Accalmie résignée, prélude insurrectionnel, évidence du chaos très proche, l’autre évidence de la résignation populaire, spectre de guerre civile… On entend de tout en ce moment par rapport à la question grecque, où des évidences totalement contradictoires se confrontent au jour le jour. La seule certitude, la seule pourrait-on dire, est qu’il n’y en a aucune. Le temps est comme suspendu en Grèce, où tout peut changer d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’heure, où tout peut basculer de manière imprévisible. Et c’est finalement ce qui dérange, pour l’État, pour la police, pour la bourgeoisie internationale et la Troïka, pour les syndicats, pour les staliniens, pour les médias…
Temps suspendu où, comme à chaque période historique « instable » du genre, la question commune reste celle de la réaction populaire et, essentiellement, le positionnement de ladite middle class. Middle class qui ne cherche que la garantie de son maintien, et ne la trouve pas. Middle class prit et épris de peur : celle de la violence sociale dans la rue, celle de se prolétariser sans marche arrière, celle de la violence répressive et policière, celle surtout et enfin de l’évidence de devoir prendre position, bon gré mal gré. Middle class terrorisée de devoir choisir son camp, cherche encore et plus que jamais à l’heure actuelle à se réfugier dans le non-choix, dans la neutralité et la passivité, mais est surtout aujourd’hui terrifiée de n’avoir plus de repère, de ne plus savoir où se situe l’évidence. Parce qu’il n’y en a plus. Parce que tout est à faire, ou à fuir.
Tiraillée entre les événements parmi les plus moindres qui, de suite, prennent logiquement des proportions politiques démesurées et imprévisibles, car tout bonnement la situation est « démesurée » et « imprévisible », la middle class tente de se retrancher. Pour combien de temps ? Qui tranchera et brisera cette bulle de temps suspendu ? Comment fuir ? Comment agir ? Comment briser de manière la moins honteuse le miroir reflétant sa propre responsabilité collective ? La middle class ne connaît pas la honte. Elle est la donnée inconnue et ennemie, insupportable, tant pour l’État que pour les camarades. Elle est et veut demeurer masse, foule, et inverse complet de tout ce qui peut être ou surgir comme « peuple ». La middle class est l’annihilation même du peuple. Tant qu’elle existe, politiquement et spectaculairement, toute révolte sera écrasée, et le fascisme se consolidera. Pourtant, socialement, ladite middle class a déjà disparue.
Pour l’heure, en simultané, ça combat et ça réprime. Une résistance ouvrière commence à s’échafauder, prometteuse bien que trop faible encore. L’évidence pour les combattants de part et d’autre (tant pour les camarades que pour les grévistes occupants) d’être et demeurer une minorité active, combative, et l’évidence de devoir l’assumer, voire le revendiquer. Merde à la société, leur bateau coule et nous ne coulerons pas avec !
Pour l’heure, en simultané. Pour l’heure, de part et d’autre, la stratégie de la tension.
Tandis que cette middle class maudite, frileuse et refusant tant que possible à prendre l’initiative par elle-même et à choisir son camp, dans la rue, vis-à-vis des syndicats, de l’Etat et de la police, les camarades ramassent. Sans surprise.
Les assauts policiers sur Exarchia sont toujours plus réguliers : on dénombre 70 interpellations le soir du mercredi 15 février, et pas moins de 135 le soir du dimanche 19 février. Les camarades et combattants qui se savent et s’assument en guerre sont toujours seuls. Et, de nouveau, ils le savent et l’assument.
Les occupations tiennent toujours bon pour la plupart, et un grand quotidien grec (aussi influent que le Libé en France) tente une réappropriation autogestionnaire, et l’idée se tente dans divers secteurs du travail.
Dans leur camp, la Troïka applaudit la mise à mort du peuple grec, précisant cependant n’accorder les 237 milliards d’euros qu’avec la garantie à contre-partie de la mise sous tutelle allemande « officielle » du pays et la ratification préalable de 179 « petites » lois autoritaires et d’austérité, très précises. L’État cherche bien sûr à empêcher une validation « globale », brutale et en une fois, et de fait va les adopter graduellement. Ce qui occasionne une situation intéressante. En effet, un cycle de manifestations populaires risque de reprendre, avec d’ailleurs un premier appel à prendre massivement Syntagma dès demain 16h.
Pour les combattants, les questions sont multiples : celle de la stratégie de la répression ; celle de la stratégie syndicale ; celle de réactivité et force populaire. Avec bien sûr l’élément essentiel : du monde il y aura, c’est sûr ; affrontements il y aura c’est sûr ; mais qui sera sur la zone de front ? Et surtout cela va-t-il enfin entraîner une durée, un quotidien de manifestations tellement nécessaire ? D’autant que la massive mobilisation populaire en Espagne le week-end dernier a fortement marqué les esprits.
Les événements du dimanche 19 février, une semaine après la fameuse nuit insurrectionnelle du 12, sont assez significatifs : les syndicats minoritaires et gauchistes ont lancé au moins cinq appels (respectivement à 10h30, 16h, 16h30, 17h et 18h), donc séparés mais tous à Syntagma. Finalement, plusieurs milliers de personnes se rassembleront mollement, les anars choisissant de ne pas donner l’occasion d’une répression ciblée et préférant s’abstenir. Face à nous, l’État bloque les principaux accès vers le centre-ville, déploie de nombreux barrages policiers avec fouilles et contrôles systématiques pour les moindres « suspects ». Or, des affrontements éclateront malgré tout, en fin de soirée, et par les plus jeunes, lycéens et étudiants pour la plupart. Sans « présence anarchiste » affirmée, des jeunes lycéens ont défié les flics à coups de cocktails et de pavés, renvoyant les grenades lacrymogènes et tentant d’ériger des semblants de barricades de bennes enflammées. Ceci est important, et la donnée de la jeunesse fait peur. Surtout aux flics qui ont des ordres stricts et sévères de retenue pour éviter mort d’homme et d’éviter de ressusciter la rage et la détermination de décembre 2008, si fraiches encore. D’autant qu’un tout début de mouvement lycéen tente de démarrer, avec des petites manifs de quartiers et des blocages de lycée (très minoritaires, encore une fois, pour l’heure, mais notable).
Le 19 février, les syndicats minoritaires ont donc fait des appels épars à prendre Syntagma, et s’ils ne seront que quelques milliers à suivre timidement avec finalement des affrontements « classiques » (c’est-à-dire les rituels jets de pierre et de cocktails contre les gaz chimiques) à petite échelle, la police a malgré tout opté pour un nouvel assaut général sur Exarchia : nous dénombrons pour le moment au moins 135 interpellations préventives.
Il faut dire qu’il est logique pour l’État de déployer sa terreur et de la cibler principalement sur les anarchistes révolutionnaires, comme riposte logique aux événements du 12. En effet, le 12 février, il est désormais avéré que la police grecque (qui a déployé 6000 hommes dans toute la capitale) a complètement perdu le contrôle de la situation, et que le basculement était à portée de mains. Les images de flics avec armes au poing tirant en l’air tournent de plus en plus sur le net. Il est également avéré que rien que sur le front Omonia-Syntagma, plus de 500 cocktails ont été balancé sur les lignes ennemies, sans compter les bombes. Pour autant, « seules » 4 condamnations fermes ont été prononcées jusqu’à maintenant depuis le 12, ce qui, au vu des événements, est miraculeux. Ce à quoi l’État répond. Sans pitié.
Quelques liens pertinents, à nouveau :
> Sur le mouvement des occupations et du front ouvrier en Grèce
> Encore un très beau texte-témoignage et positionnement sur les événements du 12 février, « Je te cherchais dans la nuit, et je brûlais »
> Texte « nous n’aurons bientôt plus aucune raison de ne pas être violents »
> La « sisa », drogue de la crise qui ravage des vies par milliers
Merde à la Junte économique.
Crève l’État et le Capital.
Que la peur change de camp.
21 février 2012.