN SUR LA TEMPE
Ce qui avait été jugé intolérable par la communauté universitaire, ce contre quoi les casseroles ont retenti il y a à peine quelques semaines, on l’accueille maintenant à portes ouvertes, dans un revirement que seule la peur doit expliquer. À l’U. de M., c’est un drôle de déjà vu, en plus trash. Quelle espèce d’insolation l’été nous aura-t-il infligée pour que nous cessions de nous câlisser de la loi spéciale ?
Cette loi qui échoue tout test constitutionnel a pour seul futur son invalidation. En cet instant où toute notion de droit se brouille, il devient banal de séquestrer des étudiantEs et des profs des heures durant. Pris en souricière, on attend, la « sécurité » attend, la police attend les ordres des acolytes hébétés d’un pouvoir fantôme.
Une loi spéciale, c’est toujours la dernière carte des gouvernements trop lâches pour reconnaître un mouvement social, c’est le free for all des flics et de la « sécurité ». L’anti-émeute dans les couloirs et les salles de cours, c’est une commande de l’U. de M. Elle forge par là son idée de l’université qui va créer un lourd précédent si on n’agit pas ensemble, maintenant.
Or comment enchaîner sur l’occupation policière de l’U. de M. ? Il faut sans doute retourner à tout ce qui nous reste pour se décider collectivement. Il est à présent primordial que les divers syndicats qui représentent à peu près tout ce qu’il y a d’humain à l’U. de M. (syndicat des employéEs de soutien, des technicienNEs, des profs, chargéEs de cours, des étudiantEs, des diverses CO-OP, etc.) mettent de nouveau leur pied à terre. Sans quoi on entre dans le silence de la collaboration, pour y demeurer.
À chaque fois que la police rentre dans une université, cela rappelle des mauvais souvenirs. Cela rappelle des massacres, cela rappelle la dictature, cela rappelle le fascisme. Kent State, Nanterre 1970. Athènes 1973.
Les événements récents ne font que reposer, avec une violente actualité, la question de la légitimité d’une administration aussi pleine de mépris pour ceux et celles qui sont le corps et l’âme de l’université.
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