Troisième jour du procès antiterroriste : vous avez dit “anarcho-autonome” ?
Quelle est la nature de la “mouvance” citée par la police, à laquelle appartiendraient les prévenus qui comparaissent depuis lundi à Paris ? Le tribunal s’est concentré ce mercredi sur des tentatives de définition hasardeuses.
Tout tourne autour d’une absente au procès des six personnes accusées d’association de malfaiteurs “en vue de la préparation d’actes de terrorisme”. Sans cesse évoquée, jamais définie, objet de prises de bec à l’audience, “la mouvance anarcho-autonome francilienne” (parfois abrégée en MAAF) constituerait pour l’accusation le cadre dans lequel évoluent les prévenus, leur point de rendez-vous commun et leur matrice idéologique.
S’ils acceptent tant bien que mal l’étiquette “contestataire”, “anticapitaliste” voire “anarchiste” ou “communiste”, sans appartenir à aucune organisation, aucun d’eux ne se réclame de cette “mouvance anarcho-autonome” apparue pour la première fois dans un rapport des renseignements généraux au début des années 2000 et popularisée par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, qui y voyait une sorte de résurgence-croupion d’Action directe. L’expression a été largement reprise depuis, avec ou sans guillemets, par des PV de police et des articles de presse. Elle a aussi été appliquée aux mis en examen de Tarnac.
Incompréhension
Les débats de mercredi, tout en abordant de manière un peu plus précise l’idée des policiers sur ceux qu’elle implique, n’ont fait que creuser l’incompréhension entre le tribunal et les prévenus.
La présidente, qui avait préalablement regretté cette absence de définition, donne lecture d’un procès-verbal de police répertoriant les actes attribués par la police à cette “mouvance” en 2007 et 2008. Dégradation de permanences de partis politiques, “appel à l’émeute et à l’insurrection” le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle place de la Bastille, incendie de 27 véhicules la veille, contestation de la construction d’un établissement pour mineurs à Porcheville, contestation des lois LRU (sur la réforme des universités), lutte anticarcérale, dépôt d’un engin incendiaire à HEC où devait se tenir un congrès du Medef, “dégradations par graffitis”, etc.
“Des actions concertées à l’encontre des forces de l’ordre et du capitalisme”
Ces faits de nature et de gravité délictuelle très différentes ne sont pas imputés aux prévenus mais à “la mouvance” dans son ensemble. Sur le banc, Me Bedossa, l’une des avocates de la défense, s’impatiente : “Ils étaient tous en détention en 2008 !” La présidente se justifie : “je donne les éléments qui sont au dossier”. Si cette liste ne fait que donner un contexte au procès, elle n’est pas dépourvue d’intérêt informatif : on y apprend (enfin) ce que la police range sous la bannière de la “mouvance anarcho-autonome francilienne” :
“Un noyau d’une cinquantaine d’individus de 20 à 30 ans, auquel se joignent 150 à 200 personnes membres de différentes organisations libertaires, pour des actions concertées à l’encontre des forces de l’ordre et du capitalisme”.
Il faut bien admettre qu’on n’en apprend pas beaucoup plus sur la composition de ce “noyau”, ses liens avec ceux qui s’y “joignent”, les “organisations libertaires” en question et l’unité du tout. Pourtant, les services de renseignement observent une “radicalisation” due à plusieurs facteurs, notamment “une nouvelle génération née du conflit anti-CPE en 2006” et “l’hostilité au candidat de l’UMP” (Nicolas Sarkozy en 2007).
La quasi-totalité des prévenus est fichée depuis plusieurs années par les renseignements généraux comme “appartenant à la mouvance anarcho-autonome” ou “proche” d’elle, à l’exception d’Ines M., complètement inconnue. En vertu de leur propension à “se livrer à des actions violentes” selon les Renseignements généraux, certains sont même inscrits au Fichier des personnes recherchées (FPR). Les policiers qui les ont arrêtés trouvent dans cette appartenance “anarcho-autonome” la motivation politique de leurs actes, les prévenus voient dans le fichage politique la cause de leurs soucis. “Vous avez une façon de voir les choses à l’envers”, rectifie la présidente lorsque Xavier M. dit avoir été “ciblé” en raison de ses opinions politiques.
Arrêté en juin 2008 alors que sa sœur, Ines M., est déjà mise en examen et placée en détention, soupçonnée d’avoir participé à la pose d’un engin incendiaire sous une dépanneuse de police en mai 2007, Xavier M. a refusé de donner son ADN. Comme la loi le leur permet, les policiers le recueillent malgré lui en garde à vue sur son gobelet et ses sous-vêtements.
Il correspond à l’une des cinq traces ADN relevées sous la dépanneuse. Un peu plus tard, alors qu’il est en prison, son ADN est également mis en parallèle avec une trace retrouvée deux ans plus tôt, pendant le conflit anti-CPE, sur un autre engin incendiaire déposé dans une armoire électrique de la SNCF. Xavier “ne fait pas particulièrement confiance à la justice et aux expertises scientifiques”. Il se lance dans un long débat sur la fiabilité de la preuve génétique, en partie confus, et conclut :
“L’ADN qu’on ne remet surtout pas en cause arrange bien les choses. Ce que je peux dire c’est que ce n’est pas moi, et que j’ai appris que de nombreuses erreurs sont possibles, à différents moments de la procédure. Et vous n’avez que l’ADN.”
Agacée, la présidente évoque alors “les engins qui se ressemblent”, “les ouvrages retrouvés dans le sac à dos de votre sœur qui décrivent des systèmes de mise à feu utilisés sur ces engins”, “le transport de produits”, les liens entre les autres prévenus accusés des mêmes faits. Le procureur enfonce le clou :
“Pendant votre garde à vue, vous aviez dit : “si mon ADN correspond à l’un de ceux que vous recherchez, je m’expliquerai.” Je note que vous ne vous êtes jamais expliqué, il y a toujours eu une raison, soit la garde à vue ne vous convenait pas, soit vous êtes opposé au prélèvement ADN.”
“Ça n’a pas grand chose à voir avec le terrorisme”
Après une bonne demi-heure passée à lire le PV résumé plus haut sur “la mouvance anarcho-autonome francilienne”, la présidente passe au compte-rendu, publié entre autres sur Indymedia Paris, des actions de solidarité menées en faveur des prévenus dans toute la France et à l’étranger. “Je vais vous demander tout simplement si vous voulez vous exprimer là-dessus. […] Il est souvent fait référence à vous et à votre cause.”
Franck F : “Je pense que ça n’a pas grand-chose à voir avec le terrorisme.”
Ines M. : “Je n’ai pas grand chose à dire là-dessus. Je n’ai pas l’impression d’en être responsable.”
Damien B. : “Chacun exprime sa solidarité de la manière dont il le souhaite.”
Ivan H., lui aussi, “comprend bien que tout un tas de gens solidarisent”. Il préfère revenir sur la liste des actes imputés à “la mouvance” :
“Il n’y a pas de raison que tous ces faits soient mis en relation. Je ne comprends pas où commence et où s’arrêtent les actes de la “mouvance anarcho-autonome francilienne”.
Faute de définition, le malentendu reste entier. L’audience reprendra lundi prochain.
Presse terroriste (Camille Polloni, LesInrocks.com, 17 mai 2012)