Le « Métronome » de Lorànt Deutsch, un livre idéologique ?
Vendu à 1,5 million d’exemplaires et adapté par France 5, le livre Métronome de Lorant Deutsch est un succès. Cet ouvrage pose pourtant « problème » pour des historiens.
Passé par la télévision, le théâtre et le cinéma, Lorànt Deutsch est aujourd’hui associé au monde de la littérature depuis la sortie, en 2009, de Métronome, l’histoire de France au rythme du métro parisien, son premier livre consacré à l’histoire de Paris.
Des historiens, blogueurs et passionnés ont réagi après l’adaptation coûteuse (1 million d’euros, par les deniers publics) de l’ouvrage par France 5. Ils s’interrogent quant à une certaine vision de l’histoire, notamment « pro-royaliste », « anti-républicaine » et « anti-révolutionnaire ».
Car jusque là, peu de médias ont été critiques, autant à l’égard du livre que de la série télévisée :
« Un pavé d’une science impressionnante » selon BibliObs ;
« Un récit enlevé de l’histoire de France vue de Paris, entre vulgarisation et
effluves d’une réelle érudition » selon Libération ;
« Cette série donne envie de chausser ses meilleures baskets pour parcourir la
ville » selon Le Monde ;
« Une prouesse technique et ultra pédagogique » selon Télérama.
La série a été regardée en moyenne par 1 million de téléspectateurs, un record pour la chaîne française sur cette case horaire. Et comme le précise William Blanc, doctorant en histoire et président de l’association d’éducation populaire Goliard(s), l’ouvrage n’a pas été confiné à quelques érudits.
« “Métronome”, disponible au rayon histoire, est en passe de faire autorité pour ses millions de lecteurs, repris par des responsables politiques (Robert Hue en a fait son coup de cœur) et scolaires (à Paris, ici et là). Ce qui est mis à bas, c’est l’action patiente des historiens de terrain et des éducateurs populaires qui, depuis des décennies, interviennent en milieux scolaire. »
Dans les livres : des erreurs historiques
Dans la préface du livre, Lorànt Deutsch annonce qu’il va raconter « l’Histoire […] encore vivante sur les lieux où jadis elle se déroula ». Premier souci : aucune source et aucune bibliographie ne sont disponibles.
Et le Métronome comporte des erreurs : « au moins une dizaine » selon William Blanc. Parmi elle, il est par exemple écrit dans le Métronome illustré :
« Quand Childéric s’envola pour le paradis des guerriers germains, son fils Clovis acheva [le Louvre]. »
William Blanc corrige :
« Le Louvre aurait été construit par le père de Clovis, alors qu’il l’a été parPhilippe Auguste, sept siècles plus tard, en 1190. »
Mais pour le site Histoire pour Tous, les coquilles sont une chose, avancer des faits sans « étayer », en est une autre :
« Lorànt Deutsch affirme mais ne livre aucune vision critique. Par exemple, sa théorie comme quoi Jeanne d’Arc serait la demi-sœur du roi Charles VII […]. Avancer des hypothèses, c’est le b.a.-ba de tout livre d’histoire. Mais on ne peut pas se contenter de lancer un pavé dans la mare en quelques mots, sans rien justifier, et passer ensuite au paragraphe suivant. »
Exemples des épisodes 1 et 2 de la série
Prenons pour exemple le prolongement télévisuel du Métronome, soit l’adaptation de l’ouvrage par France 5, réalisée par Fabrice Hourlier. Concentrons nous sur les deux premiers épisodes, qui durent environ cinquante minutes chacun.
Des rois, chefs et saints omniprésents
Au-delà des Lutéciennes « qui faisaient leur shopping » au forum et des raccourcis chronologiques soudain entre le VIe et le XIVe puis le VIIe et le XIIe, Lorànt Deutsch a une particularité : il ne parle pratiquement que des saints, des empereurs, des chefs, des rois. Et les encense.
Ce sont eux, et seulement eux, qui font l’histoire. De Saint Denis « notre saint » à Martin de Tours, « un homme généreux qui se consacra aux pauvres », en passant par Sainte Geneviève qui, avec son « charisme, sa foi chrétienne, son autorité et sa richesse, lui permettent de prendre la haute main sur le destin de Paris », on ne compte plus les hommes d’Église.
Omissions historiques et légendes au présent de vérité générale
Dès lors que Lorànt Deutsch parle de sanctuaires, d’abbayes ou d’églises, une musique dramatique est utilisée. Le vocabulaire de l’écrivain est parfois exagéré lorsqu’il s’agit de décrire ces lieux avec objectivité : « grandeur de notre patrimoine » ; « symbolique » ; « émouvant » ; etc.
Et tout est fait pour glorifier, en oubliant certains passages de l’histoire, ou en ommettant d’employer le conditionnel :
• En 885, Paris est assiégé par les Vikings. Et selon Lorànt Deutsch, dans l’épisode 2, c’est le comte de Paris d’alors, Eudes de France, « véritable héros », qui a permis de les faire partir. Il oublie de préciser que le roi Charles III le Gros a dû payer un tribut aux Vikings pour qu’ils déguerpissent.
• Les miracles ? Ils existent ! Martin de Tours sauve un lépreux et l’évêque Saint Marcel tue une bête mystérieuse. Lorànt Deutsch raconte aussi l’histoire du serrurier Biscornet à Notre-Dame qui signe un pacte avec le diable. Tout cela est raconté au présent, sans aucune précision ou mise en garde.
Les révolutionnaires, ces horribles « persécuteurs »
Enfin, avec Lorànt Deutsch, il ne fait pas bon être révolutionnaire et défier l’ordre, la monarchie ou la royauté. Car avant même que la révolution ne soit évoquée par l’écrivain, les acteurs en prennent pour leur grade.
L’écrivain parle, dans un premier temps, de « fureur révolutionnaire » ; « fureur populaire » et des « nouveaux persécuteurs » qui « saccagèrent » une abbaye bénédictine. Dans l’épisode 2, le présentateur va plus loin.
Selon lui, les révolutionnaires auraient sciemment stocké du salpètre [poudre à munition, ndlr] dans l’église Saint-Germain avec « une volonté réfléchie de faire pourir de l’intérieur le fondement des édifices religieux ». Sans forcément préciser qu’il pouvait tout simplement s’agir d’un lieu de dépôt pour les armes.
Et lorsqu’il évoque le roi Dagobert, au sujet de sa mauvaise réputation, la faute revient à « la brutalité révolutionnaire ». Il précise :
« La Révolution, qui se moque bien de la vérité historique, a produit cette rengaine pour railler les rois et les saints. »
Des convictions politiques trop visibles
D’après William Blanc, ces erreurs et ommissions sont « orchestrées » afin de rendre compte d’une histoire « où rois et saints catholiques sont à la fois héros et moteur ». La comparaison avec le livre Le Tour de la France par deux enfants est appropriée selon lui.
Sur le site Histoire pour Tous, J. Perrin acquiesce :
« L’histoire ne cesse de graviter autour des rois, des reines et de leurs proches au point que nous avons parfois le sentiment que c’est à eux seuls que nous devons cette histoire. »
Matthieu Lépine, professeur d’histoire, parle en ces termes de l’émission dans un article consacré à la série :
« Cette émission, présentée comme un outil d’éducation populaire n’est en réalité qu’une arme de propagande, faisant à la fois l’éloge de la monarchie, la glorification de la chrétienté et le réquisitoire de la Révolution française. »
Et William Blanc de conclure :
« Derrière cette vision, il y a sans doute un auteur qui a du mal à cacher ses convictions royalistes et catholiques ultra. »
Lorànt Deutsch : « un royaliste de gauche »
Loin de la frilosité de certains artistes à s’épancher sur leurs opinions, l’écrivain français assume ses positions politiques dans les médias : il se dit « royaliste de gauche ».
Il l’a afffirmé au micro de RMC le 28 septembre 2009, puis lors de l’émission « On n’est pas couché » le 27 novembre 2010, et plus récemment sur Europe 1 le 6 avril 2012.
Et au Figaro, en mars 2011, il déclare :
« Pour moi, l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche […].
C’est comme avec la religion, on essaie de faire triompher la laïcité, je ne sais pas ce que cela veut dire. Sans religion et sans foi, on se prive de quelque chose dont on va avoir besoin dans les années à venir. Il faut réintroduire la religion en France, il faut un concordat. »
Presse contre-révolutionnaire (Rue89, 20 mai 2012)
« Royaliste de gauche ».
C’est assez marrant comme expression, surtout quand on sait que la « gauche » en politique est à l’origine ceux qui, dans l’assemblée nationale, voulaient couper la tête du roi en 1789 et se trouvaient à gauche du président.