Quinze incendies en dix-sept mois, douze accusés, autant de condamnés. Ils avaient la haine des riches. Le 26 avril 1854, le meneur est guillotiné par le « parti de l’ordre » devant la mairie des Martres-de-Veyre (Auvergne).
La haine. Le cinéaste Mathieu Kassovitz l’a débusquée, tapie dans le ventre des banlieues. Mais la rage des déshérités ne date pas d’aujourd’hui. Révoltes d’esclaves, jacqueries du Moyen-Âge, l’histoire abonde de soulèvements d’opprimés. Le XIXe siècle n’est pas en reste. Depuis 1789, les » gueux » sont passés de la révolte à la révolution. Karl Marx et son livre manifeste, Le Capital, théorisent l’oppression économique. La classe ouvrière développe une conscience politique croissante. Mais le coup d’État de Napoléon III, le 2 décembre 1851, met un coup d’arrêt aux élans républicains.
Le rétablissement de l’Empire avive les haines sociales, jusque dans les provinces les plus reculées. C’est dans ce contexte que s’ouvre, le 13 février 1854, le procès des incendiaires des Martres-de-Veyre. Entre le 11 janvier 1852 et le 26 juin 1853, pas moins de quinze feux de maisons, granges ou greniers se sont déclarés dans le bourg. Soit près d’un par mois. Leur origine criminelle ne fait aucun doute. Tous visent des habitants aisés de la commune. Des » blancs « , par opposition aux » rouges « , selon la terminologie de l’époque. Rapidement, l’enquête s’oriente sur un groupe de personnes » peu estimées et travaillant rarement « . Les suspicions des gendarmes s’appuient sur quelques déclarations tonitruantes.
» Nous n’avons pas réussi à couper le cou à ces gueux de blancs, qui sont de véritables canailles, parce que Napoléon l’a empêché ? ; mais nous réussirons bien à les faire brûler comme des cochons « , aurait lancé l’un d’eux. » Il faudrait apporter cinq chars de paille et y jeter le feu pour faire rôtir les riches « , aurait proclamé un autre. Rapportés par des témoins lors du procès, ces propos sont vigoureusement niés par les accusés. De quoi faire douter les jurés, d’autant qu’aucun incendiaire n’a été pris en flagrant délit. Mais l’imprudence du chef de la bande, Claude Fourneyron, va faire basculer le procès. Incarcéré en compagnie d’un repris de justice confirmé, il a confié à son codétenu la façon dont ils mettaient le feu, et par quels signaux ils communiquaient lorsqu’ils opéraient.
Ancien bagnard, Joseph Martin répète le tout. D’abord au surveillant-chef de la prison, puis au juge d’instruction. À la barre des assises, son témoignage apporte à l’avocat général les preuves qui lui manquaient contre la » bande des Martres « . Un imposant défilé de témoins et de victimes va faire le reste. L’un signale qu’après avoir travaillé chez lui, l’un des accusés s’était plaint de la nourriture qui lui était donnée, et aurait lâché » qu’il n’y aurait pas grand mal si tous nos bâtiments étaient brûlés « .
D’autres rappellent qu’à chacun des incendies, un ou plusieurs des accusés étaient présents. » Ils tenaient des propos gouailleurs, refusaient de combattre le feu et essayaient même de dissuader les voisins d’apporter leur concours. » Un témoin soutient que l’un des accusés s’est exclamé : » Ils ont du grain chez eux, de l’argent dans leur coffre, quel grand mal y a-t-il à les chauffer un peu ? «
Plus qu’un procès criminel, c’est un procès politique que conduit l’accusation. Car force lui est de reconnaître que, hors d’importants dégâts matériels, cette succession d’incendies volontaires n’a fait aucune victime. Certes, dans l’un, un bébé de 4 mois, endormi dans son berceau, a été sorti in extremis d’une maison en flammes ; dans l’autre, c’est une vieille femme qui est évacuée en pleine nuit, à moitié asphyxiée et inanimée, par son fils. Mais rien, au final, qui justifie la guillotine.
C’est pourtant elle que l’avocat général va requérir pour quatre des accusés. » C’est surtout dans les temps révolutionnaires que la force brutale déborde « , souligne-t-il, dénonçant avec emphase » la haine de la religion et de ses ministres, la haine de la société et de ceux qui possèdent, la haine du travail et de ceux qui en donnent « . Pour lui, les accusés voulaient » la destruction de tout ce qui est honnête : les riches, les blancs, les prêtres… Les incendies ont éclaté chez tous les hommes d’ordre « . Le crime est impardonnable. Les jurés en sont d’accord.
Quatre des accusés écopent de la peine capitale, les autres, des travaux forcés (de 20 ans à perpétuité). Trois des condamnés à mort sont finalement graciés par l’empereur. Mais Claude Fourneyron n’échappe pas au couperet. Le 26 avril 1854, il est exécuté sur la place de la mairie des Martres-de-Veyre. Ce sera la seule victime de la série d’incendies.
Sources : archives départementales du Puy-de-Dôme.
Publié par des ennemis de l’égalité sociale (LaMontagne.fr, 4 mars 2012)