Jailli d’une contre-allée de l’avenue Georges-Pompidou, le jeune assaillant a balancé son parpaing sur le flanc du camion blindé du Groupement mobile d’intervention (GMI) de la police. Peine perdue : le projectile se fracasse sur le blindage de l’engin, tandis que pleuvent sur le bitume de cette artère commerçante de Dakar les grenades lacrymogènes. Ce mercredi, vers 13 heures — 14 heures à Paris –, les abords de la place de l’Indépendance ont été le théâtre de brefs accrochages entre les forces de l’ordre et une poignée d’opposants ; lesquels persistent à exiger le retrait de la candidature du sortant Abdoulaye Wade à la présidentielle du 26 février. Avec à la clé les scènes de genre classiques ; à commencer par la retraite hâtive des vendeurs de rue, qui s’empressent de remballer leur camelote et de replier leurs étals de fortune, ou le reflux apeuré et pagailleux des badauds et des employés du cru derrière les rideaux de fer et dans les entrées d’immeuble.
Le scénario de cette épreuve de force était écrit d’avance. Hier soir, le ministre de l’Intérieur Ousmane Ngom, l’un des faucons du clan Wade, a signifié par lettre aux stratèges du Mouvement du 23-Juin — le fameux M23 — l’interdiction de la « grande parade constitutionnelle » programmée en fin de matinée. Invoquant pour ce faire un arrêté datant de l’été dernier et qui proscrit tout rassemblement dans ce secteur du centre-ville de la capitale. « Personne ne peut nous empêcher de manifester », avait alors répliqué Alioune Tine, coordonnateur du Mouvement et figure de proue de la société civile sénégalaise. Personne ? A l’évidence, le pouvoir en place le peut.
Deux cortèges devaient converger vers l’Indépendance. L’un au départ de la place d’Oran, siège de la Grande Poste du quartier Médina ; l’autre non loin de là, depuis le Rond-Point de la Radio-Télévision sénégalaise. Au premier lieu de rendez-vous, rien, sinon un robuste déploiement de policiers anti-émeute du GMI, harnachés tels des samouraïs subsahariens. Au second, un noyau de militants, marqués de près par les hommes de l’Escadron de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie nationale. « On ne veut pas la guerre, martèle Oussyenatou, militante du M23 vêtue d’un survêtement vert vif de l’Association sportive des Douanes. On ne veut pas verser le sang ni marcher sur les cadavres. On veut juste que le Gorgui — le Vieux en wolof — quitte le pouvoir. Plus personne ici ne veut de lui. Un grand-père, ça reste à la maison ; ça ne gère pas le pays. Là, on attend les leaders et on démarre. » En fait de leaders, un seul a bravé l’oukase des autorités : Ibrahima Fall, l’un des 13 challengers d’« Ablaye » Wade. Dès que la troupe s’ébranle, les bérets bleus bouclent la place où trône, sur une fontaine à sec, un cheval de métal cabré. « Les grenadiers devant ! », hurle un officier. Une salve de « lacrymos » suffit à disperser les marcheurs. Par petits groupes, les rescapés rallieront la place Sandaga, théâtre d’une nouvelle escarmouche.
Plus tard, le front se déplacera vers l’objectif initial, l’esplanade de l’Indépendance, où s’est aventuré le chanteur Youssou Ndour, candidat recalé par un Conseil constitutionnel aux ordres. Et où un autre prétendant à la charge suprême, Cheikh Bamba Dièye, bientôt rejoint par Fall, harangue quelques centaines de Dakarois. Très vite, la fièvre monte de plusieurs degrés. La police, qui verrouille l’accès au Palais présidentiel tout proche, tente de déloger les insoumis assis à même le sol. Elle finira par y parvenir au moyen d’un déluge de « grenades à larmes », d’une volée de balles en caoutchouc et de la mise en batterie d’un canon à eau. Offensive à laquelle les plus coriaces ripostent à coups de pierres.
Sans doute y aura-t-il encore dans l’après-midi d’autres échauffourées. Mais ce nouvel épisode du bras-de-fer engagé au lendemain de la validation de la candidature -au demeurant illégale- du Gorgui semble dessiner les contours d’une impasse tactique : si louable soit-elle, l’approche légaliste et pacifiste des animateurs du soulèvement civique ne bouscule guère l’assise du système Wade ; et elle déroute une frange radicale de cette mouvance, irritée par la « tiédeur » des meneurs.
Leur presse (Vincent Hugeux, blog « L’Afrique en face », 15 février 2012)
(…) La gachette facile
Alioune Badara Mbengue, torturé le 12 juillet 2002 par six gardiens pénitentiaires de Rebeuss.
Talla Sylla agressé en septembre 2003.
Bineta Gueye, Margo Samb, Ousmane Ndiaye, Serigne Boubou Ndoye et El Hadj Malick Sama violentés et torturés le 26 septembre 2006 par les éléments de la LGI à Ouakam.
Dominique Lopy tué dans les locaux du commissariat de Kolda le 13 avril 2007. Le 13 décembre de la même année, Alioune Badara Diop tué dans les locaux du commissariat de Ndorong à Kaolack.
Boubacar Kambel Dieng, journaliste à la Rfm et Kara Thioune, journaliste à la West african radio democracy (Wadr) agressés physiquement le 21 avril 2008 par une douzaine d’éléments de la brigade d’intervention polyvalente. Aïda Camara tuée dans les locaux du commissariat central de Dakar le 27 novembre 2008.
Mamadou Bakhoum tué le 23 janvier 2009 dans les locaux de la gendarmerie de Karang. Aboubacry Dia tué dans les locaux du commissariat de Matam le 18 novembre 2009.
Abdoulaye Wade Yinghou tué le 14 juillet 2010 par les policiers du commissariat de Yeumbeul.
Les jeunes du mouvement « Y’EN A MARRE » arrêtés et torturés le 23 juin 2011 lors d’une manifestation pacifique. Après Malick Ba abattu froidement par les forces de sécurité dans la communauté rurale de Sangalkam, ce sont ces mêmes forces de sécurité qui, le vendredi, 27 janvier 2012, ont pris à parti un autre Malick Ba, encore un journaliste, qui s’en est tiré avec un corps meurtri de coups et un visage tuméfié. Il n’a pas fini de panser ses blessures que Mbana Ndiaye et le collégien Mamadou Sy tombent sous les balles de la gendarmerie à Podor (région de Matam), juste quelques heures avant que Mamadou Diop, un jeune étudiant, tombe sous les balles de la police à Dakar. (…)
Leur presse (Malick Ndaw, SudOnLine.sn, 2 février 2012)