Cette histoire est publiée en 1952 dans les annales médico-psychologiques : c’est le récit du traitement d’un malheureux jeune homme qui avait le tort de se prendre pour une femme. Un assassinat pur et simple, à coups d’électrochocs et de lobotomies. Je rêve qu’un musicien s’empare de ce texte où les bourreaux expliquent que « c’était pour son bien ».
L…, âgé de 22 ans, entre à la maison de santé de Ville-Évrard (93332 Neuilly-sur-Marne) le 26 septembre 1946, après un an de traitement psychanalytique. (…)
À son entrée à l’hôpital, c’est un jeune homme qui porte une chevelure longue à type féminin. (…) Trois ans plus tard, après une rafale d’éléctrochocs, on opte pour une méthode radicale : « Une lobotomie est pratiquée le 10 mars 1949 ; dès que les trous de trépan sont forés, on constate une méningite séreuse légère avec, des deux côtés, une hypervascularisation corticale bilatérale. (…) En juillet 1949, on observe une amélioration transitoire de l’état mental qui n’a qu’une courte durée. Une cure de quarante comas est bien supportée par le malade. (…) En août 1950, sept séances d’électrochocs prolongés sont sans aucun effet.
En janvier 1951, devant l’échec de ces divers traitements, on entreprend un traitement par électronarcose à raison de deux séances par semaine. (…) Le 14 février, au cours de la dixième séance, à la troisième minute, syncope bleue (cyanose de la face); apnée irréductible et arrêt du cœur ; tentative de réanimation pendant trois heures. Le malade meurt 23 mois après la lobotomie » [Annales médico-psychologiques, février 1952, pp. 175-179. « Examen anatomo-pathologique de l’encéphale d’un dément précoce mort au cours d’une électronarcose 23 mois après une lobotomie », par L. Marchand, J . Rondepierre, P. Hivert, P. Leroy (psychiatrie.histoire.free.traitement/trans.htm)].
Il n’existe à ma connaissance aucune recherche sur le nombre de personnes trans ou homos qui ont subi ce genre de « traitements de choc » dans nos hôpitaux. Quand on lit un tel texte où le pur sadisme s’auréole de science et d’humanisme, on se dit qu’aujourd’hui les trans viennent de loin.
En France comme ailleurs les médias ont une lourde responsabilité devant la stagnation du traitement des trans : ils ont presque toujours préféré le voyeurisme à l’information, l’éternelle histoire de « Gaston devient Marguerite » ou « Marguerite devient Gaston », agrémentée depuis la mode queer de platitudes sur « la déconstruction du genre ».
En 1981, les homosexuels ont obtenu la dépénalisation de l’homosexualité. Mais qui sait que parallèlement, l’État crée pour les trans un dispositif hospitalier très oppressif ? Des psys réactionnaires se livrent à un tri qu’on pourrait résumer à « vous aimez le bleu vous êtes un homme, vous aimez le rose vous êtes une fille ». Le système se veut dissuasif en imposant des années d’attente. Il nie les transgenres (qui ne veulent pas se faire opérer), les renvoyant à l’hormonothérapie sauvage. Les opérations pratiquées par des chirurgiens formés hâtivement relèvent souvent de la boucherie. En réaction, les trans créent des filières, formelles ou informelles, pour se faire opérer à l’étranger.
Après la folklorique AMAHO, des structures éphémères surgissent, qui obtiennent quelques avancées. Aux associations, comme Tau Sygma, les autorités de santé et de justice socialistes promettent la création d’un comité d’éthique. Et rien d’autre. En 1993, la France est condamnée par la Cour européenne à verser une amende à une transsexuelle qui attend depuis dix-neuf ans que son changement de sexe soit reconnu par la loi. Il faudra désormais passer par un jugement coûteux et une visite médicale le plus souvent vécue comme un viol (palpations, attouchements) pour obtenir un changement d’identité. Entretemps le sida est arrivé. Les trans — et particulièrement les femmes transgenres — sont frappés de plein fouet. Et ce sont les associations (certaines virant à la dictature) qui prennent le problème en main. Un groupe activiste virulent, le GAT (groupe activiste trans) multiplie sous Jospin les actions spectaculaires, et des négociations… qui vont aboutir au rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS) à l’origine de la dépsychiatrisation sous Sarkozy-Bachelot.
Ce rapport entérine l’idée que le monopole des équipes hospitalières ainsi que leurs méthodes sont obsolètes et coercitifs. À sa lumière Mme Roseline Bachelot propose la dépsychiatrisation de la question trans. Bel effet d’annonce (elle aura une pleine page dans le Times à ce sujet), qui ne sera suivi d’aucune mesure réelle. Son homme de confiance serine aux activistes : « ce soir je dîne avec des copains si je leur dit que j’ai passé ma journée avec des mecs qui veulent se faire couper les couilles ils ne me croiront pas. » Rendez-vous manqué.
La France devient la lanterne rouge de l’Europe, au mépris de la circulaire sur l’identité de genre de Thomas Hammarsberg, commissaire aux droits du Conseil de l’Europe.
La Nouvelle-Zélande est le premier pays à octroyer des papiers aux non-opérés, en 2005. Beaucoup de pays suivront. En Autriche, il est anticonstitutionnel de demander à une personne de se faire stériliser pour avoir ses papiers. En Espagne, depuis cinq ans, à la suite d’une grève de la faim d’une trans socialiste, le changement de papiers d’identité est accessible à la demande. Le Portugal, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suède se sont alignés. Une loi a été déposée le 22 décembre 2011 à l’Assemblée nationale par Michèle Delaunay, députée PS, mais elle n’a pas été débattue. Pour les trans il faut bien dire « à suivre ».
Hélène Hazera, L’Impossible, n° 2, avril 2012
AMAHO : Aide aux malades hormonaux, association fondée dans les années 1960.
AMEFAT: Association médicale française pour l’aide aux transsexuels.
ANAES: Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé.
HAS : Haute autorité de Santé.
SOFECT : société française d’étude et de prise en charge du transsexualisme.
CHRYSALIDE : association militante de support et de diffusion d’information sur les transidentités.