Ce texte a été diffusé dans la vallée à la fin du mois de septembre, sous la forme d’un petit journal de lutte. Pour en saisir tous les aspects, aussi bien les références que les analyses de la situation, une contextualisation serait nécessaire. Il apparaît cependant important de diffuser les idées qui circulent en Val Susa. D’autant que du côté français, si la mobilisation contre le TAV (le projet de TGV Lyon-Turin) semble inexistante, nombreux sont ceux qui sont sensibles à cette lutte, qui vont dans la vallée lors des grands rassemblements, ou encore pour passer au presidio rencontrer plus intimement les valsusains. Il faut se méfier de l’eau qui dort. Maintenant, c’est à Chambéry, où avait déjà eu lieu une manifestation en 2005, que se réunit un collectif no-TAV, l’occasion peut être de reprendre les mots d’ordre forts lancés par les Valsusains : bloquer la machine TAV et ses rouages, bloquer l’expansion de ces infrastructures qui viennent quadriller nos territoires et les rendre invivables.
« Giù le mani della Lavanda ! » a été le cri ironique par lequel les policiers et les journalistes ont été accueillis, le 27 Juin, sur les barricades de la Libre République de la Maddalena. Le fait que le mouvement NO TAV ait toujours pris soin des champs de lavande, alors que l’État les piétinait de ses arrogantes bottes noires, contenait, à cette échelle, un signe, une ligne de partage. « Lavanda ! », ça ressemble aussi à une sorte de cri de guerre, un peu étrange, bien loin des slogans triomphalistes. « Lavanda », ce sont également des notes de voyage écrites à plusieurs dont les chemins se sont croisés entre les presidi et les bois du Valsusa. Certains se connaissaient bien, d’autres moins, d’autres encore pas du tout. « Lavanda » n’est donc pas l’organe d’un groupe politique, mais l’expression d’une exigence née et partagée durant la lutte NO TAV. Une exigence née avec les gaz lacrymogènes. Ceux qui la couchent sur le papier sont des ennemis de la Grande Vitesse, mais aussi du monde qui nous l’impose. Criminels ? Certainement, comme les rêves éveillés d’une vie sans forts ni coffre-forts, libre et sauvage comme la lavande.
Correspondances.
Le monde est en ébullition. La liste des révoltes qui caractérisent le temps présent serait agréablement longue. L’anomalie valsusaine, avec toutes ses particularités, n’est pas étrangère à cette géographie du possible. Et cela n’entre pas en contradiction avec son caractère de lutte éminemment locale.
La rancœur à l’encontre de la police qui anime la jeunesse dans la vallée n’est pas si éloignée de la colère des jeunes du Caire ou de Londres. L’amour des anciens valsusains pour leur terre — moi je portais les bombes pour les partisans, racontent certains — n’est pas si différent de l’entêtement des vieux de Gaza. La complicité des mères des rebelles d’Athènes a la même chaleur que le « vous êtes tous nos enfants » entendu à plusieurs reprises, à Chiomonte ou à Giaglione. Correspondances entre lieux et générations.
Saut.
Fin des médiations. Voilà ce que dit le présent. Ce n’est pas nous qui le décidons, mais les plans actuels du Capital, avec les Marchionne, Maroni et Fasino de service, confirmés par les barbelés, les check-points et les lacrymogènes tirés à tir tendu. En comparaison, la bataille de Seghino, en Octobre 2005, a été un jeu d’enfants. Même la reprise de Venaus a littéralement fait son temps. Si, à ce moment, on pouvait encore croire qu’augmenter le niveau de pression pouvait suffire à ouvrir de déjà improbables tables de négociations (en réalité, si non signifie non, il y a bien peu à négocier), maintenant seuls comptent les rapports de force. Ce qui ne signifie en rien spéculer une insoutenable confrontation directe avec l’armée mais plutôt de faire un saut mental, de trouver une disposition qualitativement différente. De nouveaux nœuds et de nouvelles interrogations à démêler.
Capacité.
Le terrain actuel de l’affrontement a été imposé par l’occupation militaire de la zone de chantier. Les vieilles certitudes du mouvement on été ébranlées par la force brute en uniforme. Jusqu’à l’expulsion de la Libre République de la Maddalena, on faisait confiance à la volonté. Maintenant, se pose la question de la capacité.
Avant, il semblait que la volonté populaire opposée au chantier pouvait être le principal obstacle au début des travaux et que, si celle-ci s’exprimait, personne n’aurait pu l’arrêter. À la longue, on s’est trop reposé sur de telles convictions. Maintenant, face à la solide arrogance de leur attirail une telle illusion se brise. Maintenant, il faut faire preuve d’une capacité à lutter, de manière efficace, contre une invasion militaire. Une toute autre paire de manches.
De l’autre côté.
Les résistances contre les occupations coloniales ont quelque chose à nous apprendre. Ces dernières ne se sont jamais positionnées sur le plan de la confrontation directe — symétrique — avec les occupants, en les affrontant en bataille rangée. On court à la défaite assurée. Il faut combattre sur un terrain plus praticable : non pas où et comme l’ennemi t’attends mais en jouant d’agilité, en étant imprévisible. Au cours de la seconde guerre mondiale, les républiques partisanes des Alpes occidentales ont été mises en déroute à la première série de contre-offensives nazifascistes. C’est alors que les partisans comprirent que, en présence d’un ennemi mieux armé et organisé, il s’agit d’adopter une autre ligne de front : fluide, rapide et changeante, en mesure de pénétrer à l’intérieur des lignes ennemies, en mettant en doute ses certitudes. Le partisan doit être partout et introuvable. Faire jouer le temps en notre faveur, en donnant son rythme à la lutte. Si, par exemple, l’État avait besoin de démobiliser rapidement ses troupes (coûteuses, harcelées, retirées d’autres fronts), l’opposition au TAV pourrait avoir tout intérêt à faire se prolonger indéfiniment la présence des forces de l’ordre sur le chantier, leur mobilisation constante (nuit et jour). Un paradoxe, évidemment. Une hypothèse à vérifier.
Vivre en mouvement ce temps dilaté. Élargir la non collaboration active vis à vis de l’occupant — envisager des actions qui nuisent aux intérêts de ceux qui sont de mèche avec le projet du Tav, comme, par exemple, la société autoroutière SITAF, avec des opérations « péages gratuits » comme ce fut évoqué durant l’été. Quelque chose de simple à réaliser, efficace quant à l’objectif et enfin « populaire » du point de vue communicatif. Ou encore : parvenir à un blocage généralisé de la vallée et donc de l’approvisionnement des troupes. Donnant l’occasion d’une grève diffuse de la vallée. Une grève non syndicale, une absence collective au travail et à l’école pour paralyser la normalité de l’occupation militaire, un usage actif du temps. Encore une fois : des hypothèses à vérifier.
Front de l’intérieur.
Autre signe des temps : la frontière entre guerre et paix, entre ennemis de l’intérieur et ennemis de l’extérieur, entre opération militaire et action de police devient de plus en plus ténue et indistincte. Les « Alpins », qui hier étaient en Afghanistan et pourraient être n’importe où demain, sont aujourd’hui en faction à la Maddalena. Par ailleurs, le fil barbelé du fort-chantier est le même que celui utilisé en Israël. Les compétences acquises par les soldats au cours des conflits armés sont utilisées pour gérer l’ordre public. Il y a tant d’exemples : contrôle des populations dans les Abruzes après le tremblement de terre, gestion des déchets à Naples, transformation de l’île de Lampedusa en camp, création d’un réseau de radars « anti-immigrés » sur les côtes, des hommes en tenue de camouflage qui patrouillent dans les rues de certaines villes.
Chaque territoire, chaque situation, chaque « urgence » devient l’occasion d’une expérimentation comme le rapport de l’OTAN « Urban Operations 2020 » le prévoit explicitement. Les troupes qui défendent les chantiers sont un indicateur clair de la façon dont le système démocratique se prépare à affronter les rebellions qui le menacent, à l’extérieur comme à l’intérieur de ses frontières.
Architecture de l’occupation.
Ce qui arrive dans la vallée en terme de militarisation est tout ce qu’il y a de plus ordinaire en territoire métropolitain. Le système de vidéosurveillance est comme une sorte de check-point universel, l’éclairage public joue en ville le même rôle que les projecteurs qui entourent le chantier, ce qui fait scandale sur un chemin de montagne — le fait de devoir montrer ses papiers — arrive en permanence dans les rues des villes. Et ainsi de suite. À bien y regarder, la comparaison peut s’inverser : au fur et à mesure qu’il se transforme en quelque chose de similaire à un morceau de ville, le territoire valsusain devient de plus en plus contrôlable.
« Les Grands Travaux » ne sont pas seulement prétexte à une militarisation ; ils sont aussi partis intégrantes d’une architecture de l’occupation : les chantiers deviennent des forts, les viaducs des tours d’où tirer d’en haut ; les autoroutes des voies impériales sur lesquelles les troupes avancent rapidement et en toute sécurité. Heureusement, les bois sont grands, les pierres partout, les chemins sinueux, les pentes difficiles d’accès.
Parler clair.
La guerre fait son chemin, même dans les mots. On parle de « nouvelles règles d’engagement » pour les forces de l’ordre, qui clarifient, par exemple, que l’ennemi, c’est nous, c’est à dire quiconque n’accepte pas, tête baissée et en silence, les projets destructeurs du Capital.
Il y a ceux qui demandent la transformation du chantier en « zone d’intérêt stratégique militaire ». Et la sinistre insistance avec laquelle est évoquée la possibilité « qu’il y ait un mort » ressemble bien à ces prophéties qui s’auto-réalisent.
Quand les puissants et leurs valets parlent clairement, il est de bon ton de les écouter. Bersani le menteur dit vrai lorsqu’il affirme que ce qui se joue dans la vallée ce n’est pas le passage d’un train mais bien la démocratie. Si des populations pensent pouvoir arrêter un projet de l’État et qu’elles y parviennent, adieu la démocratie réelle. Par un vertueux effet domino « faisons nous aussi comme dans le Val Susa », il y a le risque que la soumission saute en même temps que les sièges de ses administrateurs. Quand Emma Marcegaglia dit qu’il est tout simplement inadmissible que des gens, dans un État souverain, occupent un territoire, y érigent des barricades, le déclarent Libre République et ne laissent pas y pénétrer les forces de l’ordre, elle indique clairement le point focal de la Maddalena. Pouvons-nous lui donner tort ? Il n’y a aucune constitution qui nous autorise à prendre de telles libertés. Et il n’est pas de gouvernement au monde qui puisse le tolérer. Quand les syndicats de police déclarent qu’ils ne sont pas préparés à une situation qui n’est plus celle de l’ordinaire « gestion de l’ordre public » ; quand ils réclament la dotation de nouvelles armes, la possibilité de tirer des balles en caoutchouc et de chasser sans restrictions les no tav hors du fort, ils en disent long sur la soit-disant phase historique dans laquelle nous sommes entrés, mieux que n’importe quel universitaire. Sans parler des policiers qui tabassent les immigrés à Lampedusa affublés de T-shirt avec écrit : « mercenaires » ou encore : « Gênes 2001, j’y étais ».
À tous ceux-là, nous pouvons et nous devons répondre comme on le faisait au temps où les luttes, elles aussi, parlaient clairement : « Vous ne pouvez nous concéder de choisir où et comment vivre. Mais vous pouvez cependant disparaître ».
Métropoles de montagne.
Il y a tant d’histoires entrelacées qui impriment les temps et les lieux de la vallée, tant d’histoires qui ouvrent sur tant d’autres encore. Nombre d’entre elles, pourtant bien réelles, restent à écrire. Ça se passe maintenant, dans la vallée. Antiques méandres, tempérés par les torrents et les vignes ; les pierres des maisons construites loin des éboulements, les puits et les clochers. Viaduc gris et démesuré, construit par des machines et des hommes pour des machines et des hommes, serpentant de métropoles en métropoles. Il trace, tout au long de la vallée, transformant la montagne en périphérique d’échelle régionale. Aucune discontinuité avec la Mole [Monument emblématique de la ville de Turin] turinoise. Mais une forte tension, quelque chose qui hurle depuis les profondeurs.
Un territoire habité, traversé, contrôlé — Ramifications de la domination qui se déploient en force, qui érigent des postes de garde, et entrent dans les maisons et la vie des autres. La vallée, un territoire contrôlé mais pas tout à fait sous contrôle. Un lieu géographiquement fragmenté, à 2 min à vol d’oiseau de Terzigno, à 1 km de l’épicentre de l’Aquila, au cœur de la zone rouge.
Qui y habite ? Une communauté de montagne ? Le fait d’être né et d’avoir grandi là, à une demi heure de Turin, n’est pas l’élément à partir duquel se définir. Pendulaires, éleveurs, paysans, ouvriers de la sidérurgie et tant d’autres : une foule d’existences définies par le travail. La police voudrait bien qu’il en soit ainsi. Un peuple tranquille qui sait rester à sa place, consomme dans les grands magasins, amène ses enfants à l’école et paye ses taxes.
Mais l’imposition des dispositifs de pouvoir fait que ces existences vivent ensemble. Elle les fait se rencontrer, discuter et partager. Une rupture est consommée, un saut et on entre dans un autre territoire. Alors on se découvre la capacité de s’organiser et de se doter d’une stratégie. Une communauté d’intention : presidi, assemblées, cortèges, équipements en tout genre. Et puis la rencontre avec ceux qui viennent de plus loin, porteurs d’autres mémoires et d’autres pratiques de lutte et qui prennent tout ce qu’il peuvent de l’expérience valsusaine. Ici, tout le monde est jaugé sur ce qu’il dit et fait. On devient humble, capable d’honnêteté et de consistance. Les entrelacs de la transparence sont opacité pour l’ennemi. Pour la police, il est difficile d’identifier et donc de séparer cette communauté d’existence et ses dynamiques. Elle s’y essaie : papier d’identité, photos, plaintes, interdictions de territoire. Mais en Valsusa, les lanternes du pouvoir se déplacent dans le noir. « Nous sommes tous des Blacks blocs ».
Trame et Tissus.
L’histoire d’une communauté en lutte a une trame offensive. En effilocher le tissu fait le jeu du pouvoir. Cela peut arriver de plusieurs façons, le moyen le plus classique (typiquement médiatique) consiste à évoquer les « infiltrations » de tout ordre, corps étrangers, agitateurs et provocateurs. Ils s’y essaient encore mais sans grands succès.
La complicité, qui est le flux vital d’une lutte, peut être brisée autrement. Un certain manque d’intelligence de la situation, une approximation excessive de certains gestes, l’incapacité à percevoir la température du moment peuvent donner lieu à des incompréhensions, des non-dits, rendant fébrile la confiance réciproque. Une pierre lancée n’a pas toujours le même poids, parfois, mieux vaut se la garder dans la poche. Il faut savoir tendre l’oreille.
Les mots aussi ont leur poids. Souvent bien plus grand. Par exemple quand on parle au nom des autres. Plusieurs fois des communiqués sont apparus, particulièrement de prises de distance avec quelques sabotages survenus dans la vallée. Ils étaient écrits par peu de personnes, non partagés dans les assemblées quotidiennes et publiés au nom du mouvement notav. Avant tout, c’est un problème de méthode. D’autre part, ils tracent une séparation là où agissent des différences. Enfin, l’utilisation de termes comme « criminels », « terroristes » et « mafieux » pour qualifier des gestes qui sont, que cela plaise ou non, l’expression d’une opposition au tav est simplement inacceptable. Non seulement parce qu’en faisant ainsi on adopte les catégories du pouvoir, mais aussi parce qu’y sont confondus des plans éthiquement opposés. Deux mondes inconciliables (ceux qui gazent et ceux qui sont gazés, ceux qui détruisent et ceux qui résistent) ne peuvent être décrits avec les mêmes mots.
Sabot. [En français dans le texte]
Un morceau de bois (sabot en français) qui bloque un engrenage mécanique comme forme de résistance. Le mot « sabotage » porte en lui ces images.
Comment arrêter le tav ? Il faut neutraliser politiciens et mafieux diraient certains, ou la société du profit et l’État dirait l’autre. D’autres encore désigneraient la police, le pouvoir, le contrôle. Mais si quelqu’un indiquait les grilles, les engins de chantier et les foreuses, les routes qui mènent au chantier, l’approvisionnement, les lieux d’hébergement, il mettrait tout le monde d’accord d’un coup d’un seul.
Les routes ont été bloquées, les grilles coupées, les trains arrêtés dans les gares. Une belle série de gestes simples et directs. Pourtant quelque chose manque. Il a été question d’une cartographie des lieux sur lesquels repose la logistique de l’occupation. Quand le fort a manqué d’eau on a parlé que de ça pendant deux jours. On est allé avec enthousiasme bloquer l’entrée de l’Italcoge [Société de chantier participant au projet TAV], et tirer du lit les flics au repos à Aviglianna. De fait, toute action de ce genre a été un acte de sabotage nuisant à la réalisation du tunnel. C’est une évidence si l’on cherche à s’attaquer à l’ensemble de la machine à imposer le tav.
Les véhicules carbonisés à Meana di Susa font partie (ou plutôt faisaient partie) de cette machine, ils avaient servi (selon les quotidiens) lors de l’expulsion de la Libre République de la Maddalena. Inutile de faire semblant, nous nous en sommes tous réjouis. Ou presque. Les gaz, les coups de matraques et les promesses de revanche, ça ne s’oublie pas. La Maddalena et l’intensité de ces 37 journées, ça ne s’oublie pas.
Toutes les pratiques — du tract au cortège tranquille, du blocage à l’assaut de masse, des promenades diurnes comme nocturnes, du cisaillage des grilles à cent à l’attaque furtive à peu — font partis de la même trame. Avec ses passages et les ouvertures qu’ils suggèrent. D’une histoire contre l’Histoire.
Perfectionnement.
Les services secrets, laissent filtrer les agences de presse, estiment que nombre d’âmes ardentes ont vécu l’été Valsusain comme une occasion de s’entraîner à la guérilla. Au delà du verbiage insipide des bureaucrates de la répression. Force est de reconnaître qu’il y a du vrai dans ces considérations. Dans la mesure où nous serons capables de porter en nous cette expérience. D’affrontement certes, mais aussi de discussions, d’échange, de complicités.
Un exercice de tact. Une façon de dire, de composer, d’écouter grâce à laquelle, il ne faut pas l’oublier, s’est créée au fil du temps la confiance nécessaire pour vivre ensemble la lutte en Valsusa. Une question de pas, de rythme peut-être pour courir le risque de rencontrer quelqu’un.
Après tant d’années de soi-disant mouvements qui ne furent souvent que la version agitée de la passivité politique, la perspective subversive sort des rayons poussiéreux des bibliothèques, pour devenir un ensemble de mesures à prendre. Le « je ne sais pas comment faire » et son dépassement sont la marque authentique d’une expérience. Le Val Susa donne des indications concrètes : on ne tient pas une position si on ne se dote pas des moyens adaptés ; on n’avance pas dans les gaz sans maalox et masques à gaz. Mais la vallée donne aussi des indications stratégiques, comme tout mouvement qui s’inscrit dans la durée. En cela, un abysse de sens s’interpose entre le 14 décembre 2010 à Rome et le 3 juillet 2011 Valsusain. L’ivresse du moment, l’ébauche d’un roman d’amour.
Question de classe.
L’effet d’entraînement du mouvement sur plusieurs autres lieux de conflit ne peut résider dans la simple juxtaposition de Tav et guerre, Tav et Finances, Tav et précarité. Ce qui veut dire ramener la vallée en ville, et la ville dans la vallée. La vallée en ville : connaître d’avance les itinéraires, les passages et les anfractuosités dans lesquelles disparaître ; repérer les hauteurs par lesquelles frapper, s’entraîner à viser, ne jamais manquer du strict nécessaire. Si on improvise dans les sentiers forestiers, on se perd, on s’agrippe pour monter sur des pierres qui dégringolent. La ville dans la vallée : des pistes confuses encore à déterminer.
Pour qui raisonne en terme d’hégémonie politique, le problème restera celui d’auto-promouvoir des groupes, des organisations, des drapeaux. La Classe au contraire n’attend aucun éloge, elle apparaît et disparaît à travers ce qu’elle fait. Voilà bien pourquoi le Val Susa n’est pas un ailleurs, la généralisation du conflit constitue une des meilleurs contributions qu’on puisse donner à cette lutte. Non seulement parce que ça contraindrait l’État, à alléger la Maddalena de la présence de ses troupes, mais aussi parce que cela redessinerait des lignes de front et avec elles la nature de la résistance no tav. La guérilla partisane n’est victorieuse qu’au moment de l’insurrection générale.
Rebellyon, 21 février 2012.