Brusque accès de fièvre à Dakar
Dans un manuel de maintien de l’ordre ou de guérilla urbaine, on appellerait ça un « face-à-face tendu ». Ce vendredi vers 19H30 — 20H30 à Paris —, des centaines de jeunes défiaient encore entre chien et loup les forces de sécurité au cœur du centre-ville de Dakar. Théâtre de ces affrontements, les abords de la mosquée El Hadj Malick Sy, fief de la confrérie tidjane, sur l’avenue Lamine-Gueye. Les hautes flammes et l’épaisse fumée d’un brasier improvisé — pneus, tables et poubelles — balisent la ligne de front, non loin du marché Sandaga, alors qu’à l’arrière, une ambulance évacue les blessés toutes sirènes hurlantes.
En guise d’étincelle, une incursion pour le moins maladroite de la police anti-émeutes. « Les flics ont balancé deux ou trois grenades lacrymogènes à l’intérieur du sanctuaire, au milieu des fidèles en prière, raconte un reporter de la station Zik-FM, témoin de la scène. Aussitôt, les jeunes ont vu rouge. Ils ont riposté par un déluge de briques et de cailloux. Certains ont même bondi sur un pick-up de la police. » Deux heures plus tard, tandis que le bras-de-fer se poursuivait, la mosquée résonnait des « khadaras » des croyants. « Une louange que les musulmans tidjanes entonnent toutes les cinq prières, précise le confrère. Mais cette fois, ils imploraient Dieu de faire partir Abdoulaye Wade. » Présent sur les lieux, le photoreporter Moctar Kane a entendu alors retentir des « Allahou Akbar ! » — Dieu est le plus grand ! — rageurs.
Dans l’après-midi, déjà, on avait senti la fièvre monter. Le Mouvement du 23 juin, ou M23, ayant annoncé son intention de manifester place de l’Indépendance, bravant ainsi l’interdiction des autorités, le Groupement mobile d’intervention de la police avait une fois encore bouclé l’esplanade, verrouillant toutes les artères qui y conduisent. Candidat à la présidentielle du 26 février, Cheikh Bamba Dièye tentera vainement d’y accéder, ce qui lui vaudra d’ailleurs une brève interpellation. Deux autres prétendants à la magistrature suprême, l’ex-Premier ministre Idrissa Seck et l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise Ibrahima Fall, seront quant à eux refoulés. Tout comme le chanteur Youssou Ndour, évincé de la course sur décision du Conseil constitutionnel. Lors de cet accrochage, un journaliste de l’AFP verra un policier dégainer son arme de service et ouvrir le feu, laissant dans son sillage une douille de 9 mm. Dès lors, des petits groupes de rebelles entreprennent de harceler les unités anti-émeutes dans les rues adjacentes. S’ensuivra le chassé-croisé classique, tandis que des barricades improvisées s’embrasent ça et là. Jets de pierres d’un côté ; dispersion à coups de « lacrymos », de balles en caoutchouc et de canon à eau de l’autre. Phénomène inquiétant : l’apparition de caïds en civil armés de fusils à pompe et parfois cagoulés de noir, lancés à l’évidence aux trousses des insoumis à bord de 4×4 banalisés.
La nuit est tombée sur la capitale. Bien difficile de prédire la tournure que prendra l’épreuve de force dans les heures à venir. Baroud d’honneur du M23, ultime sursaut de la mouvance anti-Wade, ou prologue à un nouvel accès de violence ? Déjà, ce soir, deux candidats — Moustapha Niasse et Cheikh Bamba Dièye — ont préconisé « l’interruption du processus électoral » ; en clair, le report du scrutin. « Impossible de mener campagne normalement », arguent-ils en chœur.
Dans un manuel d’éducation civique, on rangerait cet épisode dans le chapitre « Gâchis ».
Leur presse (Vincent Hugeux, blog L’Afrique en face, 17 février 2012)
Sénégal : le centre-ville de Dakar s’embrase
Nouvelle journée de manifestation vendredi à Dakar, et nouveaux affrontements violents entre les forces de l’ordre et les opposants au président sénégalais Abdoulaye Wade. Une dizaine de manifestants et un policier ont été blessés, alors que les témoins rapportent des scènes de guérilla urbaine.
Depuis la fin janvier, le Mouvement du 23 juin (M23), qui rassemble opposition politique et groupes de la société civile, tente de mobiliser la rue pour contrecarrer la candidature de M. Wade à l’élection présidentielle du 26 février. Les opposants au président sortant jugent cette candidature anticonstitutionnelle. Pour la quatrième journée consécutive, le M23 avait donc appelé à manifester « massivement » dans le centre-ville de capitale du Sénégal, où les rassemblements sont interdits depuis le mois de juillet.
Les forces de l’ordre avaient pris les devants en bloquant les accès à la place de l’Indépendance, ou devaient converger les protestataires. Très vite, des groupes de jeunes se sont massés dans les rues et avenues adjacentes, se barricadant derrière des pneus et des poubelles en feu pour attaquer la police à coups de pierre. Les forces de sécurité ont répliqué à l’aide de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogènes et de canons d’eau.
Un peu plus loin, une foule entourant le chanteur Youssou Ndour, exclu de la présidentielle, a été prise à partie par des policiers. Le véhicule du chanteur s’étant arrêté près d’un camion de policiers, Youssou Ndour a fait mine de descendre. « Dégagez-moi ça, dégagez-moi ça! », a alors crié un policier avant que ses collègues ne tentent de disperser ses partisans à coups de grenades lacrymogènes. Ceux-ci ont riposté en leur jetant des pierres.
Une mosquée visée
Pendant ces incidents, un journaliste de l’AFP a vu un autre policier sortir son arme de service et ouvrir le feu. Il a ensuite récupéré une douille de 9 mm au sol ainsi qu’une balle non percutée.
La tension semblait retomber quand une nouvelle grenade lacrymogène a été lancée, cette fois-ci dans une mosquée du quartier du Plateau, à proximité du centre-ville. Elle a provoqué la colère de centaines de fidèles, de jeunes et de badauds qui se trouvaient à proximité. De 200 à 300 personnes excédées criaient « Allah akhbar » (Dieu est grand), reprochant aux policiers de « dépasser les bornes ».
Parallèlement, des hommes en civil armés de fusils à pompe circulaient à bord de 4×4 banalisés pour pourchasser les manifestants. Certains avaient le visage couvert d’une cagoule noire, ont constaté les correspondants de l’AFP et Reuters.
Outre un policier blessé à la tête, les violences de la journée de vendredi ont fait une dizaine de blessés, dont deux journalistes occidentaux. En début de soirée, des ambulances circulaient sirènes hurlantes dans le quartier de la mosquée.
Depuis fin janvier, le vent de la révolte souffle sur le Sénégal. En trois semaines, quatre personnes sont mortes et des dizaines d’autres ont été blessés lors des les échauffourées entre les opposants au président Wade et les forces de sécurité sénégalaises.
Leur presse (Radio-Canada.ca, 17 février 2012)