Mémoire : la fabrique de faux souvenirs
Les souvenirs semblent parfois nous filer entre les mains, nous échapper ou au contraire nous hanter… Pour mieux comprendre comment la mémoire est stockée, deux équipes de chercheurs ont artificiellement généré des souvenirs chez des souris.
L’équipe du prix Nobel Susumu Tonegawa, du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis), a eu recours à une technique assez récente, l’optogénétique, pour « visualiser » l’enregistrement des souvenirs chez la souris et les manipuler. Des neurones sont génétiquement modifiés chez des souris pour produire des protéines réactives à la lumière. Cette population bien précise de neurones peut alors être activée très simplement avec de la lumière.
Tonegawa et ses collègues ont placé des souris dans des nouvelles cages où elles recevaient des chocs électriques modérés au bout de quelques minutes. Ils ont identifié les neurones activés pendant ce choc et les ont rendus réactifs à la lumière. Ensuite, les souris étaient placées dans un environnement différent, ne leur rappelant pas la cage où elles avaient reçu le choc. Cependant, lorsque les neurones ayant gravé le souvenir du choc ont été activés avec la lumière, les souris se sont figées. C’est la réaction qu’elles ont normalement lorsqu’elles retrouvent une cage dans laquelle elles ont reçu un choc électrique. Avec cette expérience les chercheurs montrent que le fait de stimuler certaines cellules de l’hippocampe suffit à faire revivre le souvenir. C’estla preuve que nos souvenirs ont un support physique, explique Tonegawa (Nature, 22 mars 2012).
L’équipe de Mark Mayford (Scripps Research Institute, SD, États-Unis) a utilisé une méthode différente pour mieux comprendre ce qui pouvait perturber la fabrication d’un souvenir. Ces chercheurs ont génétiquement modifié des souris pour qu’un médicament (la clozapine) puisse raviver artificiellement un souvenir.
Pour cette seconde expérience, les souris étaient d’abord placées dans une nouvelle cage, aux parois opaques et blanches. Le jour suivant, les rongeurs recevaient une injection de clozapine avant d’être mis dans une autre cage, avec une couleur et une odeur différente. Là, ils recevaient des chocs électriques modérés dans les pattes. Normalement, revoir cet environnement le jour suivant devait provoquer chez les souris une réaction immédiate de peur. Or ce ne fut pas le cas chez les souris ayant reçu le médicament. Les chercheurs en concluent que faire revivre le souvenir de la première cage au moment où les souris en découvraient une nouvelle a perturbé ce second apprentissage (Science, 23 mars 2012).
Ces méthodes d’investigations de la mémoire doivent permettre de mieux comprendre comment sont gravés nos souvenirs et ce qui se passe quand ces enregistrements — ou leur utilisation — ne fonctionne plus correctement…
Leur presse (Cécile Dumas, SciencesetAvenir.fr, 26 mars 2012)