Athènes zone de guerre.
Alors que nous écrivons ces lignes, la ville brûle toujours et les combats continuent dans la zone d’Exarchia et de Monastiraki, tandis que la police anti-émeute a repris le reste de la ville où patrouillent sans merci des flics-motards et des colonnes de voltigeurs Delta qui font la chasse aux pillards.
Athènes a vécu un soir d’insurrection.
Un, deux, trois millions de personnes ont pris les rues et ont livré bataille, très dure et de grande ampleur, pendant plus de sept heures face à une armée de flics qui quadrillent la ville en ce moment et sécurisent militairement le Parlement.
Pillages, incendies, barricades enflammées, bombes, cocktails Molotov, le chaos de la révolte s’est substitué au chaos de la misère.
Toute la journée la ville fut étrangement calme, silencieuse, vide, en particulier à Exarchia, sous une pluie diluvienne. Exarchia fut totalement encerclé par des centaines de voltigeurs Delta et la fac de Droit, bastion des anarchistes révolutionnaires, fut assiégée par des centaines de MAT en tenue de combat. Plusieurs dizaines d’arrestations préventives furent à déplorer tandis que la police bloquait toutes les stations de métro menant à Syntagma.
À partir de 16 heures, un soleil flamboyant et chaud baigne de nouveau les rues de lumière et, presque instantanément, le peuple sort. Par centaines, par milliers, par centaines de milliers, finalement par millions. Des foules entières bloquent systématiquement tous les carrefours. Les avenues se vident de toute circulation pour laisser place à une masse populaire incalculable.
17 heures, les combats commencent à Syntagma face au Parlement.
La bataille révolutionnaire du peuple durera dès lors jusque 23h30. Les informations précises manquent encore, mais il semble qu’il n’y ait pas de mort.
Est-il nécessaire de se donner la peine de toute façon vaine de tenter de « décrire » un soir d’insurrection ? Des bâtiments entiers ont brûlé, par plusieurs dizaines, dans tout le centre d’où montent encore les épaisses colonnes de fumée noire. De grandes banques la plupart du temps, des boutiques de luxe et autres carcans du Capital. Un théâtre aurait brûlé, la bibliothèque nationale également, cela n’est ni bien ni mal, a été fait ce qui devait être fait. D’après nos premières infos, il y aurait eu au moins cinq grandes zones de combat à travers toute la ville. En ce qui concerne le front parmi les plus violents de l’artère entre la place Omonia et la place Syntagma, les combats furent terribles. De nombreux blessés graves, crânes ouverts par des éclats de grenade, au sol asphyxiés, que les combattants ramassaient et traînaient à l’arrière avant d’arrêter l’une ou l’autre ambulance qui dévalaient en trombe parmi la foule révolutionnaire. Une quinzaine de barricades enflammées furent dressées sur à peine deux ou trois kilomètres d’avenue où les combats se concentraient. À l’avant sur la zone de front à peine quelques milliers de combattants, puis un no man’s land de quelques centaines de mètres et enfin la masse populaire, immense, innombrable, invincible, forte d’une formidable clameur.
Encore une fois, les combats furent terribles. Quand la police tirait plusieurs salves de grenades offensives et explosives et chargeaient par centaines, la foule reculait en désordre avant que les combattants scandent un cri de guerre repris par la suite par des centaines de milliers de personnes d’une même voix peu avant que plusieurs milliers de personnes se mettent à charger les lignes ennemies fuyant en désordre.
Le temps des accalmies irréelles, durant lesquelles pendant une demie-heure les combattants se relaient sur la zone de front, se soignent à l’arrière, fument une cigarette, font tourner boissons et mallox, avec un calme et sang-froid évidents, alors que 100 mètres plus haut ça canarde violemment.
Après les grands incendies, ce fut les pillages. De supermarchés, de magasins, de kiosques, et même… d’armureries. De sorte qu’à un moment de la bataille, des personnes se promenaient tranquillement avec des kalachnikov, des boucliers, des sabres, tandis que tous les revolvers et fusils disparurent presque instantanément.
La question à présent reste la suite des événements : l’armée dans les rues ? Deuxième journée d’insurrection ? Putsch fasciste ? Terreur répressive ?
Pour l’heure les occupations tiennent, et de nouvelles préfectures et mairies seraient occupées un peu partout.
Une chose est certaine : en Grèce, nous n’avons plus peur.
Lundi 13 février 2012, minuit 33.
Athènes après le chaos
La capitale grecque se remet d’une nuit de guérilla urbaine, provoquée par la révolte contre les nouveaux sacrifices votés par le parlement afin d’obtenir le soutien des bailleurs de fonds internationaux.
La bibliothèque nationale d’Athènes, un bâtiment voisin du siège du FMI, un immeuble de l’Eurobank, et même un café Starbucks : les casseurs qui ont semé le chaos dans les rues d’Athènes durant la nuit de dimanche à lundi ont pris des cibles symboliques. Soit des bâtiments publics (certains ont tenté sans succès de forcer les portes de la mairie), soit des symboles des bailleurs de fonds internationaux, voire des États-Unis. Les foyers d’incendie se sont multipliés, touchant des cinémas, des boutiques, tandis que des manifestants au visage masqué affrontaient la police anti-émeutes aux abords du parlement. Selon les forces de l’ordre, 34 bâtiments au total ont pris feu et 150 boutiques ont été pillées. La nouveauté toutefois, c’était surtout la présence de familles venues manifester au milieu des barricades et des cocktails Molotov, avec femmes et enfants. Les violences ne se sont d’ailleurs pas cantonnées à la seule capitale grecque, et ont touché d’autres villes. La télévision publique a fait état d’affrontements dans l’île touristique de Corfou, en Crète, à Thessalonique, dans le nord de la Grèce, et dans des villes du centre du pays, Volos et Agrinio. Une forme de protestation désespérée face aux nouveaux sacrifices votés au cours de la même nuit par le parlement grec.
Car au moment où les rues d’Athènes s’embrasaient, les élus grecs approuvaient de nouvelles mesures d’austérité. Au menu : 3,3 milliards d’économies budgétaires par le biais de nouvelles baisses drastiques des salaires et des pensions de retraite et une nouvelle vague de suppression d’emplois dans la fonction publique. Ces mesures étaient réclamées par les bailleurs de fonds de la Grèce — Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international — en échange d’une nouvelle aide de 130 milliards d’euros jugée indispensable pour éviter la faillite au pays. Tandis que les députés débattaient dans l’enceinte du parlement, des dizaines de milliers de Grecs s’étaient rassemblés à l’extérieur, sur la place de la Constitution (Syntagma), pour dénoncer cette nouvelle cure de rigueur, deux ans après le début de cette politique d’austérité draconienne. Les premières violences ont éclaté dès la fin d’après-midi de dimanche. Elles ont rapidement atteint un degré au moins équivalent à celui des graves émeutes qui avaient succédé en 2008 à la mort d’un adolescent de 15 ans tué par la police.
« Assez, c’est assez ! »
Technocrate nommé en novembre à la tête d’un gouvernement soutenu par les deux principales formations du pays, Lucas Papadémos a dénoncé ces violences. « Le vandalisme, la violence et la destruction n’ont pas leur place dans un pays démocratique et ne seront pas tolérés », a-t-il déclaré devant le parlement. Peu avant le vote, il a prévenu les députés qu’ils commettraient une grave erreur s’ils n’approuvaient pas ce nouveau train de mesures d’économies, qui représente à ses yeux un moindre mal par rapport aux conséquences éventuelles d’une faillite. « Nous avons devant nous un programme économique complet et crédible pour sortir de la crise économique et fiscale. C’est un programme qui préserve, plus que toute autre chose, la place du pays au sein de la zone euro », a dit Lucas Papadémos, tout en reconnaissant l’ampleur des efforts réclamés à ses concitoyens, confrontés notamment à une baisse de 22% du salaire minimum. Finalement, 199 députés sur 300 ont approuvé le texte mais 43 élus du Pasok (socialiste) et de Nouvelle Démocratie (conservateur) n’ont pas respecté le mot d’ordre de leurs partis et ont été exclus sur le champ de leurs formations.
À l’extérieur du parlement, l’air sur la place Syntagma était enveloppé de gaz lacrymogène et la police chargeait de jeunes gens insaisissables lançant des pierres et des cocktails Molotov. Dans le ciel s’élevaient de larges colonnes de fumée provenant des bâtiments en proie aux flammes. « Nous sommes face à la destruction. Notre pays, notre maison, est sur le point de brûler. Le centre d’Athènes est en flammes. Nous ne pouvons laisser le populisme réduire notre pays en cendres », s’est exclamé l’élu conservateur Costis Hatzidakis. À l’intérieur du parlement, on pouvait entendre les détonations des grenades assourdissantes utilisées par les forces de l’ordre. Effrayés, des habitants et des touristes s’abritaient dans des halls d’hôtel pour échapper aux violences et aux gaz irritants.
Pour beaucoup de Grecs, les nouvelles mesures d’austérité ne font que les plonger un peu plus dans la pauvreté. « Assez, c’est assez ! », s’est exclamé Manolis Glezos, 89 ans, figure historique de la gauche grecque, lors du rassemblement sur la place Syntagma. « Ils n’ont aucune idée de ce que veut dire un soulèvement du peuple grec. Et le peuple grec, toutes idées politiques confondues, est en train de se soulever », a affirmé ce héros de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, qui avait réussi à enlever un drapeau nazi de l’Acropole en 1941.
Leur presse (TF1 News, 13 février 2012)