[« Antiterrorisme »] « Comment est-ce que ça se fait que des personnes dangereuses, sous surveillance de la DCRI, n’aient pas été inquiétées, et qu’elles aient pu commettre des tueries, comme ce qui s’est passé à Toulouse ? »

Adlène Hicheur condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis

L’ancien ingénieur du CERN Adlène Hicheur, jugé pour avoir évoqué des projets d’attentats par mail avec un membre supposé d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) courant 2009, a été condamné vendredi à cinq ans d’emprisonnement, dont un avec sursis. Son avocat a dénoncé une « peine scandaleuse » qui condamne son client pour de « simples mots ».

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Son maintien en détention a été ordonné, mais il devrait être remis en liberté « assez prochainement », selon Me Patrick Baudouin, en comptant d’éventuelles remises de peine et les deux ans et demi qu’il a déjà passés en détention provisoire.

Lors de son procès les 29 et 30 mars devant le tribunal correctionnel de Paris, six ans de prison avaient été requis à l’encontre du physicien. Il est reproché à Adlène Hicheur, 35 ans, d’avoir échangé plus d’une trentaine de mails au premier semestre 2009 avec un membre supposé d’AQMI, Mustapha Debchi. Adlène Hicheur avait ainsi cité, dans un message, le 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy, à Cran-Gevrier, comme cible possible.

Le prévenu, docteur en physique des particules détaché auprès du Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN), était immobilisé chez lui à cause d’une hernie discale au moment des faits. Pendant le procès, il a expliqué qu’il était sous morphine et traversait « une zone de turbulences ». « Je comprends que certains des passages aient pu inquiéter » et « dans une période normale, je ne pense pas que j’aurais donné suite », avait-il expliqué.

Dans son jugement, le tribunal estime que le prévenu, « en servant de relais et de soutien logistiques et médiatiques à diverses structures terroristes de la nébuleuse islamiste radicale, en participant à des discussions via des flux internet avec un membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (…), en lui donnant son accord quant à la création d’une cellule opérationnelle en Europe et enfin, en mettant en œuvre des projets pour soutenir financièrement AQMI, a commis » courant 2008 et 2009 « le délit de participation à une association de malfaiteurs ayant pour but de préparer des actes de terrorisme ».

« C’est au vu de simples mots échangés qu’Adlène Hicheur se trouve condamné à cette peine scandaleuse de quatre années d’emprisonnement » ferme, a souligné Me Baudouin, dénonçant un procès « joué d’avance ». Ce jugement « traduit un certain malaise de la part du tribunal puisque le procureur avait requis six ans d’emprisonnement ferme et que le tribunal a en quelque sorte un peu allégé la demande », a souligné l’avocat.

Son conseil ne savait pas encore si le Franco-Algérien allait faire appel de cette décision. « Mon client sera certainement partagé entre la volonté d’obtenir justice, et puis aussi le manque d’illusion qu’il peut désormais avoir sur cette justice. »

Son frère, Halim Hicheur, a insisté sur le fait que le prévenu n’était « jamais allé dans des pays exotiques. Il n’a jamais cherché à se former, il n’a jamais cherché à acheter des armes. Il n’a aucun contact douteux. Il a tchatté sur Internet, et il est condamné aujourd’hui », a-t-il déclaré devant la presse.

« Comment est-ce que ça se fait que des personnes dangereuses, sous surveillance de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, NDLR), n’aient pas été inquiétées, et qu’elles aient pu commettre des tueries, comme ce qui s’est passé à Toulouse ? », a-t-il lancé en référence à l’affaire Mohamed Merah. « C’est un scandale, c’est un Guantanamo français. »

Le tribunal correctionnel a toutefois pris en compte la personnalité du prévenu et l’absence d’antécédent judiciaire. « On sent, à travers les messages de cet homme intelligent et fier, la douleur d’appartenir à un peuple qui a effectivement été colonisé pendant deux siècles par des représentants de son pays d’accueil et d’adoption, ainsi que la difficulté à surmonter cette antinomie. »

Il ajoute qu’il ne peut « de même ignorer qu’Adlène Hicheur est né à Sétif, ville de triste mémoire, ce qui n’a pu que renforcer son sentiment d’injustice, d’humiliation devant le sort réservé à ses pères ».

Leur presse (AP, 4 mai 2012)


Adlène Hicheur, terroriste islamiste ou prisonnier politique ?

Chercheur franco-algérien, Adlène Hicheur vient de fêter ses 35 ans à la prison de Fresnes, où il est détenu depuis octobre 2009. Après une instruction dénoncée pour sa partialité, le chercheur a été condamné le 4 mai 2012 à cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Au cœur du débat, la législation antiterroriste.

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La prison de Fresnes, où est incarcéré Adlène Hicheur

Une scolarité sans faute en France

« Mon client a passé 27 mois derrière les barreaux », s’emporte son avocat, Me Patrick Baudouin. « On l’accuse de faits graves sans rien trouver qui justifie son maintien en détention ! » Comment Adlène Hicheur, jeune physicien et brillant chercheur au Cern (Centre européen pour la recherche nucléaire) à Genève a-t-il été emporté dans cette bourrasque judiciaire qui lui vaut de passer en correctionnelle ? Une question à laquelle son entourage dit ne trouver aucune réponse.

À 1 an à peine, il débarque d’Algérie avec ses parents et ses cinq frères et sœurs. Un parcours scolaire sans faute, puis Adlène obtient sa thèse au laboratoire de physique des particules d’Annecy-le-Vieux.

Après trois ans en Angleterre, il enseigne à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, tout en poursuivant ses recherches au Cern. Décrit comme solitaire et religieux, c’est d’abord, selon son frère Halim, « un intellectuel non sectaire qui se cultive énormément ».

Le 9 octobre 2009, Adlène est en partance pour Sétif, sa ville natale, pour y acheter un terrain, quand il est cueilli au domicile de ses parents à Vienne, dans l’Isère, par la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur).

Depuis un an, les enquêteurs l’ont repéré sur des forums islamistes derrière le pseudo d’Abou Doujana. D’après les auteurs de L’Espion du Président (Robert Laffont, 2012), un livre sur le patron de la DCRI, Bernard Squarcini, le fait que le père de Hicheur soit fiché dans la base Cristina a aussi joué dans les soupçons pesant sur le physicien.

Autre élément contre lui : Hamadi Aziri, entendu un an plus tôt dans une affaire de filières djihadistes franco-belges – il écopera de trois ans de prison – le charge. Selon le réquisitoire du parquet, Aziri met en cause la propagande pro-djihadiste postée par Adlène sur le site Ribaat.net et assure qu’il aurait « recruté » un certain Phenixshadow.

« Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot »

Accusations difficiles à vérifier, que l’intéressé nie en bloc. Phenixshadow est épié par la DCRI depuis qu’un communiqué d’Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique) a été posté sur le site de la présidence française en janvier 2008.

Sous ce pseudo se cacherait Mustapha Debchi, activiste islamiste qui sera arrêté par l’Algérie en février 2011 et qui, en 2009, multiplie les échanges avec Adlène Hicheur, contraint au repos forcé par une hernie discale.

Selon les messages reproduits dans l’acte d’accusation, Phenixshadow déclare entre autres à Hicheur « vouloir exécuter des opérations en France […] ; je te proposerais qu’on soit tous les deux en tête de la liste ».

Il le presse quelques mois plus tard : « Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : (es-tu) disposé à travailler dans une unité active en France ? » Adlène, lui, botte en touche, déclinant sa « vision concernant (sa) participation dans le djihad […] : faire ce qui peut durer même s’il s’agit de petits actes. »

Il mentionne pourtant « une opération de martyr », puis « des assassinats ciblés ». Et suggère un objectif précis : le 27e bataillon de chasseurs alpins d’Annecy, à Cran-Gevrier, qui « entraîne des forces et les envoie en Afghanistan ».

« Nous avons peut-être évité le pire »

Il n’ira pas plus loin que ces mots. Corsés, certes, mais seulement « basés sur du virtuel », s’insurge maître Baudouin. Halim Hicheur insiste sur le lieu et le moment de l’arrestation de son frère, alors que Brice Hortefeux, en visite à Lyon, « tentait de se racheter une virginité médiatique après ses propos sur les Auvergnats ».

De fait, campé à l’endroit même où a commencé, quelques heures plus tôt, la garde à vue, le ministre de l’Intérieur déclare :

« Notre vigilance ne se relâche jamais. Le risque est permanent. Nous avons peut-être évité le pire. »

Au mépris de la présomption d’innocence, les informations sont distillées dans la presse. « La cible était choisie, il fallait intervenir », justifie au Monde Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale. En juin 2010, en pleine instruction, son subordonné de la DCRI, Bernard Squarcini, bavarde avec le Figaro de « l’affaire Adlène Hicheur, […] enrôlé par Aqmi, qui proposait comme cible le site du 27e bataillon des chasseurs alpins en Haute-Savoie ».

Aucun délit n’a pourtant été commis, insiste Me Baudouin :

« Il n’y a jamais eu le moindre début de projet précis. Adlène a systématiquement refusé d’acheter du matériel informatique ou de transmettre ses coordonnées personnelles à son interlocuteur. »

Des enquêteurs aux méthodes musclées

En outre, peut-on encore parler « d’association de malfaiteurs » quand il n’y a plus qu’un seul accusé ? Trop d’irrégularités entachent le témoignage de Mustapha Debchi, recueilli par l’Algérie, et dont l’accusation aurait dû faire sa pierre angulaire.

L’avocat s’agace :

« Rien ne prouve l’identité de la personne interrogée. Les questions sont absentes du document et l’audition est datée du 9 février alors que Debchi aurait été mis en examen quatre jours plus tard ! L’instruction a été menée systématiquement à charge. »

Il dénonce encore les aveux obtenus au terme de quatre jours de garde à vue et dix-neuf auditions menées par des enquêteurs aux méthodes musclées. Hicheur relate ainsi son transfert de Lyon à Paris sur l’autoroute toutes vitres ouvertes à l’arrière, malgré ses protestations.

Les magistrats, eux, rejettent les déclarations de l’accusé qui contredisent celles de la garde à vue. Ils s’accrochent au soupçon de financement des réseaux terroristes collé au prévenu depuis la découverte, lors de l’interpellation, de 13’200 euros en liquide dans sa valise.

Une somme destinée à l’achat du terrain et au règlement des travaux, plaide son frère, qui s’étonne de la mystérieuse disparition des devis, des plans et documents saisis qui pouvaient le disculper. La commission rogatoire menée en Algérie a tout de même confirmé la réalité des projets.

Errements de la législation antiterroriste française

L’affaire Hicheur, en tout cas, rouvre le débat sur les errements de la législation antiterroriste française, « porte ouverte à l’arbitraire », selon la FIDH, et dénoncée par Human Rights Watch.

« Ce procédé qui permet de surveiller la menace très en amont a enregistré des succès indéniables », avance Alain Chouet, ancien chef de la DGSE.

« Mais il contient aussi des menaces pour les libertés publiques. Bien réelle, la menace terroriste islamiste a parfois été instrumentalisée, détournant de ses objectifs la lutte nécessaire contre cette forme de violence. »

Selon le rapport d’Europol, la France est aujourd’hui le pays de l’UE interpelant le plus grand nombre d’islamistes radicaux, quand l’essentiel des attentats commis ou déjoués en France sont le fait de mouvances séparatistes régionales.

L’affaire Hicheur rappelle celle de Djamel Beghal, enfermé depuis dix ans, dont neuf à l’isolement, pour des faits qu’il conteste, dans une affaire instruite par le juge Bruguière – mis en cause par ailleurs pour ses méthodes douteuses. Et sur la base d’erreurs de traduction et d’aveux qui auraient été obtenus sous la torture.

La législation antiterroriste s’est aussi illustrée dans le coup de Tarnac, qui a vu Julien Coupat et Yldune Levy mis en cause en 2008 sous le même chef d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste pour des faits qu’ils nient.

Eux aussi accusent la police antiterroriste d’avoir rédigé un procès-verbal mensonger pour les mettre en cause et d’avoir suborné des témoins.

Hicheur, lui, s’étiole en prison. Sa dernière demande de mise en liberté, refusée comme toutes les autres, date du 12 janvier. S’il sort un jour, même lavé des soupçons « chacun fuira ses responsabilités », craint Jean-Pierre Lees, président de son comité de soutien (qui comprend notamment le prix Nobel de physique Jack Steinberger). Un simple dommage collatéral.

Leur presse (Malika Maclouf, Rue89.com, 21 janvier 2012 ; mis à jour le 4 mai 2012)

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