Sénégal : la tension monte, la police et la gendarmerie déployées à Dakar
L’opposition sénégalaise ne désarme pas. Au lendemain d’une manifestation interdite qui a fait un mort lors d’affrontements avec des policiers, la police sénégalaise a bouclé lundi soir tous les accès à une place de Dakar où l’opposition sénégalaise a appelé à une manifestation interdite contre la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à la présidentielle de dimanche.
« Nous lançons un appel à manifester à 15 heures place de l’Indépendance », avait déclaré lundi matin Alioune Tine, coordinateur du Mouvement du 23 juin (M23), une coalition de partis d’opposition et d’organisations de la société civile. Abdoulaye Wade est devenu, « dans sa volonté de rester au pouvoir, sourd, muet et aveugle » a-t-il ajouté.
La répression par la police avec des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des canons à eau, a fait au moins une vingtaine de blessés depuis vendredi, deux morts en banlieue et en province. Depuis fin janvier, six personnes sont mortes dans des violences liées à la contestation de la candidature du président Wade au pouvoir depuis 12 ans. (…)
Leur presse (Pressafrik.com, 21 février 2012)
Violences à Dakar : « la police ne se contente pas de casser du manifestant »
« État d’urgence », « le Sénégal s’embrase », « Dakar à feu et à sang ». A une semaine du 1er tour de la présidentielle, la presse sénégalaise déplore, lundi 20 février, un week-end de violences. Tout a commencé vendredi quand, en marge d’une manifestation, des policiers lancent une grenade lacrymogène sur la mosquée Zawiya El Hadji Malick-Sy, haut lieu de la confrérie Tidjane, blessant un fidèle. La presse sénégalaise dans son ensemble condamne lundi la profanation du lieu. Mais plus ou moins vigoureusement, selon son orientation politique.
Le Soleil, quotidien pro-gouvernemental, se contente de relater brièvement les faits. « Alors que la situation semblait se tasser avec l’entrée en action de la police d’élite sénégalaise, un groupe de manifestants se signale à quelques jets de pierres de la Zawiya d’Elhadji Malick Sy. Pendant des minutes, ils crient leur colère. Ils deviennent de plus en plus nombreux devant l’inaction de la police. Ce sera de courte durée puisque la charge ne tarde pas. Les manifestants se dispersent. Deux grenades lacrymogènes cassent les vitres d’une fenêtre de la mosquée et laissent échapper leur contenu dans la salle de prière. »
À l’inverse, Le Quotidien, journal à ligne éditoriale très critique vis-à-vis du président Abdoulaye Wade, adopte un ton beaucoup plus accusateur, en parlant « d’attaque de fidèles ». « La police ne s’est pas contentée de casser du manifestant. Elle a aussi vandalisé des maisons et profané des lieux de culte », rapporte le journaliste Omar Seydou Ba. Ce dernier livre un récit plus détaillé des événements : « Pris au piège, les fidèles tentent de se dégager comme ils peuvent. Mais c’est peine perdue. Certains sont asphyxiés, d’autres piétinés. Ils toussotent. Ils pleurent. Dehors, l’ambiance est indescriptible. (…) Des grenades tonnent. Pour effacer toute trace, les policiers ramassent leurs douilles. »
MASSACRE, EMBRASEMENT, APOCALYPSE
Même constat de chaos pour le quotidien en ligne, Nettali.net (« raconter » en wolof) : « La situation dégénère à grande vitesse dans quasiment toutes les villes du Sénégal, embrasant un pays qui n’avait jamais connu pareille apocalypse. Depuis vendredi, c’est un Sénégal sans pilote que l’on voit à la une des journaux étrangers, donnant une piètre image de notre pays que l’on commence à désormais comparer aux pires dictatures du monde. »
Une inquiétude partagée par Sud Quotidien, qui consacre sa une à « l’état d’urgence ». Dans son éditorial, « Arrêtons le massacre », Madior Fall demande l’interruption des violences et l’ouverture d’un dialogue : « Il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard, pour un dialogue inclusif, franc, sincère, dénué d’arrière-pensées, d’esprit de ruse ou d’une quelconque fourberie entre tous les fils d’un pays. Le seul souci devant être de préserver le Sénégal, confronté aujourd’hui aux heures les plus troubles de son histoire postindépendance. »
Pour le site d’information indépendant Rewmi (« le pays » en wolof), l’attaque de la mosquée est signée des mains des officiers des forces de sécurité. « L’attaque contre la Zawiya n’est pas le fait d’incultes agents de maintien de l’ordre. L’homme, que toutes les images désignent comme ayant dirigé l’opération, est un officier, le colonel Abdoulaye Diop. Il ne peut et ne saurait avoir l’excuse de l’ignorance de ce principe sacro-saint de l’inviolabilité des lieux de culte. » Mais les accusations des journalistes vont plus loin : « Des jeunes ont été torturés, (…) des femmes tabassées dans leurs maisons où même des gaz lacrymogènes ont été jetés. Le colonel Harona Sy, à la tête du commissariat central où des manifestants sont retenus, dont les jeunes de « Y en a marre », aurait fait subir des actes de tortures à ces derniers. »
FRONDE CONTRE LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
Tout en haut de la hiérarchie, Ousmane Ngom, le ministre de l’intérieur, est lui aussi directement mis en cause. Samedi, il a été dépêché à Tivaouane, la ville sainte des Tidjanes, pour implorer le pardon des guides religieux. Un comité d’accueil l’y attendait. « Le scénario qui s’est déroulé à partir de ce moment est digne du siège de la Bastille. Durant près de quinze bonnes heures, la demeure (…) a été encerclée par des foules déchaînées et déterminées, criant « À mort Ousmane Ngom » ! La situation a pris des proportions telles que le ministre et ses hôtes ont trouvé plus sage de ne pas mettre le nez dehors », rapporte Malick Ndaw de Sud Quotidien. Le ministre Ngom a finalement dû être exfiltré par le GIGN.
Âgé de 56 ans, Ousmane Ngom a été nommé ministre pour la première fois en 1991. Membre du camps Wade, il le déserte en 1998 pour monter son propre mouvement, le Parti libéral, avant de rentrer dans le rang en 2003. Un retournement de veste que rappelle Nettali.net, qui demande par ailleurs sa démission. « Ngom est bien l’homme de la situation. Viré, puis mis au ban du festin libéral après son retour piteux et confus dans l’antichambre du PDS [Parti démocratique sénégalais de Wade], Ousmane Ngom est le préposé aux nobles œuvres, aux tâches difficiles à assumer sauf par des hommes qui doivent prouver qu’ils sont dignes de regagner la table où l’on festoie. »
Enfin, le quotidien Walf Fadjiri relaye les accusations du candidat de l’opposition Moustapha Niasse. Ce dernier affirme que le régime aurait recruté des mercenaires libériens au sein des forces de sécurité chargées du maintien de l’ordre à Dakar. « Il y a de fortes chances ou de forts risques que ceux qui, masqués, tirent sur les Sénégalais ne parlent aucune langue de notre pays, soient des mercenaires qui sont venus de l’extérieur. (…) Il y en a qui sont arrivés le lundi soir par le vol en provenance du Liberia, de Monrovia, avec escale à Banjul. Comme ils sont masqués, on ne peut pas les reconnaître », ajoute le candidat de la coalition Unité et Rassemblement.
Dimanche après-midi, les violences se sont poursuivies autour de la mosquée. Dans la soirée, un jeune homme est mort à Rufisque dans la banlieue de Dakar, après avoir été blessé à la tête par une pierre lors d’affrontements. Ce décès porte à six le nombre de morts dans des violences liées à la candidature controversée du chef de l’État Abdoulaye Wade.
Leur presse (Pauline Pellissier, LeMonde.fr, 20 février 2012)