Un mystérieux compte Twitter met le feu à l’Arabie Saoudite ; @Mujtahidd. Nous nous sommes entretenus avec son auteur mystère. Pourfendeur de la compromission et des délires de la famille royale saoudienne. Sur place la gérontocratie des Al Saud, alliée aux fondamentalistes religieux, préserve encore sa pétromonarchie d’un éventuel printemps arabe. Que certains appellent.
Avec plus de 200.000 abonnés, un grand nombre de Saoudiens ont déjà entendu parler de @Mujtahidd. Depuis plus de trois mois, ce twittos saoudien dénonce le train de vie du pouvoir en place, les trafics et les collusions diverses de la famille régnante des Al Saud, et leurs combines avec les grandes capitales occidentales. Lesquelles en contre-partie se montrent très arrangeantes avec son fondamentalisme religieux à visée internationale. Traqué sur la toile par le régime, @Mujtahidd multiplie les révélations avec une démarche influencée par la culture Wikileaks. Entretien.
Comment vous présenteriez-vous ? Qu’est-ce que @Mujtahidd ?
Mujtahidd est un symbole dans une lutte soutenue contre la corruption sale. Un combat qui commence avec la dénonciation de ceux qui sont corrompus et s’achève avec leur suppression. Mujtahidd n’a pas besoin de réveler son identité dans le but d’atteindre cet objectif. En effet, pour de mutliples raisons, rester anonyme peut constituer un avantage.
Votre pseudonyme sur Twitter, @Mujtahidd renvoie-t-il à Mujtahid, celui qui prononce une interprétation personnelle sur un point de droit dans l’islam ?
Oui et non. Oui, l’orthographe est la même et non car il y a une signification générale. Mujtahid, en général, c’est quelqu’un d’engagé qui fait de son mieux avec responsabilité et sincérité. Premièrement, je fais de mon mieux pour vérifier l’exactitude des informations. Deuxièmement, je décide si cela peut être publié. Troisièmement, je décide comment le publier.
Quel est votre point de vue sur les dirigeants de l’Arabie Saoudite, et la manière dont ils gouvernent ?
Les dirigeants du pays ne s’intéressent pas à son bien-être. Ils sont intéressés par leur propre autorité et leurs privilèges. C’est pourquoi toutes les ressources du pays sont à leurs services. C’est aussi pourquoi le pays souffre de la pauvreté, du chômage, de la criminalité et d’une fracture sociale en dépit de ses énormes ressources.
Avez-vous des exemples précis pour illustrer cette description ? Quels privilèges dénoncez-vous ?
J’ai écrit des milliers de tweets à ce sujet. En les lisant, vous verrez les rois européens à l’époque du Moyen Âge. Les Al-Saoud traitent le pays comme leur propriété. Le pays, ses ressources, son identité, sa culture, son histoire, tout leur appartient.
La presse saoudienne fait-elle son travail ? Ou sont-ils aussi touchés par la corruption ?
Ils sont controlés par le régime. Toute la presse saoudienne attaque Mujtahid. Le régime a décidé d’élargir l’espace de liberté dans le but de diminuer le role d’Internet et de la télévision par satellite.
Sur Twitter, vous avez plus de 280.000 followers. De quelle façon Twitter constitue-t-il une plate-forme pour dénoncer la corruption et le mode de vie des dirigeants saoudiens ?
Twitter est un moyen beaucoup plus facile et plus rapide pour diffuser un message que les autres réseaux sociaux. C’est plus simple pour vos followers de prendre conscience de votre message et c’est également plus facile d’y interagir. Peut-être que ces caractéristiques font de Twitter un outil efficace pour permettre à une personne sans ressources de réaliser ce que l’on ne pourrait pas faire sans avoir un système de propagande.
Vous êtes souvent comparé à un Wikileaks version saoudienne. Pourquoi faire ces révélations ? Pourquoi prendre ces risques ? Pourquoi vous ?
Parce que je dispose des informations nécessaires et je suis capable de les utiliser de manière efficace pour obtenir le résultat que j’ai mentionné précédemment.
Vous vous en prenez régulièrement au Prince Abdel-Aziz Ben Fahd, pourquoi ?
J’ai commencé avec lui. En matière de corruption financière, il est définitivement le pire. Il a grandi quand son père jouissait d’une autorité absolue avant les premières oppositions relayées par l’Internet et la télévision par satellite. Il avait carte blanche pour faire tout ce qu’il voulait sans la moindre surveillance.
Le connaissez-vous personnellement pour en savoir autant sur lui ?
Je sais tout ce que je publie sur lui.
Souhaitez-vous que l’Arabie Saoudite s’engage sur un chemin démocratique comme l’ont fait la Tunisie puis l’Égypte ?
Cette décision revient au peuple. C’est lui qui décide. Mais si le régime se plie aux demandes de réformes, c’est le meilleur scénario.
Pensez-vous que le régime actuel puisse l’accepter ?
Le régime actuel est à l’abri des réformes. C’est irréformable. Je connais très bien la structure de la famille royale. Les membres les plus importants ne veulent pas de réforme et les membres potentiellement bons n’ont aucune autorité.
Comment pensez-vous être perçu par les Saoudiens ?
L’un de mes fans a mené une enquête. La grande majorité croit ce que je dis et pense que j’agis pour de bonnes raisons. La majorité pense également que Mujtahid est une équipe emmenée par une personne très instruite. 12% des 10.000 personnes qui ont répondu à l’enquête ne croit pas que ce que je dis est vrai.
Le pouvoir saoudien cherche-t-il a vous faire taire ?
On m’a proposé des pots-de-vin pour que j’arrête. S’ils pouvaient me localiser physiquement, ils m’arrêteraient. Mon compte Twitter et mon email font constamment l’objet de tentatives de hacking. Mais ce qu’ils font tout le temps, c’est d’utiliser leurs agents pour me mentionner de façon négative sur Twitter. Cela ne fonctionne pas bien et l’enquête en est la preuve.
Est-ce que des Saoudiens vous contactent sur Twitter pour vous poser des questions sur le train de vie des dirigeants ou vous fournir des informations ?
Je reçois des mails en tout genre : Informations, commentaires, questions et insultes.
En 2011, le Prince Al-Walid Ben Talal a investi 300 millions de dollars dans Twitter. Demain, s’ils vous empêchent de twetter, que ferez-vous ?
Non. Pour ce que j’en sais, cet investissement ne changera rien à la politique de Twitter. Si cela change, un autre réseau le remplacera.
Leur presse (OWNI, 2 avril 2012)