Policiers sous surveillance
Avec l’essor des smartphones, les interventions policières sont très souvent filmées, photographiées et publiées sur le web. Parfois même en direct. Le “copwatch” prévient-il les bavures ? La police est-elle armée pour y répondre ?
On en compte des dizaines, rien que pour Lausanne et Genève. Des vidéos amateur d’interventions policières publiées sur le web. Elles montrent souvent des interventions musclées. « J’imagine que les gens postent ces vidéos dans le but de critiquer le travail de la police, explique l’appointée Pousaz de Police-Secours à Lausanne. Il faut croire que ces gens n’ont pas grand chose d’autre à faire, mais pour nous cela devient inquiétant, on se sent épié. »
Dans le monde anglo-saxon, la pratique qui consiste à filmer et surveiller la police est généralisée. On appelle cela le « copwatch ». Un mouvement militant né des suites du passage à tabac de l’américain Rodney King par des policiers dont l’acquittement provoqua les émeutes de Los Angeles en 1992. Le « copwatch » a désormais gagné aussi la France sous une forme extrême. Un site, interdit par le ministère de l’intérieur, mais toujours accessible en ligne procède à un fichage systématique des policiers en civil pour les villes de Lille et de Paris. Les agents y apparaissent à découvert et l’on y décrit leurs présumées violences et leur réputation.
Pour l’heure, de tels mouvements n’existent pas en Suisse. Il n’y a pas de groupe organisé qui filme ou photographie les policiers. Si les vidéos se multiplient, c’est donc surtout en raison de l’essor des technologies. « Je trouve excellent que la police soit filmée, s’enthousiasme Pierre Bayenet, avocat et cofondateur de l’Observatoire des pratiques policières à Genève. Plus qu’excellent, c’est même nécessaire, car la police comme toutes les autres professions n’est pas à l’abri de policiers qui font mal leur travail, qui commettent des abus. Ils travaillent sur le domaine public, ils sont armés et agissent pour le bénéfice de la population. La population se doit donc de les surveiller, même si l’on peut discuter des bienfaits de la diffusion de ces images sur Internet. »
Le copwatch n’aurait toutefois pas que des effets bénéfiques. Car ces images induisent une logique de suspicion et rigidifient les comportements des agents. « Face aux personnes qui le filment, le policier va estimer que le comportement adéquat est un comportement formel et rigide explique Michael Meyer, sociologue à l’Université de Lausanne. En d’autres termes, il va jouer le policier, ce qui rend impossible toutes les formes habituelles de relations spontanées et d’assouplissement du rapport avec les usagers comme fumer une cigarette ou prendre le temps pour discuter d’autre chose que de l’affaire en cours. Cette marge de manœuvre informelle, pourtant essentielle au travail policier, passe à la trappe à partir du moment où un agent sait qu’il est filmé et que, potentiellement, ses chefs pourront voir les images. »
Presse policière (nouvo.ch, 27 avril 2012)