Du 14 au 22 mai, à Paris, s’ouvre le premier procès sous juridiction antiterroriste de 6 camarades désignés comme appartenant à la « mouvance anarcho-autonome ».
La Justice leur reproche des faits s’inscrivant dans diverses luttes de ces dernières années : la révolte des migrants enfermés dans le Centre de Rétention Administrative de Vincennes, qui aboutit à sa destruction par le feu ; l’opposition à la construction des Établissements Pour Mineurs ; les manifestations de rage et de dégoût suite à l’élection de Sarkozy, ministre de l’intérieur devenu président ; et le mouvement de refus massif du CPE, contrat de travail destiné aux jeunes, qui permettait de les virer à tout moment en guise de bienvenue sur le marché.
La Justice fait son travail. Isoler, constituer des groupes pour les rendre responsables de pratiques largement partagées (grèves et manifestations sauvages, sabotages…), et ainsi redéfinir la frontière entre dialogue social acceptable et pratiques de luttes à réprimer ; enfermer quelques-uns pour faire peur à tous. Mais aussi, ici par l’invocation de l’imaginaire sanglant du « terrorisme », dépolitiser toute critique radicale, en la mettant sur le terrain moral du Bien et du Mal. Car puisque des mauvaises intentions suffisent à définir « l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », le « terroriste » n’est au fond qu’un mauvais citoyen qui veut cracher dans la soupe, et mérite ainsi le régime carcéral.
Des drames comme la tuerie de Toulouse – contre lesquels l’augmentation des pouvoirs de police ne peut pas grand chose – sont pain béni pour justifier les procédures antiterroristes, et plus généralement pour renforcer tous les dispositifs de gouvernement par la peur. En créant des épouvantails (islamistes, anarcho-autonomes…), de telles procédures permettent aussi de fabriquer, en creux, une nouvelle définition de la bonne citoyenneté, où chacun est enjoint non seulement de respecter la loi, mais aussi de faire preuve de bonne volonté, de se mobiliser activement pour la perpétuation de l’ordre social, c’est-à-dire pour l’économie, le capitalisme triomphant.
Toute institution ayant en charge de gérer des populations crée de bonnes catégories à faire vivre et de mauvaises à corriger. En tant que collectif de chômeurs et précaires, nous connaissons bien les deux faces de cette politique où s’entrelacent en permanence bonne vieille discipline et technologie high-tech du contrôle. Ce qui nous menace aujourd’hui n’est pas seulement ce qui est interdit et réprimé, mais ce que la société valorise et exige de nous ; à côté de la pénalisation des formes de refus et de résistance se renforce sans cesse une exigence de participation, de mobilisation pour l’ordre social (l’économie).
Que voyons-nous chaque jour dans ces officines de l’entreprise du « social » que sont les Pôle Emploi et les CAF ? Que le chômeur, et plus généralement tout usager d’une institution sociale, est d’emblée soupçonné de fraude, de refus d’insertion, bref de mauvaise volonté. Et que cette présomption de culpabilité transforme des droits collectifs en faveurs à mériter au cas par cas, chaque allocataire ayant à prouver sa mobilisation dans la course à l’emploi, à donner des gages d’insertion, de bonne volonté envers « l’intérêt général », sous peine de perdre ses allocations.
Et si depuis des années, on assiste (on désigna un temps par « sarkozisme » ce phénomène) à une banalisation des arrestations, des garde-à-vue, des perquisitions, des interrogatoires, comment ne pas la rapprocher de la multiplication, dans le même temps, des contrôles domiciliaires, des rdv obligatoires d’évaluation et autres contrôles humiliants que subissent tous ceux qui touchent une allocation sociale ? Petite terreur de l’agent de la CAF s’immisçant chez nous pour chercher à nous piéger, à nous couper nos moyens de subsistances, et grande terreur du juge antiterroriste qui peut te mettre en prison des années pour des textes contestataires et des fumigènes bricolés, s’opposent moins qu’elles ne se complètent. Dans une société qui ne promet plus grand chose – on parle de « crise » – , reste le gouvernement par la peur, par l’individualisation, par l’intériorisation de force de ce qui doit être la bonne conduite, le bon comportement. Qu’importe que l’inégalité règne, que la subordination de classe reste le fondement de l’économie, puisqu’il est à la portée de chacun de s’impliquer, d’être motivé, de rester employable ou de travailler à le devenir, c’est-à-dire avoir un projet de vie inscrit dans l’horizon du travail salarié. Qu’importe si rien n’est vrai, puisque c’est (la bonne) intention qui compte.
Il nous faut construire les moyens collectifs de s’attaquer à ces dispositifs qui cherchent, au tréfonds de nous, dans un binarisme absurde, soit à nous faire plaider coupable, en faute et en dette face à cette société, prêts à subir le châtiment, soit à nous épuiser à donner des preuves de notre innocence et de notre bonne volonté.
Et si nous sommes solidaires des 6 camarades dont le procès commence en même temps que la nouvelle présidence, c’est au nom d’un refus commun de ces figures qu’on voudrait nous voir incarner : le bon citoyen et le bon pauvre, le bon français entreprenant et délateur, xénophobe et travailliste.
Nous, chômeurs et précaires, continuerons à refuser de nous faire insérer de force, et à porter de bien mauvaises intentions envers cette société qui ne promet rien que nous désirions. CRACHONS DANS LA SOUPE, ELLE EST DÉGEULASSE !
LIBERTÉ POUR TOUS LES MAUVAIS PAUVRES ET MAUVAIS CITOYENS EMPRISONNÉS !
CAFards de Montreuil, collectif de chômeurs et précaires
en route vers un paradis pavé de mauvaises intentions